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Interview : Aditya Assarat

Le 07/05/2008 à 07:34
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Interview : Aditya Assarat

Surprise de la semaine, Wonderful Town nous plonge dans la région de Phuket et raconte une bouleversante histoire d'amour sur fond de reconstruction post-Tsunami. A l'occasion de son passage au Festival du Film Asiatique de Deauville 2008, où il a remporté le Prix du Jury, Aditya Assarat nous a accordé une interview. Le cinéaste thaïlandais, qui signe avec Wonderful town son premier long métrage, revient sur son parcours, la genèse et les thématiques du film, les sentiments que lui ont inspiré la région dévastée dans lequel celui-ci a été tourné... Entretien avec un réalisateur doué.

 

Comment êtes vous devenu réalisateur ?

J'ai fait mes études à l'Université de New York, et pendant mon séjour, j'ai eu l'opportunité de voir des tas de films. J'avais grandi en Thaïlande, et là-bas vous ne pouvez voir que des films chinois et américains. Lorsque je suis arrivé à New York, j'ai pu enfin découvrir un cinéma en provenance de tous les horizons. Pendant mes années universitaires, j'écrivais aussi beaucoup. J'ai d'ailleurs commencé en tant qu'écrivain parce que j'inventais sans arrêt des histoires, même lorsque j'étais au lycée. Un jour, je me suis dit que je voulais écrire des histoires pour en faire des films et c'est comme cela que j'ai commencé à écrire des scénarios. Ensuite, j'ai déménagé pour la Californie du Sud pour entrer à l'USC [NDLR : University of Southern California], une université très célèbre puisque George Lucas y a fait ses études. C'est là-bas que j'ai appris le métier de réalisateur.


Interview : Aditya Assarat

 

Avez-vous déjà fait des films aux Etats-Unis ?

Pas vraiment. Bien sûr, quand j'étais étudiant, j'ai réalisé un projet de fin d'études. Je devais faire un court métrage. Mais ensuite, j'ai décidé de revenir en Thaïlande pour les suivants. Celui auquel tout le monde fait référence pour désigner mon premier film est thaïlandais. En fait, j'avais toujours eu l'intention de revenir en Thaïlande parce que cela me semblait plus excitant. Evidemment, quand on travaille aux Etats-Unis, il y a plus d'opportunités et on est mieux payé. Mais à l'époque où j'ai eu mon diplôme, c'est à dire il y a sept ans, beaucoup de jeunes talents émergeaient dans mon pays avec des films d'un genre nouveau. Je voulais faire partie de ce mouvement.

 

Quels sont les réalisateurs qui vous inspirent ?

Je regarde beaucoup de films asiatiques et américains, étant donné que ce sont les plus répandus en Thaïlande. Je me sens proche des autres cinéastes asiatiques puisqu'ils font des films dans des conditions similaires à celles dans lesquelles je travaille. Quant au cinéma américain, c'est le plus diversifié et le plus intéressant au monde. S'il fallait citer un nom asiatique en particulier, je dirais Edward Yang, qui est mort l'année dernière. J'adore particulièrement Yi Yi. Les gens vous demandent souvent quel est votre film préféré, ce qui est une question ridicule puisque cela change toute le temps. Mais sans aller jusqu'à le qualifier de préféré, Yi Yi est sans doute le film dont je me sens le plus proche. Je l'ai énormément regardé. Quand vous regardez un film aussi souvent, vous vous l'appropriez en quelque sorte, comme si vous l'aviez fait.

 

Comment est venue l'idée de Wonderful Town ?

J'ai toujours voulu raconter une histoire d'amour. C'est le genre de films que j'ai envie de voir, même en tant que spectateur. J'aime les petits films qui parlent des relations humaines. L'être humain est ce qu'il y a de plus passionnant au monde. Or, en 2004, il y a eu le Tsunami. J'étais à Bangkok et j'ai vu des images de ce désastre dans le journal télévisé. Les news montraient cette ville thaïlandaise, Takua Pa, une bourgade dont personne n'avait entendu parler. Elle n'avait rien de spécial et je n'y étais jamais allé mais ces images m'ont marqué. Un an après, j'ai eu la chance de pouvoir m'y rendre. Je l'ai beaucoup aimée parce qu'elle avait une atmosphère très intéressante. C'était une ville très vieille, très calme et très triste. C'est lorsque j'étais là-bas que cette histoire m'est venue. J'aimais l'idée d'une relation amoureuse entre deux personnes à Takua Pa parce qu'elle mettait en opposition l'amour, qui a une connotation de jeunesse et de fraîcheur, avec tout ce que m'inspirait cette petite ville ancienne.

Interview : Aditya Assarat


A travers ce couple, ce sont deux mondes qui s'entrechoquent...

Effectivement. Dans une petite ville comme Takua Pa, les habitants forment une grande famille. Tout le monde se connaît. Quand le Tsunami a tout détruit, ils ont tous vécu l'expérience de la même manière. Beaucoup de gens ont péri pendant la catastrophe, et ils ont tous beaucoup souffert. Dans des petites villes comme celles-ci, si les habitants n'ont pas perdu pas un membre de leur famille, alors c'est un voisin ou un ami qui a disparu. Dans une famille, lorsqu'une personne est victime d'un accident, non seulement les liens se resserrent mais les gens deviennent plus méfiant vis-à-vis des étrangers. Ici, ils deviennent méfiants vis-à-vis de tous ceux qui ne viennent pas de leur ville, comme le citadin. Je pense que ce genre de choses peut arriver.

 

A un moment, dans le film, un homme prétend que les ruines sont hantées. Est-ce que la ville dégage cette impression?

Pas pour moi, en tout cas, parce que je ne crois pas aux fantômes. Mais lorsque l'on dit ce genre de choses, on fait souvent référence à l'histoire des lieux. Plutôt que des fantômes à proprement parler, il y a comme un parfum dans l'air, celui d'un lourd passé. Si c'est ce que l'on entend par « hanté », alors toute la ville est hantée. L'air paraît plus pesant en raison de tout ce qui s'est produit. En fait, le film ne parle pas vraiment du Tsunami, il raconte avant tout une histoire d'amour. Mais tout ce passé affecte naturellement cette histoire.

On a l'impression que la ville a été abandonnée par le reste du monde...
Oui, on ressent quelque chose comme cela. C'est une ville vide et il n'y a pas grand chose à faire sur place. De plus, le Tsunami a détruit tous les hôtels, ce qui signifie que l'industrie du tourisme a été ruinée du jour au lendemain. N'ayant soudainement plus de travail, tous les jeunes gens ont certainement déménagé pour trouver un emploi à Bangkok. Les personnes qui restent n'ont plus rien à faire, mis à part faire des allées et venues sur leurs motos, chercher des ennuis, etc.

Interview : Aditya Assarat

 

On croirait dans l'histoire que le bonheur leur est interdit...

Ce n'est pas forcément qu'ils n'en ont pas le droit, mais il faut qu'ils se reconstruisent. Vous savez, la première fois que j'ai vu des images de cette ville dans les news, on était en plein Tsunami. Tout était détruit. Mais lorsque je me suis rendu sur place un an après, ils avaient déjà tout nettoyé. Lorsqu'on parle de reconstruction, on fait bien sûr référence à la reconstruction physique et sur ce plan, les choses se sont faites très rapidement. Mais on oublie souvent de prendre en compte la reconstruction émotionnelle. Celle-ci prendra beaucoup plus longtemps pour les habitants de cette région. Il y a un véritable fossé entre ces deux types de reconstruction. Ce que j'ai voulu montrer à travers mon film, c'est que même si la ville est en apparence propre et réparée, les êtres sont toujours comme ils étaient il y a un an, ravagés à l'intérieur.


Les acteurs n'ont pas beaucoup de dialogues et la relation amoureuse entre les deux personnages ne s'exprime pas par des mots. Etait-ce intentionnel ?

Je suppose que ça l'est. En tant que scénariste et réalisateur, j'écris et je mets en scène ce qui me semble naturel. Je pense aussi que nous avons tous nos propres expériences de la vie, notre propre façon de parler et de bouger. Lorsque vous créez vos personnages, chacun d'entre eux est un reflet de vous-mêmes, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, de personnes jeunes ou âgées. Je suppose que cette manière d'exprimer l'amour correspond à ma conception des choses.

 

Interview : Aditya Assarat


La musique participe beaucoup à créer l'atmosphère du film. Comment l'avez-vous choisie ?

Je ne suis pas musicien, je suis juste sûr de savoir ce que j'aime et ce que je n'aime pas. En fait, je suis allé voir le compositeur, je lui ai montré le film une fois fini et je lui ai dit que je voulais de la guitare. En revanche, je lui ai laissé carte blanche pour la mélodie, les détails, la manière de jouer. Je pense sincèrement que, pour exprimer ce qu'il veut, un cinéaste doit faire confiance à son compositeur. Tout est une question de communication. Il faut faire en sorte que le compositeur soit en phase avec vous, ressente la même chose que vous. La musique n'est pas vraiment une affaire d'intellect mais d'émotions. Lorsque vous choisissez un artiste pour la musique, il faut que celui-ci comprenne et ressente votre film, qu'il ait la même vision de la vie que vous à ce moment-là. Et quand il vous propose quelque chose, vous devez être à même de dire si cela vous plaît ou non. De toute façon, je travaille de cette manière avec tout le monde. Un film n'est pas seulement le fait d'une personne mais de toute une équipe. J'applique donc la même méthode avec les acteurs, le caméraman et tous les autres membres de l'équipe.


Finalement, la musique exprime les émotions que les personnages n'expriment pas avec des paroles.

Oui, c'est vrai. Je n'y avais pas pensé sous cette angle mais c'est une remarque intéressante.

 

Comment avez-vous porté votre choix sur ces deux comédiens ?

Les acteurs ne sont pas des professionnels. Lui (Supphasit Kansen, ndlr) est en fait un musicien, et elle (Anchalee Saisoontorn, ndlr) une guide touristique. Nous avons fait passer des auditions et ils semblaient chacun correspondre à leur personnage. Comme ils n'avaient jamais joué auparavant, nous avons fait des répétitions et j'ai adapté un peu le scénario à leur personnalité. Par exemple, dans la version de départ, l'homme ne devait pas être un musicien, mais comme l'acteur en était un, j'ai ajouté cette dimension au personnage. D'ailleurs, il est souvent plus facile pour un acteur non professionnel de jouer son propre rôle. Il vaut donc mieux écrire le scénario pour lui que de lui demander de se changer en quelqu'un d'autre.

Interview : Aditya Assarat


 

Le projet a-t-il été difficile à financer ?

Oui, autant le dire. De toute façon, un film est toujours difficile à financer en Thaïlande car nous n'avons pas vraiment de système de subventions comme ce que vous avez en France. Wonderful Town est un film à petit budget mais je suis tout de même parvenu à trouver beaucoup d'aides, de la part d'organisations internationales notamment. Certaines sources étaient asiatiques, d'autres européennes : le Festival de Sundance a mis de l'argent par exemple, de même que celui de Pusan. En fait, quand nous avons commencé le film, nous avions tout juste de quoi le finir pour la vidéo. Le Festival de Pusan a fait en sorte que nous puissions le transférer pour le cinéma, ce qui coûte très cher.

 

Le film est-il sorti en Thaïlande ?

Non, pas encore. Il arrivera dans les salles françaises avant même d'arriver en Thaïlande. Il sort en France le 7 mai et il sortira là-bas le 15 mai.

 

Quel est votre sentiment vis-à-vis des nombreux prix que votre film a remportés ?

Je suis vraiment très content, bien sûr. Surtout que, lorsque vous faites votre premier film, vous ne savez pas encore très bien ce que vous faites. Vous n'avez aucune idée de ce que les gens vont penser. Lorsque vous remportez un prix, cela signifie en quelque sorte que vous n'avez pas si mal fait. Si mon film n'avait pas été remarqué et s'il n'avait été distribué nulle part, j'aurais en partie perdu confiance. Tout le monde réagirait de cette manière, surtout avec un premier ou un second film. Les prix apportent justement cette confiance dont on a besoin pour continuer.

 

Quel sera votre prochain projet ?

Mon prochain film ne sera pas très différent du précédent. C'est aussi une histoire d'amour, avec un homme et deux femmes, et l'histoire se déroule à Bangkok. Ce sera donc un film plus citadin, mais il sera encore une fois centré sur les relations humaines parce que c'est ce qui m'intéresse le plus.

 

Propos recueillis par Elodie Leroy et Caroline Leroy

Remerciements à Matilde Incerti et Audrey Tazière

 

Pour retrouver un extrait vidéo de cette interview, rendez-vous sur la vidéo du Festival du Film Asiatique de Deauville 2008 - Jour 4 : cliquez ici.

 

 








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