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Interview de Nico et Bruno

Le 13/01/2009 à 15:15
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Interview de Nico et Bruno

Nico et Bruno sont deux personnes qui semblent n'en former qu'une. Deux esprits en un dopés à la culture vintage et aux vidéos d'entreprise, deux accros aux agrafeuses oranges, aux bic quatre couleurs, aux photocopieuses, aux cadres moustachus, aux raies sur le côtés, aux ronds de cuir sous les coudes des vestes et au diagrammes projetés sur des toiles casses gueules lors des réunions de bureau. Une fascination dont ils étalent toute leur étendue dans le très chouette La Personne aux deux personnes, disponible en DVD et en Blu-Ray. Pour cette occasion, nous les avons rencontrés et sommes revenus sur un film trop injustement boudé lors de sa sortie en salles.

 

Interview de Nico et Bruno

 

Qu'est ce qui vous a traumatisé exactement la fois où vous avez mis le pied dans un bureau ?

Il n'y avait rien de vraiment traumatisant, mais comme une majorité de gens de notre âge, nous avons eu droit aux fameux stages en entreprise pour y faire des choses pas très intéressantes. Un stage, c'est fait pour motiver les personnes qui rentrent dans la vie active. Nous, ça nous a surtout donné envie de ne pas y retourner ! Ce qui nous plait dans l'atmosphère des bureaux, ce n'est pas tant que ça soit un sujet à part entière, mais plutôt que c'est un cadre d'une grande richesse. Un vrai univers propre, avec ses propres codes, ses propres uniformes, un bout de tissu pointu autour du cou  et des gens qui semblent déconnectés dès qu'ils pénètrent à l'intérieur. Ce ne sont plus les mêmes, ils parlent un nouveau langage, adoptent une nouvelle gestuelle. Un véritable jeu de rôle  en quelque sorte. C'est comme une pièce de théâtre dont ils sont les acteurs 70% de leur temps éveillé.  La vie de bureau, c'est une sorte d'univers parallèle, qui existe pourtant dans la vraie vie, sous nos yeux, derrière les fenêtres. Des millions d'aventures peuvent se dérouler derrière.

 

Interview de Nico et Bruno

 

C'est fascinant quand on est un auteur de sketchs, mais votre constat n'est pas très heureux sur l'état d'esprit dans lequel finissent vos personnages. En ce sens, peut-on comparer un peu votre film à Fight Club lorsque le simple cadre du travail et de l'influence qu'il a sur la vie personnelle peut amener à la schizophrénie ?

La schizophrénie, c'est souvent la réponse à une solitude très prononcée. On ne s'invente pas une double personnalité sans motif. Ca arrive lorsqu'on a personne à qui parler, avec qui on peut être soi-même. En cela on n'est pas très loin de  Fight Club. Les bureaux sont un véritable  un nid à schizophrènes dans le sens où les gens sont seuls. Nous avons baptisé ça "la solitude en groupe", parce qu'ils sont tous là, tous habillés pareils, à quelques centimètres les uns des autres mais c'est chacun pour soi. Des fois, même s'ils sont dans la même pièce, ils communiquent par téléphone ou par mail. Des gens se côtoient 40 heures par semaine sans jamais rien savoir de l'autre. C'est cette solitude que criaient déjà nos personnages de  Messages à caractère informatif où l'on privilégiait surtout l'univers vintage. On adore ces vidéos de winners des années 70/80 totalement délavées aux mises-en-scènes parfois très surprenantes... un esprit de "gagne" qu'on détournait au profit de problèmes de digestion difficile ou de paranoïa personnelle sur la 3ème guerre mondiale imminente. On s'est vraiment éclatés, le public était prêt à s'amuser avec ça, parce que tout le monde sait que ces films ne représentent qu'une façade ridicule. Et puis, avant d'écrire l'adaptation de The Office, Le Bureau, on a voulu s'injecter une petite piqure de rappel en passant quelques jours ici et là dans de vraies boîtes du 21ème siècle . Lorsque l'on prenait des témoignages de ceux qui travaillent dedans, on s'est rendu compte que les gens prenaient beaucoup sur eux. Ces grandes tours vitrées, où défilent ces silhouettes sont des vrais lieux de frustration. C'est comme Jean-Christian Ranu notre personnage principal, il prend sur lui, il accumule, il accumule, année après année... Mais il ne décharge jamais. Sauf la nuit (rires).

 

Pendant une scène de rêve, vous anticipez ouvertement un drame...

Parce qu'il n'y a que dans les rêves que les gens introvertis se lâchent. Ranu, il explose souvent sous cette forme. Pendant le film, on le voit régulièrement se réveiller en hurlant et trouver ça normal.  Lorsque l'on est partis en repérage à la Défense, l'architecture est parfois telle, avec ces petits ponts, ces passerelles, que l'on est parfois à 3 mètres de ces parois de verre où les gens travaillent. Ça a un côté complètement absurde, toutes ces cages à lapins superposées, à la fois très drôle et très angoissant.  C'est une chose qu'on a essayé de restituer dans la mise en scène : Ranu, même s'il est seul, n'est jamais seul à l'image, il y a toujours du monde autour, derrière. Il est isolé au milieu des autres. Si vous regardez bien, on ne voit jamais la ligne  d'horizon, il y a toujours en arrière-plan d'autres immeubles, avec d'autres cages à lapin... d'autres solitudes!

 

Interview de Nico et Bruno

 

Sorti des gags en façade, le fond est ouvertement dramatique. C'est même très flagrant au second visionnage.

C'est quelque chose qui nous plait d'être sur le fil entre la comédie franche et entière et quelque chose de plus grave. Ne pas nécessairement être étiquetés sur du comique pur. C'était déjà le cas sur notre adaptation de 99 francs où, à un moment donné, on ne sait plus quand arrêter de rire et où commencer à s'inquiéter. De toute façon, on rigole souvent de choses qui ne sont fondamentalement pas heureuses.

 

Ca doit être pour cette raison, alors, que je trouve très triste que le personnage d'Alain Chabat meurt seul, dans sa voiture, en écoutant sa propre chanson au début du film...

(Ils éclatent de rire) Vu comme ça, c'est effectivement désolant, oui. C'est peut-être une manière de mourir sur scène, aussi... Mais c'est pour ce genre de sensations hybrides qu'on a voulu Daniel Auteuil. D'abord parce qu'on est des grands fans de ses premières comédies dans lequel il excellait et que les gens ont tendance à oublier. Et à côté de ça, il a acquis immense expérience dramatique, ce qui lui offre vraiment la capacité de piocher dans un peu des deux. On a vraiment eu du bol, parce qu'il avait pile envie de ça à ce moment-là . Il était notre premier choix en plus.

 

Comment êtes vous parvenus à le convaincre ?

Il connaissait notre travail et le scénario lui a beaucoup plu. Apparemment il a beaucoup rit mais il s'inquiétait aussi parce qu'il se demandait exactement, au niveau de son jeu,  ce qu'il allait bien pouvoir faire à l'écran pour rendre tout ça crédible. Il n'avait jamais fait quelque chose de comparable jusque là. Alors on a eu droit à un véritable interrogatoire, chez lui, en compagnie d'Alain Chabat. Quand il nous a invité, on pensait que ça allait être à la cool et en fait, pas du tout. Il nous a dit ''Ok, j'ai beaucoup rit, mais comment vous allez faire ça ?''. On lui a fait un exposé de 2 heures, ensuite on a lu quelques scènes.  Alain était déstabilisé  parce que Daniel fuyait son regard. Ça allait pourtant être la réalité du tournage, ils ne se verraient jamais! Puis on les a fait s'assoir dos à dos et on a lu tout le scénario comme ça. C'est très spécial, mais ça les a préparés à la chose. Ensuite, pendant le tournage, on utilisé un stratagème un peu similaire avec un système d'oreillette. Daniel entendait donc vraiment Alain qui était à quelques mètres de là, dans une tente, avec un retour vidéo, un casque et un micro et ils se donnaient mutuellement la réplique comme ça. On souhaitait vraiment un jeu entre les deux, un plaisir d'échange qu'on n'aurait pas retrouvé s'ils avaient été enregistrés séparément. Alain était là tous les jours, isolé dans sa petite tente sur les murs de laquelle on avait tapissé des images de cerveaux... Pour le mettre dans une ambiance cérébrale !

 

Interview de Nico et Bruno

 

Ca apporte surtout à Daniel Auteuil une espèce de regard dans le vide quand il lui répond et qui rend leurs échanges assez hilarants.

Ca on adore ! Ca apporte quelque chose dans l'œil de Daniel. Surtout au début du film. Il a eu quelques reflexes très naturels qui lui donnent parfois l'impression de passer pour un dingue. Quand on est au téléphone, on communique différemment, mais ce sont des choses inconscientes difficiles à écrire et reproduire. L'oreillette a offert un vrai naturel à tout ça. On s'est tellement habitués à ça que parfois, en allant manger, on oubliait Alain tout seul dans sa tente... Ou alors on oubliait d'éteindre l'oreillette de Daniel et ils continuaient à parler ensemble. C'est assez loufoque de regarder Daniel dire '' Oui ? Hein ? '' alors qu'on ne lui disait rien, ou alors le voir s'éloigner en faisant les cent pas et en agitant les bras...

 

Vous viviez et vous vous laissiez avoir, en direct par quelque chose que vous aviez pourtant écrit pour la fiction !

Exactement! C'était aussi la preuve que la blague fonctionnait parfaitement!

 

A propos d'organisation technique, votre film impose un véritable soin en matière de mise en scène et tord le cou aux idées reçues sur les comédies françaises dont on néglige l'esthétique...

Ce que les gens ne savent pas, c'est que même dans les écoles de cinéma, on enseigne que "recherche esthétique et comédie sont incompatibles"! Que le Rire c'est: un champs/contre-champs, des acteurs, des situations et des couleurs vives! Que l'esthétique vampirise l'humour! On n'a jamais vraiment compris. Pour nous, mise en scène et comédie sont imbriquées, l'une ne va pas sans l'autre.Tout peut servir le rire: un cadrage, une lumière, un mouvement de caméra, un décors, un canabureau, un minitel, un trombone... On est des gros, gros fans d'accessoires! On a failli tomber dans le coma en découvrant la malette-projecteur de diapos de Ranu chez notre décorateur! Un des plus beaux objets du film!

 

Interview de Nico et Bruno

 

Mais ces exigences de mise en scène ont un coût...

Et oui...  Dans notre cas, c'est beaucoup de boulot et notre producteur Alain Chabat nous a suivi à 2000%.  Une repéreuse a cherché  l'appartement de Ranu pendant deux mois, mais ça correspondait à un vrai choix de mise en scène et ce qu'on dépense là dedans, on le perd ailleurs... On savait précisément ce qu'on voulait, on voulait vraiment cet appartement qui donne sur le périph avec la Défense derrière, parce que tout le propos de notre film est là. Etre seul au milieu des autres... Au final, cet appartement de rêve, on l'a trouvé ! C'est un bureau sinistre qu'on a transformé en appartement de rêve! Magie du cinéma!

 

J'y avais presque cru. Notamment avec cette double pancarte en façade de l'immeuble qui indique que le bâtiment abrite une partie pour des résidents, et un autre pour des bureaux... Je trouvais ça trop grave pour avoir été inventé.

Ca, c'est réel ! C'est vraiment génial que vous l'ayez remarqué. On ne voulait pas faire un gros plan dessus parce que ça aurait été poussif, mais c'est un bâtiment qui existe vraiment et qui nous fascine depuis qu'on traîne à la Défense. Ca résume tout l'esprit de Ranu...

 

Comme ce travelling arrière dans les toilettes qui n'en finit pas, avec cette prise de courant au milieu du mur ?

Non, ça n'existe pas, ça (rires).  On l'a reconstruit et ça fait neuf mètres de long... Cette prise de courant c'est un des mystères de Ranu.

 

Interview de Nico et Bruno

 

Vous auriez pu faire le même film sans tout ça, tout cet univers hors du temps ?

Ca aurait été moins intéressant. D'abord parce que nous, on adore ça, on s'éclate avec. Ca reflète la frustration et l'isolement du personnage et on n'exagère pas tant que ça. Des Ranu, tel qu'on le dévoile dans le film, il en existe. A la Défense on en a vu plein. Daniel lui-même n'en revenait pas et venait nous le dire ''Je viens d'en croiser un !''.

Même si c'est un peu parallèle, c'est un univers qui a des encrages dans la réalité. Des types habillés comme lui, il y en a plein. Qui vivent près du périph et qui font coucou aux voitures, on en a vu aussi. Et puis sur un point de vue purement cinématographique, ça sert le côté fable. Un mec de 30 ans, sans cravate et qui bosse Avenue George V, ça aurait été moins magique!

 

Et à contrario, vous n'avez pas été tentés de raconter une histoire de bureau sans le postulat ''fantastique'' qui fait intervenir le personnage de Alain Chabat ?

En fait, on a fait ça, mais d'une manière détournée... Au début, le spectateur pense être dans une comédie fantastique, une sorte de film de fantôme. Mais on se rend compte à la fin que ça a un double sens. Revoir le film une seconde fois offre sans doute une autre perception parce que ça devient clairement une histoire de bureau, avec tout ce que ça peut avoir de psychologiquement dévastateur... Vous nous parlez de drame, et c'est aussi juste que de dire que c'est une grosse farce.

 

Interview de Nico et Bruno

 

C'est essentiellement ce chanteur échappé des années 80 qui entretient le côté farce. Comment avez-vous façonné ce personnage ?

Deux choses nous amusaient. D'abord, un contraste évident entre le côté showbiz et le côté comptabilité . Ensuite, de pouvoir mettre en extrême promiscuité deux personnes qui vont chacun se qualifier de ringard, alors que le problème n'est pas là. On l'a imaginé comme quelqu'un des années 80 mais il n'est pas si loin d'une star contemporaine. Il a une vie, un quotidien... il n'est pas seulement un people invité à Sacrée Soirée. Même si Sacrée Soirée n'existe plus. Et même si de toute façon il n'y serait pas invité!  Il a été créé en fonction de Ranu, de la façon dont il le compléterait, parce que ce sont deux identités qui se soutiennent jusque dans la plus grande intimité. Ca nous renvoie à ce fameux couloir de neuf mètres dont on parlait...

 

On peut donc affirmer que la morale de toute cette histoire c'est que l'avenir des employés de bureau, c'est le showbiz ?

(Rires) Bien sur... En tout cas c'est une solution à leur problème. La Starac' c'est terminé maintenant, il faut proposer de nouvelles choses !

 

Propos recueillis le 29 décembre 2008







La Personne aux deux personnes
La Personne aux deux personnes
Sortie : 6 Janvier 2009
Éditeur : Studio Canal Video

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