Dans la brume électrique
Le 15/04/2009 à 17:30Par Kevin Prin
Bon sujet, bon décor, bons personnages : tout les ingrédients du livre sont là. Mais l'adaptation en film se montre constamment nivelée par le bas par la réalisation plan-plan de Tavernier.
Tavernier revient aux Etats-Unis 23 ans après Autour de Minuit : voilà qui pouvait attirer la curiosité, d'autant que la présence de Tommy Lee Jones et John Goodman dans les rôles principaux conférait un sentiment de sécurité quant à l'indépendance du projet. Tiré d'un best-seller unanimement reconnu, Dans la brume électrique est un thriller dans le bayou de la Louisiane. Un décor hostile, des habitants très ancrés dans les traditions, une violence prête à jaillir à tout instant : ce sont les ingrédients de Coup de torchon, sans aucun doute possible le meilleur film du réalisateur. Mais cela veut-il dire qu'il en réitère la réussite ?
Entre temps Bertrand Tavernier n'aura malheureusement enchaîné que les films lourdement académiques, sur des sujets porteurs certes (la police dans L.627, la première guerre mondiale dans Capitaine Conan, la manipulation dans L'Appât, la France occupée dans Laissez-passer, ...), mais plombés par une mise en scène trop amoureuse des clichés du cinéma et oubliant de respirer par elle-même. Ce principal défaut reste présent aujourd'hui et vient plomber Dans la brume électrique, accumulation de bons ingrédients mais dépourvu d'une recette sachant les mélanger. Tous les éléments principaux du roman de James Lee Burke répondent certes présents, à commencer par l'aspect mystique de la quête du héros détective, lequel combattait les démons de l'alcool et était hanté par des soldats confédérés apparaissant dans la brume de la Louisiane. Une hallucination visuelle qu'il partage avec d'autres personnages de l'histoire, rendant encore plus trouble l'enquête policière déjà bien palpable et gagnant un petit côté fantastique se mêlant aux décors déjà bien inquiétants. Sur le papier, on imagine sans mal que le résultat devait faire mouche. Mais si cet élément est bel et bien présent dans le film, l'apparition de ces soldats, filmée platement, n'apporte jamais son grain de sel à l'ambiance, jusqu'au point de se réduire à un simple running-gag au fur et à mesure que la fin approche.
Cette platitude générale, ce manque d'inspiration ou d'utilisation de la caméra au service de l'histoire nivellent tout par le bas, jusqu'aux acteurs qui perdent en prestance. On comprend avec Dans la brume électrique que Tommy Lee Jones et John Goodman ne se suffisent pas à eux-mêmes et que leurs plus brillants moments au cinéma sont aussi dûs aux réalisateurs derrière la caméra.
Qu'importe d'avoir un sujet en or dans la main, il faut que le réalisateur sache le transcender, traduire son langage écrit en images à l'écran, bref qu'il ait l'inspiration nécessaire pour l'adapter. Rien de cela ici : si Bertrand Tavernier est toujours aussi passionnant à lire et écouter, il livre un cinéma insipide et surtout académique au possible. Sur un sujet similaire et 28 ans après, on se demande s'il ne faut pas se faire une raison et considérer son excellent Coup de Torchon comme un accident...