Lovelace : un grand écart [Critique]
Le 11/12/2013 à 14:07Par Jonathan Butin
Minutieux dans sa reconstitution et impeccablement interprété, Lovelace manque cependant de souffle et de profondeur pour dépasser la simple "transposition trop factuelle" de 2 versions contradictoires de la vie de la star du porno, Linda Lovelace. Le film de Jeffrey Friedman et Rob Epstein aurait décidément fait un très bon documentaire télévisé. Découvrez ci-dessous notre critique du film LOVELACE.
CRITIQUE LOVELACE
Lovelace, le retour sur la carrière courte mais ô combien marquante de Linda Lovelace (Boreman de son vrai nom) dans l'industrie pornographique des seventies. Beaucoup de choses ont été dites au sujet de Lovelace au travers des nombreux livres, documentaires et films qui lui ont été consacrées. Chacune de ces tentatives a adopté un point de vue différent sur l'ascension fulgurante (et la chute tout aussi brutale) de cette icône de films pour adultes, tantôt success story acidulée, sur fond de musique disco, tantôt pamphlet rageur contre la « pornexploitation ». Si autant de versions de la vie de Linda Lovelace peuvent cohabiter c'est parce que la principale intéressée à changé d'avis sur le chemin parcouru en cours de route (elle a co-signé quatre autobiographies jusqu'à sa mort en 2002, deux d'entre-elles que l'on pourrait qualifier de pro-pornographie et deux anti-porno).
Une ambivalence que Jeffrey Friedman et Rob Epstein ont tenté de retranscrire dans leur biopic avec Amanda Seyfried dans le rôle-titre en proposant deux films en un. Le côté pile sous la forme d'un récit initiatique dans lequel Linda, adolescente naïve et timide fait la connaissance de Chuck Traynor (Peter Sarsgaard) avec qui elle se marie rapidement. Découvrant les prédispositions hors du commun de sa compagne à l'art de la fellation, Traynor introduit Linda dans le cercle, pas si fermé, de la pornographie. On découvre alors le tournage de l'immense succès « Gorge Profonde » (« Deep Throat » en VO), film dont la renommée transcendera le statut d’œuvre pornographique et fera de Linda Lovelace une véritable star auprès du grand public. L'avenir semble alors sourire à la jeune femme qui rencontre les pontes du milieu libertin de l'époque, Hugh Efner (James Franco), le fondateur de Playboy, en tête. Puis retour au début de l'histoire pour découvrir l'envers du décor, le côté face : les problèmes d'argent, la violence de Traynor, les viols...
La première partie de Lovelace, qui pourrait s'intituler « l'émancipation de Linda d'un cadre familial trop conservateur dans les bras d'un entrepreneur douteux qui fait d'elle la star de films X la plus célèbre au monde tout en la corrompant insidieusement », est de loin la plus intéressante. La seconde partie en revanche annihile toute nuance, Linda n'est plus qu'une victime de Traynor, l'irrécupérable prédateur. Le film se transforme alors en une redite nettement moins percutante de Boogie Nights de Paul Thomas Anderson. Mais si Boogie Nights représente les montagnes russes émotionnelles, Lovelace est un monte-escalier, encéphalogramme plat ou presque. Le tout manque de profondeur et l'impact des moments charnières en pâtit. La structure narrative non linéaire n'a pas l' « effet douche froide » escompté, le second acte ne faisant que confirmer les pistes semées durant les scènes pivots de la première partie (notamment les bleus sur les jambes de Linda, remarqués très tôt par la maquilleuse/co-star sur le tournage de « Gorge Profonde »).
Le principal écueil de Lovelace est son incapacité à brosser un portrait complexe des personnages de Linda et son mari Chuck Traynor. La faute n'est pas à chercher du côté de l'interprétation d'Amanda Seyfried, crédible en fille d'à côté comme en sex-symbol, elle se donne littéralement corps et âme et l'on ne doute pas une seconde de son implication dans le rôle. Peter Sarsgaard fait également tout ce qui est en son pouvoir pour apporter de la profondeur à ce pauvre diable de Traynor mais aucun des ces deux acteurs extrêmement talentueux ne peut aller à l'encontre d'un script à ce point mono-dimensionnel. Le reste du casting est tout aussi consistant. Dans le rôle des parents stricts et oppressifs de Linda, on retrouve une Sharone Stone méconnaissable et Robert Patrick. Ce dernier est à l'origine de l'une des scènes les plus réussie du film dans laquelle, les larmes aux yeux, il révèle à sa fille avoir vu « Gorge Profonde ». La scène est jouée à la perfection et donne un aperçu de la manière dont une famille peut appréhender le choix de leur rejeton d'aller faire des galipettes sur les écrans du monde entier, un aspect de la problématique relativement négligé dans les films consacré à ce milieu.
Outre son casting solide (Hank Hazaria et Bobby Cannavale incarnent les réalisateurs les plus scabreux de Miami, Adam Brody joue le partenaire de Linda Lovelace dans Gorge Profonde et Chris Noth, le Mister Big de Sex and The City, interprète un producteur affilié à la mafia), Lovelace est une reconstitution méticuleuse des années 70. Jeffrey Friedman et Rob Epstein viennent du documentaire et ça se ressent dans l'attention portée aux détails. Le film fourmille de références : vêtements, coiffures, véhicules, musique, tout y est et tout est parfait. Une qualité primordiale pour un biopic mais qui ne peut malheureusement compenser le manque de souffle de Lovelace, un biopic qui, à l'image de la plupart des documentaires, est calibré pour la télévision.