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Silent Hill : interview de Christophe Gans

Le 20/12/2006 à 00:44
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Silent Hill : interview de Christophe Gans Nous sommes le 5 Décembre 2006, deux jours avant la sortie de Silent Hill en DVD. C'est dans la petite salle de montage de HK Video dans les locaux de Metropolitan qu'aura eu lieu cette interview du réalisateur de Silent Hill, Christophe Gans. "Je suis pas mal les forums. Les gens ont beaucoup d'idées préconçues sur le marché de la vidéo, le cinéma, la conception des films.. Ce n'est pas méchant, c'est même amusant mais ils sont très loin de la vérité, qui est souvent beaucoup moins glamour ou beaucoup mythique que ce qu'ils aimeraient croire. On va donc avoir pas mal de points à aborder !". Des propos qui résument bien ce qui suivra : 2h46 d'enregistrement, plusieurs heures de retranscriptions, un ou deux coups de fils pour des questions supplémentaires, et quelques aller/retour par mail pour encore en rajouter une couche. Il fallait bien ça pour interviewer un passionné de cinéma et de DVD qui a énormément à raconter. De Silent Hill à Onimusha, son prochain film, en revenant sur le temps mort qui sépara les sorties du Pacte des Loups à son film suivant (six ans), les propos qui suivent parcourent toute l'aventure du film, avant, pendant et après...

Silent Hill : interview de Christophe Gans
PARTIE 1 :
SILENT HILL, LE FILM ET LE DVD : L'ENVERS DU DECOR
Beaucoup n'ont pas compris que le zone 2 de Silent Hill n'apporte pas énormément de bonus supplémentaire par rapport au zone 1 par exemple.
L'explication est en fait assez simple. Le film a été terminé dix jours exactement avant la sortie dans les salles américaines, qui avait lieu elle-même dix jours avant la distribution française. Le film contient très exactement 756 plans d'effets spéciaux, et comme la plupart des films riches en SFX, il a été terminé au dernier moment. Je tiens à le dire, ça n'a rien d'exceptionnel. Mais il fallait que les effets nous satisfassent, moi, mon monteur Sébastien Prangère et mon producteur Andrew Mason. Ce dernier n'a pas été seulement producteur des Matrix, il avait été aussi directeur des effets spéciaux sur The Crow et Dark City, et il a donc une bonne connaissance en la matière. A nous trois, nous avions une idée très précise du standard de qualité que nous voulions atteindre, en fonction bien sûrs des 4 millions de dollars réservés dans le budget aux SFX....

4 Millions de dollars pour les effets spéciaux ?? C'est tout ?
C'est quand même beaucoup mieux que les 300.000 Euros pour les effets du Pacte des Loups ! (rires) Toujours est-il que nous avons travaillé jusqu'au dernier moment, et qu'il nous était impossible de nous concentrer sur la création de bonus. Les gens savent bien que Sébastien Prangère - qui a supervisé les suppléments de tous mes DVD - et moi-même, nous savons faire des éditions collector dignes de ce nom. On aime ça, on est fans de DVD, on est des fétichos du support. Mais nous n'avions pas le temps... Car une fois le film sorti, notre travail n'était pas fini : par contrat nous devions livrer les éléments vidéo tels que la copie « pan and scannée » pour les chaînes commerciales, une autre au format 1 :77 pour de futures diffusions HD, une version censurée (qui ne passera sans doute jamais nulle part - elle dure moins de 80 minutes !)... Sur un plan plus positif, nous en avons profité pour perfectionner certains plans d'effets spéciaux et les introduire dans le master vidéo ! Au final ce n'est pas quatre mois que nous avions avant la sortie du DVD américain, mais deux tout au plus. Et pour un film comme Silent Hill, il faut du temps : on parle d'un film avec un background mythologique, qui est l'adaptation d'un autre media... Il y a donc un travail éditorial colossal à fournir pour une édition collector digne de ce nom. C'était matériellement impossible d'y arriver...

Silent Hill : interview de Christophe Gans

Outre le facteur temps, mon autre problème était le mauvais souvenir que j'avais gardé du DVD collector du Pacte des Loups. StudioCanal avait voulu sortir très vite une édition collector dont je n'étais pas entièrement satisfait. C'était l'édition 3 discs avec cette pseudo couverture cuir que j'avais trouvé minable. Pour moi le vrai collector du Pacte a bien été l'édition 4 discs sortie un an plus tard, après que la précédente ait été épuisée. Elle présentait un très joli packaging - couverture lenticulaire et reliure solide - qui avait été réalisé à l'intérieur même de la structure HK par ma collaboratrice Paola Boileau (ndlr, elle s'occupe également des jaquettes et menus des DVD HK, après avoir été longtemps en charge de la maquette de HK Magazine). Mais les gens ont pris cette nouvelle édition comme une façon à peine dissimulée de leur peler la laine sur le dos. Je les comprend : ils avaient acheté une édition 3 DVD, et tout à coup on leur disait que le vrai collector était celui qui en contenait 4 !! Pour éviter de reproduire ça, j'ai décidé que l'édition zone 2 ne propose que le film et les bonus déjà existants dans le Z1. Tout ce que je me suis permis, c'est d'optimiser le transfert avec un nouvel étalonnage et en répartissant le contenu sur deux disques. Un point c'est tout. Le collector de Silent Hill existera un jour, mais pas avant longtemps. Je pars préparer et tourner mon prochain film, Onimusha, et je ne m'occuperais de ce Silent Hill collector qu'à mon retour. C'est à dire pas avant deux et demi-trois ans.

Qu'en est-il du documentaire d'une heure présent sur le DVD ?
C’est un « making of » promotionnel type. Il a été réalisé par une équipe de Sony-Tri-Star (le distributeur américain) avant même la fin de la post-production: c'est pour cela qu'il n'y a rien sur les effets optiques du film, puisqu'ils n'existaient pas encore ! Ce making of se concentre donc sur les effets réalisés à même le plateau, comme les créatures, leurs chorégraphies, les décors, l'architecture du monde de Silent Hill, etc. Pour moi, il s'agit d'un témoignage intéressant mais amputé d'une grosse partie de ce qui fait la caractéristique du film.

Silent Hill : interview de Christophe Gans

Vous songez à utiliser les possibilités des nouveaux formats Haute Définition ? (le HD-DVD, le Blu-Ray)
C'est effectivement une troisième raison valable de repousser le collector. Nous sommes dans une période un peu bizarre actuellement : nous avons un pied dans le passé, le DVD basse def’, et un pied ou plutôt trois doigts de pied, dans le futur, la HD. (il s'énerve) En ce moment, les films sortent d'une manière désordonnée, souvent rassemblés pêle-mêle dans d'énormes coffrets... J’ajouterai que les éditions soignées sont devenues extrêmement rares. Il y a bien quelques exceptions, comme King Kong. Mais c'est uniquement parce que Peter Jackson est sur le pont. Il faut dire la vérité : les DVD qui sortent aujourd'hui aux Etats-Unis à flux tendu sont infiniment moins beaux que ceux qui sortaient il y a 3-4 ans. Et ce, parce que les éditeurs ne pensent plus qu’à écluser leur catalogue. L'autre jour j'ai acheté un DVD import contenant trois films avec Randolph Scott, dont deux très beaux signés André De Toth : les trois longs métrages sont sur la même galette, sans sous-titres, sans rien. Et c'est Warner qui sort ça ?! Ils n'avaient jusqu’alors jamais édités de DVD sans sous-titres, français ou anglais.
Tout ça pour dire que sortir un DVD soigné dans un tel marché, ne rime plus à rien. Il vaut mieux se fixer sur l'arrivée de la haute déf’ et la façon dont on va pouvoir à nouveau rendre « sexy » une édition vidéo, et proposer à ce moment là le collector de Silent Hill, peut-être en bundle DVD/DVD HD. Ca vaudra mieux que se précipiter pour proposer un truc à moitié cuit.

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Vous avez vu le Blu-Ray de Silent Hill sorti en import ?
Non. D'ailleurs je n'ai eu aucun droit de regard sur le DVD américain, que je trouve personnellement pitoyable. Je pense que vous avez vraiment été très gentils sur Dvdrama avec cette édition Z1. La jaquette est affreuse, la façon dont a été traitée la compression est absolument désastreuse, et le master haute déf a été plus ou moins bidouillé pour réaliser un master basse déf un peu grisouille (ndlr, en effet un DVD est toujours réalisé à partir d'un master basse déf lui-même tiré d'un haute déf). C'est une erreur courante aujourd’hui : on travaille le master HD sans se préoccuper de ce que ça va donner en basse def’ sur DVD. Pour le zone 2 de Silent Hill, j'ai préféré tirer tout de suite un master basse déf et travailler à partir. C'est pour ça que le résultat est impec’ (rires) ! J'ai tenu compte des limites du DVD et optimisé le rendu sans prendre le moindre risque. Au total nous avons passé huit jours pleins sur l'étalonnage – et c'est beaucoup puisqu'en général un DVD est fait en une seule journée maxi ! Après chaque session, j'ai fait masteriser le résultat, et demandé à ce qu'un DVD de contrôle soit tiré pour que je puisse le visionner sur plusieurs écrans. Et ensuite seulement je portais mes corrections. Ca a rendu tout le monde dingue... Mais je vous jure que c'est la seule manière d'y arriver. J'ai toujours fait ça pour mes films.

Mais tous les réalisateurs ont les moyens de superviser de la sorte leur DVD ?
Non. Heureusement pour moi, je travaille chez Metropolitan, la compagnie de Samuel Hadida, où j'ai carte blanche. Il ne faut pas jeter la pierre aux pauvres cinéastes à qui on enlève leur bébé pour en faire de mauvais DVD : ils ne sont pas protégés comme je le suis. J'ai beaucoup de chance. Ce n'est pas que je sois plus perfectionniste qu'un autre. Les réalisateurs devraient tous avoir ce genre de contrôle sur leur film. Mais ce n’est pas le cas...

Silent Hill : interview de Christophe Gans

C'est un peu ce qui est arrivé à Pascal Laugier sur St Ange chez ARP (et produit par Gans, ndlr)
Dieu sait que son film est beau ! Et pourtant Pascal n'a pas eu l'occasion de contrôler son DVD. A telle enseigne que l’édition de St Ange sortie au Canada est bien meilleure que la française : elle contient les deux versions du film (chaque scène a été tournée en anglais et en français, ndlr) sur deux DVD, accompagnées de suppléments qui n'existent pas sur l'édition française, dont les scènes coupées. C'est à dire que si les gens ont envie d'avoir St Ange dans une vraie édition, il faut qu'ils se tournent vers "House of Voices" – c’est son titre aux USA ! Une belle preuve que le boulot n’a pas été fait correctement chez nous.

En même temps ce n'est pas une surprise venant de ARP...
Chacun sa conception de l’édition vidéo. Personnellement je préfère toujours voir un film en salles, mais la vidéo représente la vraie vie d'un film. Le passage en salles est juste un moment de "prestige". Aujourd’hui un film existe d’abord et surtout sur les écrans plasma de nos salons, on le sait tous. Travailler à fond sur le master vidéo est une garantie pour moi que le film sera vu à la hauteur de ce que j'espérais pour le public.

Silent Hill : interview de Christophe Gans

En comparaison, vous aviez passé combien de jours sur l'étalonnage du Pacte des Loups ?
Plus ou moins une semaine, comme Silent Hill. En même temps, c'était très différent puisque pour Le Pacte des Loups, j'ai refait entièrement les couleurs. Il faut savoir que je suis responsable de l’étalonnage de mes deux derniers films, pour la salle comme pour la vidéo. A chaque fois, Dan Lausten, mon chef opérateur, n’était plus disponible, il était déjà parti sur un autre tournage. J'ai donc une bonne connaissance de la balance chromatique de mes films, et j'aime m'en occuper moi-même...

Qu'est-ce que l'on pourrait trouver sur le DVD collector de Silent Hill ?
Ce que j'aimerais explorer, c'est évidemment les relations entre l'univers du jeu et celui du film, et aussi tout ce qui nous a conduit, Akira Yamaoka et moi, à nos choix pour cette adaptation. J'ai travaillé main dans la main avec lui. Il a tout vérifié, dès l'écriture du script. J'aimerais vraiment parler de ça, parce qu'il est important de rendre à César ce qui appartient à César. Ce qui m'a passionné personnellement c'est de transposer non seulement cet univers mais surtout sa structure de jeu vidéo. Ca faisait longtemps que j'y pensais, et c'était passionnant de le faire avec pour support un jeu aussi "noble" et novateur. Mais sur le strict plan artistique, je me suis tenu à mon rôle d'illustrateur. Je me suis appliqué à ce qu'on retrouve sur l'écran les textures, les teintes, l'aspect visuel du jeu. Quand je parle dans mes interviews d'art contemporain à propos de Silent Hill, c'est jamais sans omettre que cette ambition était déjà présente dans le jeu ! Ce n'est pas une trouvaille de ma part, c'était l’intention de Akira Yamaoka et de la Silent Team. De fait j'aimerais reconstituer l'itinéraire qu'on a eu conjointement pour construire ce film. Beaucoup d'histoires y sont rattachées. Par exemple il était vital pour Yamaoka que le film se fasse dans la mesure où Silent Hill 5 n’avait pas reçu de feu vert. Comme chacun sait, les budgets des jeux vidéos n’ont cessé de grossir, et l’imminence du film pouvait convaincre Konami de valider financièrement un cinquième Silent Hill. Il y a donc beaucoup de choses à dire qui relèvent à la fois de la mythologie de Silent Hill, mais aussi de sa viabilité commerciale. Le jeu a beaucoup de succès dans les pays anglo-saxons, comme les Etats-Unis et l'Angleterre, ou encore en Allemagne. Mais il faut savoir qu'il s'en est vendu à peine quelques milliers en France... tout comme au Japon où Silent Hill n'a aucune viabilité commerciale ! C'est un jeu très ésotérique pour beaucoup de gens...

Quel a été le succès commercial du film à travers le monde, et notamment au Japon ?
On a eu deux marchés décevants, l'Allemagne et le Japon, pour une raison très simple : Silent Hill est sorti face à Mission Impossible 3 et Pirates des Caraïbes 2. On a été littéralement écrasés, et pour cause, nous touchions le même public, plutôt jeune. Mais sur l'ensemble du monde le film a bien marché. Il a amassé cent millions de dollars, ce qui était notre objectif, compte tenu des recettes des autres adaptations de jeux vidéo et en particulier les deux Résident Evil que Samuel Hadida avait d’ailleurs co-produit....
Le montage financier d’un film comme Silent Hill est un peu particulier : on ne peut pas analyser les recettes de Silent Hill comme on analyserait celles de Mission Impossible 3 par exemple. Mon film a été vendu territoire par territoire, et pour juger de son succès, il faut analyser ses recettes localement. Là où il a fait un vrai carton, c'est aux Etats-Unis. Le film a été acquis pour 14 millions de dollars par Tristar. Et c’est tout. Ils n’ont jamais rajouté un pecos. Son score en salles a avoisiné les 50 millions de dollars, auxquels il faut ajouter 30 millions de location de DVD et 30 autres millions de vente. Pour une mise de 14, c’est vraiment très bien ! Je préciserai que les dépenses promotionnelles se sont élevées à 25 millions. Il y aura donc bel et bien un Silent Hill 2 : il a été officiellement commandé, il est bien en route. Une fois qu’il aura fini son adaptation du jeu Driver, Roger Avary va plancher dessus, aidé par son pote Neil Gaiman.

Silent Hill : interview de Christophe GansRoger Avary et Samuel Hadida

Le succès de Silent Hill était gagné d'avance ?
Non, pas du tout. Je suis assez content car c'est l'un des gros succès de l'année en matière de film d'horreur, le troisième exactement en terme de recettes mondiales, juste après Saw 3 et La Malédiction. J’ajouterai que normalement ce sont des films pour ados, des suites ou des remakes qui rencontrent un tel succès. Or Silent Hill est un film bizarre, à mi-chemin entre la SF, les livres de Clive Barker et l'horreur hardcore... J'ai été aidé par l'incroyable confiance que m'ont prodigué non seulement les producteurs du film mais aussi les gens de Sony-Tristar.

Ils vous ont quand même demandé de rajouter les scènes avec le mari interprété par Sean Bean...
Effectivement : dans le script d'origine, le mari n'apparaissait seulement qu'au début et à la fin. Mais les executives avaient vraiment peur de faire un film sans élément masculin. Pour les réconforter, j'ai rajouté les scènes avec Sean Bean. Même si j'aime beaucoup celle où sa femme et lui se croisent dans deux dimensions différentes, je n’ai jamais trouvé ces scènes très utiles. Je savais qu’elles rajouteraient une masse d'informations et d'explications qui pouvait parasiter la pure ambiance onirique du film. Quand j'ai regardé le film achevé, je me suis rendu compte que ces scènes avaient crée un problème supplémentaire : par leur alternance de jours et de nuits, ces rajouts bouleversaient le temps « subjectif » du film. Désormais, pour le public, l’action ne se déroulait plus sur une journée, mais sur trois ! Le film avait été écrit et conçu par Roger Avary comme un épisode de Twilight Zone, c’est à dire sur un mode concis et ramassé. En lui ajoutant du gras, nous l’avons déséquilibré. Comme Tristar s’est limité à tester le film en interne, sans jamais le montrer à des gens extérieurs au studio, personne n’a anticipé ce problème. Ce n'est qu'après la sortie du film qu'on a tous réalisé qu'il aurait mieux valu dégager ces scènes et les garder pour le DVD !

Silent Hill : interview de Christophe Gans

Ces scènes ont été décidées pendant ou avant le tournage ?
Avant, encore heureux ! Sean Bean a été embauché très rapidement, il est arrivé la veille du tournage, fraîchement débarqué d'un autre film. Tout est allé très vite et nous n'avons pas vraiment eu le temps de réfléchir sur ces scènes. D'ailleurs quand je montais le film, j'ai continué à réécrire certains éléments que je ne trouvais pas formidable. Comme Sean n'avait tourné que cinq jours et nous en devait encore trois par contrat, j'en ai profité pour retourner des plans avec lui, sur un rythme plus rapide. Comme ce coup de fil dans la voiture qui remplace une scène avec une archiviste. De tout ce mic mac, je retire qu'un film d'horreur ne doit pas durer 2h05 !! (rires). Le genre se contente très bien de 105mns, et Silent Hill aurait dû avoir cette durée...

Le studio n'avait pas conscience de ce problème de durée ?
Non, ils ne raisonnent pas comme ça. Les gens des studios sont très gentils la plupart du temps. Mais leur vision du public est exclusivement démographique : il faut que les jeunes blancs soient contents, que les jeunes noirs soient contents, que les jeunes filles soient contentes, que les jeunes hommes soient contents, etc etc. C'est à dire qu'ils construisent un film en additionnant les publics et non pas en se référant à un public global. Regardez Les Infiltrés de Scorsese : le film dure 45mns de plus que la version de Hong Kong qui était parfaite, et pourquoi cela ? De toute évidence parce qu'ils voulaient développer le personnage de la fille. Sans ça, les seuls personnages féminins du film seraient des putes ! On imagine l’embarras des executives ! Ca marche comme ça aux Etats-Unis et on doit s'y plier. Mais dans mon cas ce n'est pas un grand sacrifice comparé à la liberté que j'ai eu. Ils m'ont foutu une paix royale.

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J'ai cru comprendre que le studio ne vous avait fait quasiment aucun commentaire sur votre premier montage...
La première fois qu'on a présenté le film au studio, je m'attendais à recevoir dix pages de notes. Au moins. Au final, je n’ai eu qu’un seul commentaire à propos des accents irlandais de Sean Bean et australien de Radha Mitchell qui avaient tendance à trop s’entendre dans trois scènes. Et c’était tout. Samuel Hadida et Andrew Mason étaient abasourdis : ils n'avaient jamais vu ça ! Samuel venait de produire un film de Tony Scott, Domino, et ils s’étaient pris des dizaines de pages de notes. Alors que pour Silent Hill, qui est un produit apparemment plus "hard edge", rien. Bon, honnêtement je pense que le studio aimait vraiment le film, mais qu'en plus ils avaient une date de sortie bien définie, qu'ils ne voulaient rater en aucun cas. En me demandant trop de changements, ils pouvaient compromettre cette sortie. Et puis le film ne leur avait coûté que 14 millions...

Et comment s'est passé le passage devant la commission de censure ?
Trop bien ! C'était presque pour moi une déception ! Mon producteur, Samuel Hadida, avait très peur de quelques scènes du film, notamment celle de la mort de Cybil, la femme-flic. Je voulais pour cette scène un effet inoubliable qui montre sans détour une personne rôtir vivante sur un bûcher. Je voulais absolument éviter l’utilisation d’un mannequin. On a donc beaucoup travaillé avec les techniciens de Buf, le studio d'effets spéciaux français, pour recréer sur les images de l’actrice l'effet d'un poulet qui tourne sur sa broche. Quand Samuel a vu la scène, il était épouvanté : "Ca ne passera jamais, on est dans la merde, ...". Et puis il y avait aussi l’écorchage d’Anna, le viol de Christabella par des barbelés... On a quand même présenté le film tel quel à la censure canadienne... et le retour a été surprenant. La commission a jugé la violence du film... "acceptable". Et ce pour trois raisons : le récit ne se passe pas dans le monde réel (rires), c'est l'histoire édifiante d'une femme qui cherche à sauver sa fille, et il n'y a pas d'arme à feu. Enfin, il y a bien une arme à feu, mais elle ne sert à rien. En suivant ces trois principes, nous nous étions tracé une voix royale sans même nous en rendre compte. Par la suite, le film a été interdit aux moins de 14 ans en Angleterre, alors que là-bas n'importe quoi est interdit aux moins de 18... Et aux moins de 12 en France. La cerise sur le gâteau !

Silent Hill : interview de Christophe Gans

Donc aujourd'hui dans un film, on peut rôtir une femme, en violer une autre avec des barbelés et l'ouvrir en deux dans le sens de la longueur, du moment que ça ne se passe pas dans la réalité ou qu'il n'y a pas de flingue !
C'est bien la preuve que la censure ne sert à rien, que c'est totalement absurde. Tant mieux pour nous ! Je crois qu’au final le film n’a été coupé qu’à Singapour, pour des raisons de religion, mais c'est tout. A ce niveau-là, Silent Hill a connu une sorte d'état de grâce. Evidemment ça fait un peu sourire quand on voit les problèmes auquel vient de se heurter Saw 3...

La période électorale est propice à la censure...
Tout à fait. Des discussions parlementaires sont déjà ouvertes au sujet du cinéma et du jeu vidéo. Les plus optimistes vous diront que ça va permettre de refonder une vraie contre-culture. Les autres qu'on va retourner à la clandestinité, qu’on va se passer bientôt des films ou des jeux sous le manteau... Quoiqu'il en soit, on se dirige vers un resserrement de la censure en France. Ce qui est arrivé à Saw 3 est un signe avant-coureur. Profitez tous de Schizophrenia à 20h30 sur Cine Cinéma, car dans peu de temps ce sera juste un bon souvenir...

Il n'y a eu aucune scène coupée sur Silent Hill ?
En fait il manque une scène que je n'ai pas intégrée dans le montage. C'est une scène dans l'église, qui intervenait juste après que la lumière soit revenue, Christabella venait parler aux deux étrangères. Cette scène faisait doublon avec celle près de l'orgue, sur la mezzanine de l'église. C'est la seule scène qui été écartée au montage.

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Pourtant dans le making-of du DVD, on aperçoit une autre scène qui n'est pas dans le film : une attaque du monstre sans bras dans la ville.
Effectivement, mais il ne s'agit pas vraiment d'une scène coupée. C'est bien plus compliqué que ça... Comme vous le savez, j’ai choisi pour les monstres de Silent Hill d’avoir recours à des vieilles techniques : les monstres sont tous joués par des danseurs dans des costumes, filmés à l'envers ou à des vitesses variables pour obtenir des gestuelles bizarres. Dans l'ensemble, ça marchait très bien. On a quand même essuyé quelques plâtres sur une créature en particulier : l'homme-tronc justement. Plusieurs semaines avant de tourner la scène où Cybil en abat un sur la route, nous avions tourné une autre rencontre avec un homme-tronc devant l'hôtel de Silent Hill. Blessée, la créature se mettait alors à ramper sous une voiture comme un insecte à qui on aurait écrasé trois pattes, pour finalement disparaître dans une bouche d'égout. Cette séquence a bel et bien été filmée. Mais comme nous avions un temps de tournage assez réduit (ndlr : 60 jours !), j'avais demandé à la seconde équipe de tourner les inserts où la créature rampe par terre. Tout avait été réglé à l’avance avec mon chorégraphe, Roberto Campanella, mais ce jour-là le producteur canadien a voulu faire des économies et le chorégraphe est resté chez lui ! La pauvre seconde équipe s'est retrouvée avec la mission de faire évoluer la créature par terre, en imaginant comment faire. Pendant une demi-journée, ils ont traîné l’homme-tronc allongé sur un skate-board, sur un grand contre-plaqué peint en vert en se disant qu’on verrait comment faire bouger les jambes plus tard. Quand j'ai vu les rushes, j'étais catastrophé : ce n'était pas du tout ce que j'avais prévu. J'ai donc exigé à ce qu'elle soit retournée. Ce jour-là mon ton n’a pas plu au producteur canadien et nous en sommes presque venus aux mains. Privée de rallonge budgétaire, cette scène est passée aux pertes et profits.

Quand j'ai tourné bien plus tard la suite de cette séquence, j'ai réécrit la scène pour que les filles rentrent directement dans l'hôtel, attirées par les cris provenant de l'intérieur, sans jamais rencontrer la créature. Bref la scène qu'on aperçoit dans le making-of n'a aujourd'hui plus du tout sa place dans le film. Elle a été coupée parce qu'elle n'a jamais été finie. Tout ça parce qu’un producteur a voulu économiser quelques centaines de dollars pour se faire mousser...

Il y a eu d'autres problèmes du même genre pendant le tournage ?
Il n'y a eu que ça. Mais rien d'anormal, c'est le lot de tout tournage où les effets spéciaux sont permanents. Beaucoup d'éléments et de concepts ont été abandonnés ou modifiés en cours de route. Peut-être que vous verrez un jour les story-boards originaux du film et vous constaterez que la fin aussi a été totalement modifiée. A l'origine, la vengeance d'Alessa prenait un tour très différent. Lorsque Christabella poignardait Rose, les ténèbres sortaient de la blessure et créaient une grande mare noire, presque une piscine, de laquelle surgissaient six Pyramides, chacun portant une arme différente. Ca ressemblait un peu à un dessin animé de Yoshiaki Kawajiri (ndlr : le réalisateur de Ninja Scroll). Les six Pyramides massacraient les gens dans l'église, dans une sorte d'hommage à l'enfer de Dante. Ils les embrochaient par trois, les coupaient dans le sens de la longueur... C’était très goûtu !

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Pourquoi vous n'avez pas tourné cette fin ?
La fin du film avait été repoussée à la fin du tournage. Suite à des retards de planning, des jours chassés et des récupérations d'heures supplémentaires, je me suis retrouvé avec seulement un jour et demi de tournage pour boucler le film. Les gens de la compagnie d'assurance qui couvrait le film, étaient sur le plateau pour contrôler la « bonne fin » du tournage. Evidemment ils se demandaient comment nous allions pouvoir shooter le final dans le temps imparti. Un jour, pendant un repas en présence des producteurs, ils m'ont demandé franchement si je pensais pouvoir tourner la scène finale en un jour et demi. J'ai répondu que ce n'était pas possible. Comme je n'avais qu'un seul Pyramide à ma disposition, j’aurais été obligé de le filmer plusieurs fois avec une arme différente pour pouvoir le multiplier en post-production . Ajoutez cela à la gestion de la foule et du grand décor, cette scène nécessitait au moins une semaine de tournage ! Ils m’ont dit : "C'est très simple, Mr Gans. Vous avez une semaine pour revenir avec une nouvelle fin. Nous ne voulons même pas que vous essayiez de tourner cette scène". Evidemment les producteurs, qui tenaient beaucoup à ce final, tiraient une tronche pas possible.

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Mon story-boardeur, Thierry Ségur, était reparti en France et nous communiquions par webcam. C’est en discutant avec lui que j'ai eu une idée : "Ecoute, on va aller au plus simple. On va refaire Legend Of The Overfiend !" Je me souviens encore de son grand éclat de rire... Urotsukidoji (son titre en japonais) est un dessin animé japonais ultraviolent dont nous sommes tous les deux de très grands fans. En tout cas, c’était la bonne idée : en un jour et demi je me suis contenté de filmer des plans très large où les fanatiques attaqués par Alessa se déplacent d’une façon très simple. Je savais que les tentacules assureraient la continuité d’un plan à l’autre. Le problème de la mise en scène était en quelque sorte repoussé à la post-production. Avec mon monteur, Sébastien Prangère, nous avons même utilisé des plans de Legend Of The Overfiend, pour compléter le montage. Il y a deux inserts sur des tentacules qui sont d’ailleurs des décalques exacts de plans du dessin animé ! Prenez le premier OAV de Legend Of The Overfiend, la scène où une prof démoniaque viole une de ses élèves avec des tentacules, et comparez. Vous verrez ! (rires)

Mis à part pour cette fin réalisée dans l'urgence, on constate une énorme différence avec Le Pacte des loups : l'absence de références. Etait-ce parce que Silent Hill, le jeu, était déjà une référence suffisante ?
En partie, oui. Mais la raison principale vient de l’attention que je prête aux critiques et en particulier à celles que j’ai reçues lors de la sortie du Pacte des Loups. A mon sens, il y a toujours quelque chose de vrai dans les critiques, même les plus mal énoncées. Bien sûr la surenchère de références est la critique la plus notoire du Pacte des Loups. A vrai dire c’était le projet même du film : rendre un grand hommage au cinéma populaire italien des années 60. Mais quand j'ai attaqué Silent Hill, j'ai voulu tenir compte de ces reproches : dans Le Pacte des loups, il y avait trop de références, mais aussi trop de ralentis, trop de fondus enchaînés, de fondus au noir, etc. OK, compris ! Avec Sebastien Prangère, nous avons donc débarassé Silent Hill de tous ces effets. Il n'y a qu'un seul ralenti dans le film et il est imperceptible. Il n'y a pas de fondus enchaînés, et de la même façon j'ai essayé de gommer toutes les références cinématographiques, pour plutôt me fixer sur des références à l'art contemporain. Elles étaient déjà dans le jeu, mais elles me permettaient de montrer un autre des mes centres d'intérêts personnels. Evidemment on trouvait déjà des références picturales dans Le Pacte des Loups, notamment à la peinture allemande du 19ème siècle. Mais j'ai pu y aller à fond sur Silent Hill et rendre hommage à Dali, Bellmer, Francis Bacon, Jean Cocteau, Giacometti, ...

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En tant qu'ancien critique de cinéma, vous acceptez donc la règle du jeu de la critique sur vos films ?
Tout à fait. Mes amis dont certains sont réalisateurs sont assez admiratifs de ma capacité à encaisser les critiques, alors qu'eux les vivent très mal. Une mauvaise critique, et leur journée est foutue, ils font la gueule. Quelque part ce rapport à la critique me permet de mieux vivre ma passion. Je tiens à lire les critiques pour les analyser, les comprendre. Et je trouve souvent du vrai dedans. Il y aura toujours des critiques que je réfuterais, comme celles qui reprochent à mes films d’être trop esthétiques. Désolé, mais c'est mon cinéma ! Je ne vais pas faire des films pourris, avec des plans flous, mal fagotés, parce qu'il y a des gens qui trouvent mes films trop esthétiques. En revanche quand on m’accuse de maniérismes, de manquements, de faire trop de mouvement de caméra, etc, je trouve ça intéressant. Et pour mon prochain film, je tiendrais compte des critiques que j’ai eues sur Silent Hill. Comprenez-moi, c'est ma seule référence... Si j’écoutais exclusivement ceux qui, pardon d'être vulgaire, me lèchent la couture des couilles, je ne pourrais pas avancer. Les critiques, c'est ce qui me permet de penser que j'ai encore du chemin à faire. J'aime ça.

Silent Hill : interview de Christophe Gans

Vous avez commencé votre auto-critique de Silent Hill ?
Bien sûr, dès la fin du tournage. En voyant les rushes, on commence tout de suite son auto-critique. Par exemple je me suis entêté à faire un film fantastique bâti principalement sur les concepts et l’atmosphère. C’était mon idée du fantastique « noble ». Aujourd’hui je regrette d’avoir été trop exigeant. J'aurais dû envoyer quelques effets de peur bien sentis dans les gencives du spectateur, et on m'aurait lâché la grappe. C'était devenu une sorte de gag récurrent sur le plateau, où régulièrement les producteurs venaient me voir en disant "Mais putain, fais en sorte que la porte claque bruyamment là !". Et moi : "Non, non, non ! Les gens ne sont pas des cons !". Je me suis drapé dans ma conception du fantastique, et ce n'est pas celle de tout le monde. Le film d’horreur en ce moment est un genre assez réactionnaire : on a droit à beaucoup de slashers, où des gens se font attaquer, découper en rondelles avant de riposter. C’est pas très classe, même si j’avoue avoir beaucoup aimé un film comme Hostel ! Silent Hill fait davantage référence à une autre forme de fantastique, celle des romans de Clive Barker, de Lovecraft, ... des références plus littéraires.

Il y a quand même des scènes assez violentes dans Silent Hill...
Oui, bien sûr, parce que je peux les faire, et aussi parce qu'elles s'inscrivaient dans le récit. Il faut bien comprendre une chose : je suis un réalisateur commercial. Pas au sens cynique et opportuniste... Mais dans le sens où je fais des films que les gens vont normalement voir avec leurs potes le samedi soir. De fait, je me dois de donner au public ce qu'il attend, et le mieux possible. Ca m'a donc fait un peu de peine que les gens aient pensé que Silent Hill manquait de sursauts, alors que je me suis bagarré avec les producteurs pour ne pas céder à cette facilité... au nom des spectateurs ! Il y a un public qui paye sa place pour avoir une émotion instantanée, et je l'ai déçu. Or je n'ai pas envie de laisser quiconque sur le bord de la route. Je ne vois pas pourquoi je ferais un tri entre des spectateurs de premier ordre et des spectateurs de second ordre : je ne veux pas rentrer dans ce débat, je m'y refuse. Je pense que ma responsabilité, surtout quand on me donne 45 millions de dollars, c'est de faire en sorte que le maximum de gens soit content. Je ne vais pas jouer à l'artiste. Mais bon, ça me fait quand même plaisir d’entendre ou de lire que Silent Hill est plus proche d'Orphée de Cocteau que d'un slasher de base...

Silent Hill : interview de Christophe Gans

Corriger ces défauts sera un des objectifs de Silent Hill 2 ?
Oui. Silent Hill 1 était un film difficile à faire, puisqu'il me fallait organiser une mythologie complexe qui n'est pas connue du grand public : le passage d'une dimension à l'autre, l’histoire d’Alessa, le thème du double... J'ai dépensé beaucoup d'énergie à travailler sur ces concepts. En revanche je ne pourrais peut-être pas m'occuper de Silent Hill 2 à cause de mon planning sur Onimusha...

Est-ce que les Japonais pourront accorder la même confiance à un autre réalisateur pour Silent Hill que celle qu'ils vous ont donné pour le premier ?
Les gens de Sony ont déjà fait comprendre à Samuel Hadida qu'ils tenaient à ce que cette suite ait l'ampleur visuelle de l'original. Pour eux, il est important que les spectateurs de la séquelle ne se sentent pas floués. Dans le cas où je ne pourrais pas m'occuper de Silent Hill 2, il faudra que le metteur en scène perpétue le style du premier film.

Silent Hill : interview de Christophe Gans

Quel type de réalisateur pourrait faire Silent Hill 2 ?
Avec les japonais, nous nous sommes très bien entendu. On n’a pas voulu faire un film hollywoodien, et je pense que ce serait bien que le réalisateur du prochain Silent Hill reste européen. Et dans le meilleur des cas, français.

Vous avez une idée précise d'un réalisateur ?
J'ai des idées. Mais quoiqu'il arrive, je ne serais pas très loin. Avec Samuel Hadida, on est très « famille »...

A suivre...









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