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La Grève

Le 04/10/2007 à 16:47
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Notre avis
10 10 Film révolutionnaire archétypal et spectaculaire, La Grève se résume en trois mots simples : chef d'oeuvre monumental. Et le pire, c'est que La Grève n'est que le premier film d'Eisenstein et sincèrement ce n'est pas le meilleur ! Maîtrisant comme personne toutes les potentialités offertes par le montage (du rythme, du rythme et du rythme !), Eisenstein élabore un film ahurissant de technicité au service de la Révolution alors en marche.

Critique La Grève Critique La Grève
Alors qu'il n'a réalisé qu'un simple court-métrage (Le Journal de Gloumov) destiné à être projeté lors des représentations d'Un Homme sage, spectacle qu'il avait monté pour le théâtre, le jeune Eisenstein plonge de plein pied en 1925 dans le cinéma jusqu'à en oublier tous les conventions et règles du théâtre, auxquelles il s'était habitué jusqu'alors. Là où certains de ses confrères poursuivent une certaine idée de la narration héritée du théâtre en mettant les acteurs au centre de tout (tels Yakov Protazanov ou Poudovkin), Eisenstein prend le contre-pied et expérimente à fond ce qui constitue les spécificités même de ce nouveau média qu'est le cinématographe. Eisenstein l'a compris, le cinéma peut être vecteur d'idées et de sens, non seulement de par l'histoire y est racontée mais aussi par la composition du cadre et le montage. Le simple bout à bout d'un plan avec un autre implique une corrélation entre les deux, que le spectateur interprète d'une façon ou d'une autre. Le but d'Eisenstein est donc de maximiser ce pouvoir d'évocation et de faire jaillir de ces images (même neutres) une idée, un concept.

Critique La Grève
Parce que le potentiel du septième art est sans limite, le cinéaste russe ne peut se restreindre à ne tourner qu'une simple histoire d'amourette ou un vaudeville. Art jeune (tout juste vingt ans), le cinéma est pour lui fondamentalement révolutionnaire et se doit d'expliquer, de promouvoir et de nourrir en nouvelles idées la révolution en marche dans le pays. "Le cinéma est pour nous le plus important de tous les arts" affirmait Lenine, et pour cause dans un pays à 80% analphabète, le septième art en tant que spectacle capable de diffuser visuellement des idées est le plus adapté pour éduquer et cultiver la masse populaire. C'est ainsi que, désirant plaquer sur pellicule chaque aspect de la révolution, les quatre longs métrages qu'Eisenstein réalisa en Union Soviétique avant son départ pour les Amériques (USA puis Mexique) s'intéresseront précisément aux événements d'octobre 1917 (Octobre), à savoir la lutte menée par les différentes classes sociales : ouvriers dans La Grève, paysans pour La Ligne Générale et soldats dans Le Cuirassé Potemkine.

Critique La Grève
C'est donc le prélude à la Révolution d'Octobre, le soulèvement des masses face à l'autocratie tsariste qui intéresse ici Eisenstein. Prenant pour déclencheur le suicide d'un ouvrier dans une usine de métallurgie, La Grève est un véritable tour de force cinématographique, rythmiquement intense et dont la portée émotionnelle serait comparable (la comparaison vaut ce qu'elle vaut) à celle de Requiem for a dream pour la génération actuelle. La mise en scène épouse la révolte des ouvriers, retranscrit par le biais d'un montage survolté la frénésie et la rage dont ils font preuve pour gagner un semblant de droits face aux ignobles patrons et au pouvoir centralisé du tsar. Aux yeux de ces derniers, il n'y a qu'une seule fin possible à ce soulèvement : son écrasement total. Une véritable hécatombe, sanglante. Les ouvriers considérés comme du simple bétail par la Russie d'en haut sont alors érigés par le cinéastes comme des martyrs de la lutte révolutionnaire.

Critique La Grève
Si cette défaite du combat révolutionnaire clôt le film, c'est sans doute parce que le pouvoir soviétique d'alors ne fourrait pas encore son nez dans le travail du cinéaste et lui laissait encore quelques libertés de mouvement. Honorer ces combattants de la liberté ne sera par la suite plus suffisant aux yeux du pouvoir, il faudra que dans les prochains films la lutte de ces camarades soit victorieuse. En témoigne la construction binaire du Cuirassé Potemkine, à chaque exaction du pouvoir envers le peuple, ce dernier ripostera glorieusement : la mutinerie pour cause d'injustice, la destruction de l'état-major des généraux répondra au carnage des escaliers d'Odessa, etc.

Critique La Grève
En collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse, Carlotta édite le film en DVD accompagné d'une création musicale originale de Pierre Jodlowski commandé il y a une dizaine d'années par l'établissement toulousain. Cela fait quelques temps déjà que musiciens et DJ s'essayent à ce genre d'exercice, la rencontre du cinéma muet (cinéma d'un autre âge) à une musique plus actuelle produisant rarement de mauvais résultats. Le compositeur a visiblement compris l'essence même du cinéma d'Eisenstein (le montage-roi) et parvient à ne jamais dénaturer ni atténuer le fond et la forme. Et même s'il relie musicalement les plans entre eux (tel est le rôle fondamental d'une bande originale), le compositeur ponctue chacune des coupes par un glinch, mettant en exergue de façon inconsciante pour le spectateur le passage d'un plan à un autre. Une véritable réussite.






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