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Message From The King : le thriller américain choc de Fabrice Du Welz -interview

Le 10/05/2017 à 12:55
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Actuellement au cinéma, Message From The King, film de commande par le producteur de Drive et Nightcall, est un thriller choc, efficace, impitoyable qui nous plonge dans les bas fonds de Los Angeles. Un trip sale et poisseux proche des romans de James Ellroy avec un Chadwick Boseman (Black Panther chez Marvel) impressionnant de charisme en tête d'affiche.

FilmsActu a eu l'occasion de discuter avec le réalisateur belge Fabrice Du Welz (Calvaire, Alleluia, Vinyan) de cette première expérience américaine, de la différence entre tourner un film en France et aux Etats-Unis, de Netflix, de Los Angeles, de ses coups de coeur et de ses projets à venir. Une rencontre passionnante.

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Qu’est ce qui t’a attiré vers ce revenge movie à la trame de départ finalement conventionnelle ?
Fabrice Du Welz : D’abord c’était la garantie de travailler avec un producteur que j’apprécie, David Lancaster (Drive, Nightcall), et de tourner à Los Angeles avec un acteur comme Chadwick Boseman. Le scénario était c’est vrai déjà vu mais par la nationalité du héros sud-africain, cela permettait d’offrir une lecture différente avec une retranscription assez dingue du monde interlope de Los Angeles. Très vite, cela a matché avec Chadwick. J’ai vu la possibilité de faire quelque chose de très ellroylien. C’est ce qui m’a galvanisé autour de ce projet.

Qu’est ce qui change quand on tourne un film aux Etats-Unis ?
C’est sur la post production que les américains prennent le contrôle du film. C’est un film de commande mais là-bas le système est très particulier. Tout est régi par les syndicats. Mon syndicat, la director’s guilt, prévoit dans mon contrat 10 semaines de montage libre. Tu as le droit de faire ce que tu veux pendant ces 10 semaines pour leur présenter ton director’s cut. Là, les producteurs décident ou pas de l’utiliser, de le changer avec toi ou de simplement te dégager. C’est très violent. J’ai essayé de tenir ma vision face à eux. Cependant ce n’est pas à un producteur auquel tu as affaire, mais à beaucoup de producteurs et à des financiers qui sont majoritaires et qui n’ont pas la même vision du film que toi. Cela complique la donne. J’ai fait en sorte de ne pas lâcher pour rester au plus proche de ma vision. Aujourd’hui, même si je peux avoir des regrets sur certains aspects, je cautionne et je signe le film de mon nom. J’ai fait un exercice de cinéma comme certains metteurs en scène européens le faisaient aux Etats-Unis dans les années 50.

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(Fabrice Du Welz et Chadwick Boseman sur le tournage)

Y-a-t-il beaucoup de différences entre ce que l’on peut voir en salles et ce qui aurait pu être ton director’s cut ?
Mon montage, que l’on ne verra jamais, était plus développé dans les rapports humains. Notamment vers la fin en ce qui concerne les rapports avec Kelly (Teresa Palmer). J’imagine que cela ne correspondaient pas à leurs attentes financières. Aux Etats-Unis contrairement en France, il n’y a pas de subventions. Chez nous, notre cinéma est celui de la subvention et si on fait des entrées c’est mieux. Mais chez eux, c’est inimaginable de perdre de l’argent. Si un film coûte un million de dollars, il faut en gagner deux. C’est une industrie pure et simple. C’est du prêt à porter pas de la haute couture. On a parfois eu des échanges un peu tendus mais au final, je pense que le film a une belle tenue et est cohérent, sec, assez implacable.

Finalement, il t'est arrivé bien pire en France avec Colt 45…
En France, j’ai travaillé avec les pires. Tu sais pourquoi ? Car ce sont juste des fainéants pour ne pas employer d’autres qualificatifs. Ce sont des gens qui ne travaillent pas. J’ai ma responsabilité dans ce marasme bien sûr mais… aux Etats-Unis, les gens travaillent. Et dur. Les acteurs travaillent, les producteurs, les scénaristes, tout le monde a une forte exigence. Ce que je peux retenir de mon expérience hollywoodienne, c’est qu’ils te poussent dans tes derniers retranchements, au-delà de tes limites. Pour arriver à ce résultat, dont on peut débattre la qualité, tu peux te retrouver dans la salle de montage avec 15 personnes dans ton dos qui te disent quoi faire. Et si tu n’as pas un minimum d’humilité pour bouffer ces couleuvres, il faut rester chez toi faire des films produits par le CNC, Orange ou Canal+ où tu auras une liberté complète. Crois-moi je suis quelqu’un qui n’a aucun filtre dans la vie, c’est très difficile pour moi de faire ce travail mais cette expérience autour de Colt 45 m’a énormément appris.



T'avait-on proposé d’autres films aux Etats-Unis avant celui-là ? Les américains adorent suggérer des remakes d’horreur à des cinéastes européens.
J’ai eu pas mal de propositions sur des films d’horreur mais quand tu vois l’expérience des uns des autres qui rentrent souvent très abattus, à part peut-être Alexandre Aja qui s’en sort bien, tu réfléchis à deux fois. Mais je ne suis pas obsédé par le cinéma américain. J’aimerai trouver un équilibre entre des projets plus personnels avec un contrôle plus complet et des films tournés là-bas. J’aime le goût du risque, les expériences cinématographiques et aller me perdre à l’autre bout du monde.

Message From The King ne sort qu’en France au cinéma. Dans le reste du monde, il a été acheté par Netflix. Comment perçois-tu cela ?
J’entends beaucoup de gens catastrophés par l’avènement de Netflix, Hulu, Amazon. Moi je pense que c’est pour un mieux. Les créateurs vont reprendre la main. On sera moins sous le diktat des exploitants, des distributeurs, des chaînes de télé, du politiquement correct, du moralisme qui gangrène tout surtout en France… Netflix ou Amazon sont aussi des robinets à images mais ils permettent une plus grande diversité d’œuvres. Les studios traditionnels vont devoir se repenser par rapport à Netflix et Amazon et je l’espère, signer des auteurs, des créateurs comme ils le faisaient dans les années 50. Avoir des pôles de talents et leur redonner le pouvoir. Comme cela se passe pour quelques séries télés. Ce changement peut-être bénéfique. Quoiqu’il arrive, il faut que cela change. Il faut retrouver une exigence. En France, c’est un problème. Je connais peu de gens ici qui continuent à faire de la mise en scène. Le cinéma populaire ne propose plus de spectacle de mise en scène.

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Quels sont les derniers films qui t’ont marqué ?
J’ai adoré Moonlight que je considère vraiment comme un grand film et puis Tu ne tueras point de Mel Gibson  qui est vraiment… Gibson devient l'Antonin Artaud américain. C’est un poète métaphysique complètement fou qui croit en Dieu avec un rapport féodal à la violence et à la mystique qui me fascine. J’ai été abasourdi par ce film.

En parlant de violence, tu aimes déranger et non proposer une violence contemplative comme dans la plupart des films américains.
Dans Message, la violence est moins viscérale que dans Alleluia ou d’autres films plus proches de moi parce que je voulais ouvrir mon cinéma. Mais mon rapport au réalisme doit rester crû. Je ne vais pas commencer à esthétiser la violence. Elle peut-être fascinante dans son âpreté, sa fulgurance mais je n’ai pas de fascination esthétique.

Quels sont les films sur Los Angeles qui t’ont servi de repères ?
Le film matriciel vers lequel je reviens, c’est Hardcore de Paul Schrader qui fait écho au Los Angeles des romans de James Ellroy. C’est pour cela que je me suis battu pour tourner en 35mm. Je voulais témoigner d’une moiteur, d’une sensation, de quelque chose qui pue. Il avait cette volonté de faire du décor un antagoniste ou un protagoniste. Chadwick Boseman se bat aussi contre un environnement hostile.

J’ai cru comprendre que tu criais parfois sur tes acteurs pendant le tournage tant tu es impliqué dans ce que tu filmes.
Je suis comme ça. Je suis un metteur en scène qui travaille comme un plasticien. J’ai un tempérament qui est un peu… volcanique. Cela ne veut pas dire que je hurle et que je me comporte comme Jean-Pierre Mocky. Loin de là. Mais j’ai un enthousiasme et une passion qui me happent. J’interviens énormément pendant les prises. Je touche les comédiens, je les place, je peux énormément parler. Parfois cela pose des problèmes au son. Mais je suis très directif car je veux épurer la scène, je veux arriver au résultat que j’ai en tête. Au bout de huit ou quinze prises, on arrive à une vraie évolution. Les comédiens s’en rendent compte et la voient dans les rushes. Très vite, ils me font confiance. Je m’investis comme un acteur. C’est comme si j’étais un des personnages. Je ne sais pas agir autrement.

Chadwick Boseman est impressionnant.
Oui. J'ai aussi eu de la chance avec Luke Evans et Teresa Palmer. Chadwick possède un charisme de dingue. J'ai été séduit par sa brutalité, son regard, sa rage, sa colère mais aussi sa tendresse et sa noblesse. J'ai un rapport très fusionnel avec mes acteurs et réaliser ce film était l'occasion de travailler avec un acteur de cette trempe.

As-tu un autre projet en cours ?
Je tourne normalement cet été. Je vais boucler ma trilogie ardennaise avec un projet qui s’appelle Adoration. Cela serait après Calvaire et Alleluia. C’est une histoire d’enfants.  Il racontera la cavale folle de Paul et Gloria, deux enfants perdus au cœur des forêts.



Quel film t’a le plus marqué dans ta vie ?
Massacre à la tronçonneuse. Je devais avoir 13, 14 ans quand je l’ai vu. J’étais en pensionnat dans les collèges catholiques. Le week-end, j’étais obsédé par les VHS que je louais dans les vidéos clubs. J’adorerai me perdre au milieu de toutes ces jacquettes qui faisaient rêver dans les rayons. Je ne savais pas toujours ce que je prenais. Un jour, le loueur m’a conseillé de prendre ce film. Il m’a dévissé la tête. Je me suis alors dit c’est ça que je veux faire. Je veux créer ce genre d’ambiance. J’avais l’impression d’être plongé en enfer.

As-tu déjà rencontré Tobe Hooper ?
Oui à la quinzaine des réalisateurs. J’étais venu présenter Alleluia et Richard Weintraub m’a fait le cadeau extraordinaire de projeter mon film avant Massacre à la tronçonneuse pour ses 40 ans. J’ai pu rencontrer Tobe Hooper et faire un entretien croisé avec lui. On s’est recroisé par la suite dans différents festivals. J’ai énormément d’admiration que ce qu’il a fait.

(ATTENTION SPOILERS. NE PAS LIRE LA SUITE SI VOUS N'AVEZ PAS VU LE FILM).

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A la fin du film, on voit le personnage de Chadwick retourner en Afrique du Sud. Il était important de montrer qui il était vraiment ?

C’est un twist que je trouve intéressant. Le fait de savoir qu’il est flic te permet de revisiter, de re-parcourir le film autrement. Tu comprends les choses autrement de manière rétrospective. J’y vois énormément de noblesse. Il ne s’est pas servi de sa casquette de flic pour enquêter à Los Angeles. C’est une histoire personnelle. Il y a un code moral. Presqu’un code de samuraï. Il se rend responsable de ce qui est arrivé à sa sœur. C’est avant tout un film sur le deuil. Comme il ne peut pas sauver Bianca, il sauve Kelly. Son deuil se fait à travers elle.

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