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Richard Kern : portrait d'un artiste transgressif

Le 12/07/2008 à 16:00
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Richard Kern : du vice à l'action Le Chat qui fume nous propose ces jours-ci d'un côté Hardcore Extended, coffret 2 DVD regroupant une vingtaine de courts métrages (dont six inédits !) réalisés en pellicule entre 1985 et 1993, et de l'autre Extra Action enfin disponible à l'unité, le film n'étant précédemment disponible qu'avec le livre du même nom édité chez Taschen.
On ne peut que vous conseiller d'aller instamment faire un tour sur le site de l'éditeur vous procurer ces deux éditions consacrées au réalisateur Richard Kern. Cet immense provocateur et expérimentateur méritait bien qu'on se penche sur son cas.


Alors que depuis quelques années la France semble faire un bond de 30-40 ans en arrière guidé par un désir anachronique d'un retour aux bonnes moeurs saines d'antan (travail, famille, patrie ?) entre autres dans les salles obscures (l'année dernière Quand l’embryon part braconner de Koji Wakamatsu, aujourd'hui Martyrs de Pascal Laugier), Le Chat qui fume honore ces jours-ci un cinéaste américain iconoclaste, "plus subversif et provocateur tu meurs", un cinéaste qui n'a cessé de revendiquer ostensiblement sa non-appartenance à cette société réactionnaire et à ses valeurs castratrices auxquels nous devons nous soumettre. Un point en moins pour ceux ayant répondu John Waters, papier de verre (remember Mondo Trasho) devenu aujourd'hui poil à gratter rigolo (A Dirty Shame). Richard Kern, car c'est de lui dont il s'agit, ne s'est à l'inverse du réalisateur de Serial Mother et Pecker jamais laissé tenter par les sirènes hollywoodiennes.

Résolument underground, son travail ne peut s'inscrire au sein d'une structure financière ordonnée, son intégrité artistique risquant d'être sévèrement remis en cause. Et que l'admiration que porte l'Establishment pour les travaux photographiques menés par Kern depuis une dizaine d'années ne nous y trompe pas, bien que le cinéaste/photographe new-yorkais se soit éloigné du cinéma punk dépravé de ses débuts, il n'a certainement pas retourné sa veste ni mis au placard sa "fuck you attitude".

Richard Kern : du vice à l'action
En réponse à la reaganisation des Etats-Unis, New York voit au tournant des années 80 l'éclosion d'une multitude de scènes underground contestataires dans lesquels le cinéma trasho-expérimental et un courant musical au croisement du hardcore et de la noise s'imposent comme les vecteurs artistiques parfaits pour cracher une haine viscérale à la face d'une société déliquescente à laquelle on ne croit plus. Ainsi naît ce que Nick Zedd appellera "Le Cinéma de la Transgression", mouvement cinématographique regroupant une poignée hétéroclite de cinéastes fauchés, voués à un simple but : choquer le public ! C'est au sein de ce mouvement que Richard Kern fait ses premiers essais, démarrant par des bouts de pellicule extrêmes dont les principaux thèmes sont la violence, le sex et la dépravation. Le cinéaste n'hésitera d'ailleurs jamais à y croiser les trois.

Il se constitue alors un petit groupe de fidèles qui évoluent comme lui au sein des bas fonds new-yorkais et qui l'aideront pendant une dizaine d'années à monter ses films poussant toujours le bouchon un peu plus loin dans les limite du trash : Nick Zedd bien sûr, Henry Rollins, chanteur et frontman charismatique du groupe de hardcore californien Black Flag, le mythique groupe de noise-rock Sonic Youth, la pierre angulaire du groupe Foetus J.G.Thirlwell (ça c'est du name dropping !) et bien entendu la poète Lydia Lunch avec qui Kern réalisera ses oeuvres les plus marquantes.

Richard Kern : du vice à l'action
The Right Side of my Brain (1984) tout d'abord, plongée dans les méninges schizo-dérangés d'une femme s'autodétruisant ("je voulais me sentir bien, palpittante, mouillée et réelle ; mais finalement je me sentais sale et ignoble" dit-elle), mais aussi Fingered (1986), road-movie en noir et blanc dont elle est l'heureuse instigatrice. Reprenant en les pervertissant au maximum les codes du cinéma d'exploitation (les roughies en particulier), Fingered est une sorte de Tueurs Nés nihiliste dans lequel on suit un couple de détraqués avides de violence et de sex brutal. Etonnament sélectionné en 1988 au Festival de Berlin, Richard Kern monta sur scène introduire son film de la façon la plus franche et directe possible : "ce film a été conçu en réponse aux gens comme vous - FUCK YOU !" dit-il en pointant son majeur au public. Estimé "pas assez dur" par Lunch, le film a pourtant pendant longtemps provoqué nombre des réactions hostiles (et pas que de féministes) partout où il a été diffusé. Pas simplement pour les perversités sexuelles auxquels s'adonne le couple, mais sans doute plus à cause des crimes impunis qu'ils commettent, dont l'agression d'une jeune auto-stoppeuse innocente cloturant le métrage.

Richard Kern - You Killed Me First (1985)

Malheureuse jeune fille d'ailleurs interprêtée par Lung Leg, découverte l'année précédente dans un autre film de Richard Kern intitulé You Killed me First (1985), portrait d'une adolescente incomprise par le reste de sa famille qui finira lors du traditionel repas familial par plomber chacun des membres d'une balle. Impressionné par le film, le groupe Sonic Youth reprendra pour la pochette de son album EVOL un photogramme du film, et demandera à Kern de réaliser un clip pour leur titre Death Valley 69 avec la même pin-up transgressive. Quelques années plus tard, Richard Kern avouera qu'il aura tenté en vain de monter une sorte de remake/mise à jour de You Killed me First avec GG Allin (célèbre performer musicien adepte sur scène de coprophagie) dans le rôle du père et Kymbra Phaller dans celui de la mère, dans lequel il désirait allait plus loin que la première monture (on aurait eu droit entre autres à une partouze intrafamiliale) ; cependant, le soudain décès de GG Allin lui fit abandonner le projet.

Richard Kern : du vice à l'action
Autre film syphoné du ciboulot, Manhattan Love Suicides (1985) constitué de quatre courts métrages (Stray Dogs, Woman At The Wheel, Thrust In Me et I Hate You Now) tournés comme d'habitude à l'arrache et en noir et blanc durant l'année 1985. De cette tétralogie barrée sort incontestablement du lot Thrust In Me dans lequel Nick Zedd interprète une femme (habitué au travestissement) qui vient de se suicider et son copain qui abusera de son corps inerte. Habitué aux rôles chocs, Zedd rempilera quelques années plus tard dans King of Sex (1987) et The Bitches (1992), tout aussi scandaleux. Dans le premier, il se retrouve à nouveau dans la peau d'une femme offrant une gâterie à son homme, dans le second, plus complexe, les rôles du jeu sexuel auquel nous a habitué le cinéma pornographique sont inversés, l'homme devenant au sein d'une partie à trois un simple objet sexuel, une "boite à foutre" en somme dominé qu'il est par deux femmes aux godemichés saillant.

Richard Kern - I hate you now (1985)

Il faut toutefois faire attention de ne pas cataloguer, comme nombreux l'ont fait, trop rapidement Richard Kern comme cinéaste politique. Ses films s'inscrivent indéniablement dans une logique de virulente critique envers les modes de pensés dominants, mais ne se présentent en aucun cas comme de vulgaire tracts démocrates ou même anarchistes. Ce qui importe Kern c'est l'effet produit (le second effet kiss-cool) sur l'auditoire plus que le message. "Pour moi, faire ces films, c’était comme de prendre une énorme décharge, puis de me relever pour regarder les gens s’émerveiller."

Richard Kern livrera ainsi quelques films ne s'inscrivant pas loin de la performance trash, tels The Sewing Circle (1992) dans lequel une femme se fait coudre les lèvres (non pas celles de la bouche...) et Pierce (1990) où cette fois-ci ce ne sont que les tétons qui se font piercer. Performance obscène donc, poussant toujours plus loin les limites du plaisir des performers qui s'adonnent complètement à la caméra.

Richard Kern : du vice à l'action
A d'autres occasions, Richard Kern s'éloigne des chemins balisés du cinéma narratif et tente une approche plus expérimentale, proche du clip de part l'importance de la musique. X is Y (1990) à la dernière image au message (anormalement chez Kern) lourdement asséné : une femme fascinée par les armes à feu tend en offrande à la caméra l'une d'elles disposée sur un drapeau américain ; Horoscope (1991) dans lequel une working girl rentrée chez elle, affalée devant la télé s'imagine courtisée par deux jeunes hommes nus ; mais surtout le diptyque choc Submit to Me (1986) et Submit to Me Now (1987) proposant une suite de séquences de bondage, scarification, lacération et autres automutilations se suivent à un rythme effrénés, selon les fantasmes de leurs interprêtes.

Richard Kern - Horoscope (1991)

Par manque d'inspiration, Richard Kern amorce au début des années 90 une évolution radicale de son cinéma, le photographe semblant en effet prendre le dessus sur les expérimentations "trash pour le trash" du cinéaste. "Pour moi, rien n’est comparable à cette expérience de construire un environnement avec de la lumière puis d’y ajouter une personne vivante, comme une inconnue, pour créer une image temporelle" écrira-t-il dans son recueil de photos intitulé New York Girls. Kern s'intéresse finalement plus à ses modèles, qu'il filme et photographie tout en jouant avec elles, un jeu de séduction, d'apparence et de désir. Des films comme Scooter and Jinx (1990), Catholic (1991), Nazi (1991) ou My Nightmare (1993) sont construit selon ce postula basique d'une séance de shoot filmée. La forme y est quasiment à chaque fois identique, seul le thème du shoot évolue selon le modèle. On retiendra surtout My Nightmare, film de fiction plus complexe et autobiographique qu'il n'en a l'air, qui semble être réponse à une certaine frustration sexuelle éprouvée par Kern face aux jeunes femmes qu'il photographie.

Richard Kern : du vice à l'action
Troquant sa caméra Super-8 d'occasion pour une caméra vidéo, Richard Kern trouvera finalement grâce aux yeux de l'Establishment fasciné par cette imagerie porno-chic dans lequel le photographe évolue. Même si les provocations trash sont loin derrière lui, le cinéaste/photographe new-yorkais est toujours inspiré par le bondage, le voyeurisme, le fétichisme (collant, pieds, etc...) et autres "déviances sexuelles", toujours accompagnées pour couronner le tout d'une petit touche de saphisme. Tout ce qu'affectionne Marc Dorcel. Kern connaîtra donc (comme beaucoup d'anciens agitateurs underground) une certaine reconnaissance lorsque son travail devient inoffensif ou en tout cas moins brutal. Extra Action s'inscrit directement dans cette évolution. Mais là où à la lecture au premier degré de ses films réalisés dans les années 80 l'artiste pouvait être taxé de machiste, ces derniers travaux baigne dans une simplicité empêchant toute accusation de sexisme ou d'interprétation féministe.

Richard Kern : du vice à l'action
Sur une bande son lancinante de Thurston Moore (Sonic Youth), les femmes filmées transpirent de naturel, joue avec et dirige littéralement Kern décidant elle-même ce qu'elles feront devant l'objectif. Même logique, dans un autre ordre, que le diptyque Submit to me/Submit to me now, Kern n'étant qu'un passeur aidant les modèles a extérioriser leurs envies. Loin de tous les canons de beautés qui ornent les magazines de mode ou pornographique, Kern photographie des filles simples, des "girl next door", new-yorkaises de surcroît. Là où il se créé un rapport malsain entre nous et la femme déifiée, inaccessible et souveraine que nous propose la mode (ou au hasard Colmax), Richard Kern nous invite à passer dans un appartement cosy et reposant quelques minutes avec son modèle, dans une délicate découverte de leur intimité. Cette impression de voyeurisme se transforme en une complicité touchante de ces new-yorkaises qui se dévoilent littéralement sous nos yeux.

Richard Kern : du vice à l'actionRichard Kern : du vice à l'action
On citera pour terminer quelques mots pleins de sagesses de Françoise Massacre à propos de GG Alin publiés dans le seul et unique magazine rock français actuel Noise (aux chiottes Rock & Folk !), des mots qui conviendraient parfaitement à Richard Kern :

"Le monde a besoin d'individus, de figures extrémistes, animales, insoumises, obscènes et pulsionnelles, d'exhébitionnistes attardés, ne serait-ce que pour porter un coup à la misère moderne des démocrates techno-populistes (pour reprendre l'expression de Gilles Châtelet) de l'ennui, du pragmatisme et de l'objectivité, bref, des types qui vous collent, pour du beurre, la gerbe au bord des lèvres en détruisant la tempérance à grands coups de micro, de stupre, de foutre chaud et de merde encore fumante." Need I say more ?

Plusieurs galeries riches en photos sont dispo sur le site : pour Extra Action ça se passe ici et , pour Hardcore Extended c'est par ici


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Richard Kern : du vice à l'action


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