127 Heures
Le 23/02/2011 à 09:22Par Arnaud Mangin
S'il n'en n'est plus à son coup d'essai, Danny Boyle signe une fois encore un coup de maître en proposant avec 127 heures un survival tendant plus vers l'illustration d'une philosophie de vie qu'un thriller pur et dur. Un peu bouddhiste sur les bords et bourré d'idées visuelles insensées, son nouveau film tend à l'illustration spirituelle contemporaine en démontrant que l'on peut coupler l'énergie graphique et la sérénité d'un propos sans qu'ils se perturbent mutuellement. Ça tient du génie et c'est plutôt logique, puisque le film est génial !
Découvrez ci-dessous la critique de 127 heures...
Critique 127 heures
Il est impressionnant de constater à quel point certains réalisateurs n'arrivent pas à faire retomber leur vivacité inspiratrice en enchaînant à tour de bras les succès artistiques. Ils sont d'ailleurs très rares et Danny Boyle est de ceux-là. Décidemment à l'affut du bon plan, du bon sujet, de la bonne idée et surtout de la bonne vision, le metteur en scène britannique n'a de cesse d'aller de l'avant. Et il accomplit avec 127 heures l'exploit déjà constaté sur ses œuvres précédentes. A l'instar de Slumdog Millionaire, Sunshine ou 28 jours plus tard, Boyle parvient à créer la surprise, à jouer avec les registres, qu'il réinvente presque littéralement, et nous offre une bouffée d'air particulièrement vivifiante dans son aspect formel comme dans thématiques spirituelles. On ne lui en demandait pas tant, surtout avec un point de départ comme celui de 127 heures, qui aurait pu se résumer à un autre Buried (qu'on trouve bien évidemment très bien dans son genre), tiré d'une histoire vraie de surcroît. Mais le cinéaste y a surtout vu l'opportunité d'aller un peu plus loin, pas forcément dans le suspense mais dans la manière de confronter la conscience de l'homme isolé à sa propre mort. Le désespoir et la nostalgie.
127 heures s'inspire de l'autobiographie "Plus fort qu'un roc" dans lequel l'alpiniste Aaron Ralston raconte un impressionnant et terrifiant périple : après une chute dans une crevasse, il entraine avec lui un énorme rocher qui lui écrase la main contre une paroi, dont il devient alors prisonnier. N'ayant qu'une liberté d'action réduite, il est coupé du monde et ne doit compter que sur lui-même pour s'extirper de la situation, quitte à accomplir l'impensable. Boyle profite d'une part du double concept "thriller/histoire vraie" de son pitch pour poser une tension avec un certain brio, mais il exploite surtout toute la part de psychologie introspective que peut susciter une telle situation chez son protagoniste. Et le cinéaste ne fait pas les choses à moitié : il ne propose pas uniquement une forme de cinéma expérimental mais aborde son intrigue et sa déviance comme un pot pourri de techniques narratives, multi-conceptuelles, en jouant avec les multiples codes visuel des genres tous azimuts mais également de la publicité et la télévision, jusqu'au journal intime vidéo. Tout y passe, venant nourrir une illustration des sentiments par une imagerie moderne aux facettes disparates.
Le film débute comme un spot Décathlon d'une énergie folle (rarement une introduction a autant donné la patate), soutenu par une illustration musicale, comme souvent chez le metteur en scène, très pertinente. Ensuite, selon l'humeur, le degré de folie de son héros et ses multiples prises de conscience hallucinatoires, le film s'essaye à mêler les différents tons, et le fait avec brio : le drame familial, la comédie romantique, le teen movie décomplexé, le film catastrophe fantasmagorique et même l'horreur quasi-cannibale façon Ruggero Deodato. Rien que ça ! Le tout en multipliant les idées visuelles et immersives les plus folles. Les plans hyper serrés, aux frontières de la coloscopie, y sont légion et permettent à Boyle de s'immerger pleinement dans son personnage, au sens propre comme au figuré. Quitte à parfois nous faire grincer des dents lorsque l'expérience devient physique et nous prendre par les trippes lorsque James Franco, vraiment extraordinaire de naturel et d'émotions variées, souffre, délire ou jubile.
Du spirituel au (bon) relent clippesque, semblant avoir saisi la meilleure façon de donner corps à la nostalgie onirique, là où dans un autre registre, un Lovely Bones, par exemple, en faisait beaucoup trop. Nous voici face à un véritable film bouddhiste qui prend vie avec l'improbable renfort de Scoubidou et Plastic Bertrand (ce n'est pas une blague) et qui fait de 127 heures le film graphique le plus riche de Danny Boyle depuis Trainspotting.
Article publié le 22 novembre 2010