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Vinyan

Le 02/10/2008 à 07:24
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Notre avis
9 10 Infligeant une véritable claque émotionnelle dont on ne se relève que difficilement, Fabrice du Welz confirme avec Vinyan tous les espoirs que l'on plaçait en lui depuis Calvaire. Le cinéaste nous transporte littéralement vers des cieux éblouissants pour mieux nous abandonner à notre sort, embourbés dans les tréfonds les plus poisseux de l'âme humaine. Suffoquant.

Critique de Vinyan, un film de Fabrice du Welz Critique de Critique de Vinyan, un film de Fabrice du Welz, un film de Fabrice du Welz
Remarqué en 2001 avec un court-métrage macabro-grotesque intitulé avec une certaine poésie Quand on est amoureux c'est merveilleux, où on suivait une quadragénaire coincée du fion et cramée du ciboulot cherchant coûte que coûte l'amour, Fabrice du Welz récidivait quatre ans plus tard avec un long métrage cette fois-ci, Calvaire, une nouvelle histoire d'amour dégénérée au croisement entre Massacre à la tronçonneuse, Les Chiens de Paille et Délivrance. Du Welz y faisait preuve d'une rare maestria dans le mélange des genres, s'éloignant de l'humour grotesque et jusqu'au boutiste de son court pour s'aventurer sur une corde finement tendue entre l'humour noir pince sans rire et le pur survival glauque. L'expérience radicale laissa tout de même quelques spectateurs interloqués par ce à quoi ils venaient d'assister ("Mais pourquoi est-il aussi méchant ?"). A l'aune de ces deux films évoluant gaiement dans une veine comico-sordide, la question était si pour son second long Fabrice du Welz allait poursuivre ce même chemin ou bien se risquer dans des eaux plus troubles, moins balisées (ou plus sérieuses diront certains). Rien, mais alors rien du tout, n'annonçait l'arrivée de Vinyan.

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Ici, pas de chanteur à la manque ni de simplet bizaroïde amoureux d'une quadragénaire sexuellement frustrée, mais un couple formé par Emmanuelle Béart et Rufus Sewell ayant perdu leur enfant dans le terrible tsunami qui a frappé les côtes de l'Océan Indien fin 2004. Parce qu'elle ne peut se résigner à accepter la mort de son fils, ils se lancent tout deux à sa recherche jusqu'au fin fond de la Thaïlande inhospitalière... Que ce soit clair d'emblée : Vinyan est un vrai drame familial, déchirant qui plus est, dernier genre il faut bien l'avouer dans lequel on aurait imaginé évoluer Fabrice du Welz. Ce dernier prend pourtant son sujet à bras le corps et nous livre une oeuvre poignante, d'une rare mélancolie, où les fantômes du remord se mêlent aux vivants, les poursuivant jusqu'au bout de l'enfer jusqu'à une apothéose bien sûr férocement brutale.

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Sur de nombreux points, Vinyan évoque fortement deux films fondateurs du cinéma fantastique moderne : tout d'abord Les Révoltés de l'an 2000 de l'espagnol Narciso Ibáñez Serrador dont du Welz voulait à l'origine s'offrir un remake, soit l'histoire d'un couple de touristes prisonniers d'une île espagnole sur laquelle règnent en maîtres les enfants, ces derniers assassinant tous les adultes croisant leur chemin. Le second film, c'est bien évidemment le troublant Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg, autre oeuvre sur le deuil impossible. On y suivait un couple séjournant à Venise après avoir perdu leur fille dans une noyade accidentelle et qui, au contact d'une voyante, se mettent à avoir d'étranges visions de leur fille disparue... Une horde d'enfants au visage si doux et pourtant inquiétants pour l'un, un enfant disparu, un environnement étranger, des visions et une voyante (dans Vinyan, une "vieille folle" croisée sur un bateau) pour l'autre. Il ne faut pas croire que du Welz n'a pas su digérer ses influences, les ressemblances avec les film de Roeg et de "Chicho" Serrador s'arrêtent là. Vinyan explore des contrées moins léthargiques, plus viscérales que celles des cinéastes sus-mentionnés. Le fantôme de Ne vous retournez pas permettait au couple formé par Donald Sutherland et Julie Christie de retrouver la flamme qui les animait avant le terrible accident ; celui de Vinyan au contraire, ne fait réapparition que pour mieux les séparer à tout jamais l'un de l'autre. S'immiscer entre eux et les détruire de l'intérieur. Rufus Sewell ne pourra rien y faire, Emmanuelle Béart se perdra progressivement dans un ailleurs qui n'appartient qu'aux esprits.

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Après avoir révélé le potentiel dramatique de l'immense Jackie Berroyer dans Calvaire, du Welz nous rappelle qu'une vraie comédienne se cache derrière la Emmanuelle Béart fourvoyée dernièrement dans Disco (on peut aussi rappeler les hontes que sont D'Artagnan et les trois mousquetaires, À boire ou même Un fil à la patte). Naguère égérie de Claude Sautet, Béart est habitée dans le rôle de cette femme ne pouvant accepter la mort de son enfant, refusant catégoriquement, quitte à progressivement s'approcher du bord de la démence, d'écouter son mari qui semble vouloir l'empêcher de retrouver son fils. Rufus Sewell de son côté confirme qu'il est l'un des acteurs contemporains les moins bien exploités au cinéma. Ce rôle ambivalent du mari tentant tant bien que mal de garder la tête sur ses épaules face aux délires maternels de sa femme, dévoile une facette bien moins manichéenne qu'à l'accoutumée. Jonglant admirablement entre l'hystérie cathartique et un jeu tout en finesse, intériorisé, les deux comédiens écorchés vifs se donnent corps et âme au cinéaste, se livrant littéralement nu à la caméra, dévoilant les moindres recoins de leur intimité.

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Fabrice du Welz ne s'est visiblement pas laissé submerger par ce passage des Hautes Fagnes, trou perdu de la Belgique rurale, à une Thaïlande bouillonnante, suffocante où tout se vend et tout s'achète. La monotonie rurale de Calvaire entrait en résonance avec la solitude du personnage campé par Laurent Lucas. Dans Vinyan, l'écrasante détresse de ce coupe est à l'image de ces terribles paysages de désolation. Loin de la carte postale type La Plage de Danny Boyle, c'est l'envers du décors idyllique que capte le cinéaste. François Eudes (A l'intérieur, Haute Tension) compose par là même une bande son à mille lieux du cliché "musique du monde tribale" pour s'aventurer dans quelque chose de plus dissonant, de plus anxiogène. Un jeu de distorsions rappelant fortement la première partie de Martyrs, où celle plus conceptuelle de Johnny Greenwood pour There will be Blood. Une glaçante mélopée qui n'a pas pour bête fonction d'illustrer l'image, mais plutôt d'exposer sensoriellement les tourments intérieurs et conflictuels du couple, sa perte de repères spatiaux et psychiques.

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Hypnotique, telle est la photographie de Fabrice du Welz et de son talentueux chef opérateur Benoît Debie qui ont élaboré cadres, lumières et mouvements de caméra dans l'optique de restituer à la caméra sa toute-puissance évocatrice. Du Welz fait en effet parti de ces rares cinéastes francophones (on rappelle qu'il est belge et non français) qui font du Cinéma avec un grand "C", qui utilisent leur caméra comme vecteur d'idées et d'émotions. Loin d'un certain cinéma français qui façonne toute la structure d'un film sur ses seuls dialogues lourds de sens et de sous-entendus ("du non-dit rempli de non-vu" diraient certains), du Welz se rapproche plus de l'école Noé (si seulement elle existe), perfectionniste et téméraire, n'hésitant jamais à unifier à l'écran le yin et le yang, ataraxie et réflexes primitifs. Dans Calvaire, la caméra traversant le pare-brise ou le plan séquence en contre-plongée totale nous avaient déjà subjugués : Vinyan comporte lui aussi son lot du plans brillants, de prouesses techniques rappelant à la fois le Soy Cuba de Mikhaïl Kalatozov que le Requiem pour un massacre de Elem Klimov. On signalera particulièrement deux plans tout simplement majestueux, qui, tout en guidant le spectateur, dévoilent ce que traversent intérieurement les personnages. Le premier plan associe dans un long travelling virtuose une dispute du couple avec les trafics orchestrés dans les rues de Phuket, insistant du coup sur les similarités entre ce que le couple se fait subir à lui-même et ce qui se passe quotidiennement dans les rues thaïs. L'autre plan séquence, ahurissant de complexité, intervient lui beaucoup loin dans la narration, lorsque le couple se retrouve nez à nez avec un vieux temple perdu au milieu de la jungle. Un point de non retour, une traversée de miroir où les attend un funeste destin prodigieusement rythmée par la mise en scène de du Welz.

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S'enfonçant consciemment dans ce néant d'affliction catalyseur de pulsions primaires, le couple meurtri achèvera son périple dans la douleur de leurs perversions viscérales. Transpirant de tristesse, l'implacable dénouement signe une sorte de renaissance absurde née d'un amour immodéré et infini d'une mère pour son enfant. Corrompu, perverti mais terriblement vivant. Sorti brisé de ce putain de choc qu'est Martyrs, on sort anéanti de Vinyan.




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