L'Etrange Histoire de Benjamin Button
Le 03/02/2009 à 10:23Par Elodie Leroy
David Fincher n'a décidément pas fini de nous surprendre. Après Zodiac, le cinéaste se lance avec L'Etrange Histoire de Benjamin Button dans une épopée mélodramatique ambitieuse, puisant avec originalité dans un genre populaire pour explorer la condition humaine. Utilisant la marginalité pour atteindre l'universalité, cette fable singulière développe un propos d'une étonnante profondeur sur la vieillesse et le sens de la vie. D'une beauté inouïe, fourmillant de bonnes idées narratives, la mise en scène de Fincher épouse le parcours étonnant de Benjamin Button et capte avec pudeur les émotions des personnages sans jamais forcer sur l'effet lacrymal. Et nous lui en sommes reconnaissants. Soutenu par une galerie pittoresque de protagonistes secondaires, les deux figures centrales s'ébauchent et prennent progressivement toute leur ampleur, toujours plus attachantes et formidablement interprétées par Brad Pitt et Cate Blanchett, le premier brillant par son intensité et sa capacité à traduire le décalage entre l'âge intérieur et physique de son personnage, la seconde par sa grâce et son entière dévotion à son personnage. L'Etrange Histoire de Benjamin Button raconte sans aucune fausse note une histoire d'amour à la fois sombre et chaleureuse qui nous laisse avec des images plein la tête et qui a de quoi étonner de la part du réalisateur de Fight Club. Conservant son intégrité artistique, David Fincher excelle décidément dans tous les registres. En un mot : brillant.
Deux ans après l'excellent Zodiac, David Fincher fait avec L'Etrange Histoire de Benjamin Button un virage à 180 degrés en termes de registre mais prouve une fois de plus qu'il est l'un des réalisateurs les plus passionnants de cette génération de cinéastes révélés dans les années 90. Si l'on déplorait récemment chez un certain Baz Luhrman l'abandon de son style enlevé au profit des lourdeurs propres aux grosses machines hollywoodiennes, il semble que cette fâcheuse tendance à l'abdication de la personnalité d'artiste ne guette pas encore David Fincher. Le réalisateur qui étonnait il y treize ans avec le thriller nihiliste Se7en et qui faisait scandale quelques années plus tard avec le subversif Fight Club a évolué, certes, mais il possède toujours cette même verve et cette capacité unique à nous faire vibrer en empruntant les chemins les moins conventionnels qui soient. Car si L'Etrange Histoire de Benjamin Button revêt des atours d'épopée mélodramatique, genre populaire par excellence, le film évite toutes les facilités du genre, voire en détourne certains clichés, pour atteindre une véritable profondeur et raconter une histoire d'amour singulière et extrêmement touchante.
L'Etrange Histoire de Benjamin Button fait pourtant le pari un peu casse-gueule, car vu et revu mille fois, du grand flash back opéré par le biais d'un journal intime. Une idée narrative au premier abord désuète mais qui recèle ici un intérêt inédit grâce à un habile entrecroisement du point de vue du narrateur, Benjamin (Brad Pitt), et de l'auditrice, Daisy (Cate Blanchett). Le récit peut ainsi utiliser à loisir le hors champ pour tisser avec une grande liberté les destinées de ses deux personnages principaux, qui évoluent indépendamment et en miroir pour atteindre un point de rencontre et d'équilibre fort bien amené. Il faut dire que pour adapter la nouvelle de F. Scott Fitzgerald, David Fincher n'a pas choisi son scénariste au hasard puisqu'il a fait appel à Eric Roth, à qui l'on doit déjà l'écriture de Forrest Gump. Un film avec lequel L'Etrange Histoire de Benjamin Button partage quelques thématiques, à commencer par celle de l'anonyme atteint d'une tare mais qui va transcender sa condition pour connaître un destin exceptionnel. Une belle idée nourrie ici par un propos touchant sur la vieillesse et le sens de l'existence, la curiosité comme moteur de la vie, l'importance des choses les plus simples et du bonheur le plus éphémère.
Ancrée dans un décor très chiadé issu d'un énorme travail sur la direction artistique et sur la photographie (l'ambiance très travaillée de la Nouvelle Orléans à des époques différentes), le film prend parfois des allures de conte de fées, avec son humour délicieux et ses fantaisies narratives parfaitement bien dosées. L'histoire est sublimée par une mise en scène d'une beauté renversante, dans les scènes intimistes comme dans la bataille en pleine mer aussi furtive que violente. Un soin visuel typique de Fincher qui n'empêche nullement les sentiments dépeints d'atteindre un réalisme bienvenu grâce à une écriture très fine des personnages, à commencer par Benjamin Button lui-même dont le parcours est d'une incroyable richesse. Se transformant à l'écran grâce à des maquillages et effets spéciaux époustouflants, Brad Pitt fait sans en avoir l'air une véritable performance d'acteur, parvenant à rendre le décalage entre l'âge physique et mental de son personnage grâce à un jeu tout en sobriété, très intériorisé. L'alchimie Fincher/Pitt, dont c'est la troisième collaboration après Se7en et Fight Club, fait une fois de plus des étincelles et le réalisateur tire parti de manière intéressante du caractère iconique de son acteur, notamment lorsque Benjamin parade en moto tel un jeune premier alors qu'il est un homme vieillissant à l'intérieur. Cate Blanchett donne avec grâce la réplique à Brad Pitt, faisant comme à son habitude preuve d'une complète dévotion à son personnage, dont le développement s'avère lui aussi passionnant et peu conventionnel.
Si L'Etrange Histoire de Benjamin Button peut se targuer de ne comporter aucun méchant, les protagonistes secondaires se révèlent tous extrêmement attachants, y compris - et peut-être d'autant plus - lorsqu'ils opèrent des choix égoïstes. Parmi eux, on retiendra Elizabeth Abbot (Tilda Swinton, excellente), dont l'arrivée introduit une mélancolie qui ne quittera plus le film, mais aussi le pittoresque Capitaine Mike (Jared Harris) et bien sûr la figure maternelle très attendrissante incarnée par Queenie (Taraji P. Henson). On pourrait en vérité citer tout le casting tant le film ne comporte aucune fausse note, l'humanisme du regard porté sur les rencontres de Benjamin ne confinant jamais au chantage émotionnel. En cela, David Fincher réalise un vrai tour de force compte tenu de la difficulté de son sujet et le risque constant de sombrer dans la mièvrerie. Le cinéaste signe une fable d'apparence hollywoodienne mais en réalité très singulière, sombre dans ses thématiques mais qui dégage pourtant une vraie chaleur humaine et nous laisse avec des images plein la tête. Du grand cinéma.
Première publication le 8 janvier 2009 à 13h19