Catégorie III - Sexe, sang et politique à Hong Kong
Le 12/09/2009 à 10:52Par Yann Rutledge
L'intérêt de l'ouvrage n'est en revanche - bien heureusement - pas de faire un inventaire de tous les genres ayant marqué la Catégorie III, mais plutôt de démontrer que ces films provocateurs et déliquescents faisaient écho à l'état d'esprit des habitants de la colonie britannique d'alors face au rattachement redouté à la Chine Continentale. De la même façon que les films de SF américains des 50's faisaient état de la peur atomique, c'est précisément parce que ces films sont jusqu'auboutistes que nous pouvons lire, en sous-jacence et dans leur expressivité la plus primitive, les signes d'une inquiétude quant à l'avenir de Hong Kong (l'armée rouge s'installera-t-elle sur la péninsule hongkongaise ?), d'une peur du voisin de palier (à mettre en parallèle avec le voisin géographique), ainsi qu'une certaine misogynie et une homophobie refoulées mais pourtant bien présentes et insidieusement ancrées dans les moeurs. La Catégorie III, en quelque sorte un cinéma dégénéré comme exutoire des frustrations et incertitudes.
Mais en fait qu'est-ce que la Catégorie III ? Contrairement aux idées reçues, ce n'est pas un genre à proprement parler. La Catégorie III, comme le rappelle l'auteur et journaliste à Mad Movies, est avant tout une classification mise en place en 1988 afin de permettre aux films au sujet brûlant d'être exploités sur le territoire, moyennant tout de même une interdiction aux moins de 18 ans. Car avant cela, ces films subissaient de sévères coupes ou étaient tout simplement interdits de distribution par la Censure. Tsui Hark en a fait les frais pour L'enfer des armes qui enfreignait nombre de règles émises par le comité : d'après celui-ci, Tsui Hark y corrompait la morale, encourageait à "la haine envers le gouvernement de Hong Kong", détériorait "les bonnes relations avec d'autres pays" (les Etats-Unis dans le cas présent) et encourageait au désordre public. Rien que ça ! Le cinéaste énervé fut ainsi contraint de remonter son brûlot et de couper une vingtaine de minutes de pellicule avant de recevoir l'aval du comité (20mns réintégrées dans le coffret Tsui Hark édité par HK Vidéo il y a quelques années). Il faut souligner par ailleurs que quand bien même ce système de classification est adopté, cela n'empêche pas le comité de veiller à ce que les films ne posent pas de "problèmes par rapport à d'autres pays" (il faut bien entendu comprendre la Chine et le Royaume-Uni).
Ce qui fut initialement mis en place dans un souci démocratique - que les voix dissidentes s'expriment et que les films d'auteurs soient projetés - servira très rapidement à nombres de producteurs et réalisateurs peu scrupuleux à sortir des pelloches beaucoup moins recommandables : gore, trash, au sadisme et à la misogynie violemment affichés, le tout bien entendu dans un simple but commercial. Une surenchère dans le gore craspec, l'immonde et la transgression de tous les tabous possibles et imaginables proliféra sur les écrans hongkongais. On notera au passage que même si les pires sévices ont été filmés, le ciné HK n'a pour autant accouché que d'un seul film pornographique, réalisé par une femme qui plus est, Julie Lee. Faut-il pour autant réduire ces films à de vulgaires produits conçus à la chaîne ? Absolument pas. Tout d'abord parce que, comme nous l'avons vu plus haut, par leur jusqu'auboutisme ceux-ci revêtent un caractère historique et sociologique évident. Mais également parce que plus qu'un marché de niche pour spectateurs barjos, la Cat3 a sauvé l'industrie cinématographique affaiblie par le piratage en masse en enfantant quelques uns des plus grands succès du box-office de la colonie britannique. Chose impensable chez nous, certains de ses films et comédiens furent même récompensés lors des très sérieux Hong Kong Film Awards, l'équivalent de nos précieux Césars. Anthony Wong, aujourd'hui comédien à l'aura respectable en Occident de par ses collaborations répétées avec Johnnie To, a été sacré Meilleur Acteur en 93 pour son personnage de cannibale zinzin dans The Untold Story ! Shu Qi, aujourd'hui égérie du ciné arty (celui de HHH notamment), a de son côté débuté dans de coquines pelloches !
Julien Sévéon retrace sur plus de 300 pages les grands lignes de ce cinéma, abordant à chaque chapitre un des genres (et/ou sous-genres) principaux de la Catégorie III, ceux-ci révélant aussi bien les inquiétudes que les moeurs peu glorieuses de la future ex-colonie britannique. Du film de psychomaniaque cannibale mettant en exergue l'atmosphère nihiliste et délétère de fin de siècle (1997 approche...) au rape and revenge à la dualité parfois déconcertante (la violente misogynie de la première partie contre-balancée par un soubresaut féministe dans la seconde lorsque la femme se fait vengeance), en passant par les films de triades (leur offrant une image souvent complaisante si ce n'est héroïque) et les films de guerre révélant les abominables crimes et expériences perpétués pendant la Seconde Guerre Mondiale par l'envahisseur japonais sur les populations chinoises.
Entrecoupé pour chaque chapitre d'un recensement des films clés ainsi que de rapides bio-filmographies, Catégorie III - Sexe, sang et politique à Hong Kong se pare également d'interviews des réalisateurs (Wong Jing, Andrew Stormriders Lau Mou Tun-Fei, le réalisateur fou de l'abominable Camp 731 aka Man Behind the Sun...) et comédiens (Louis Riki-Oh Fan, Anthony Wong, Simon Yam...) qui ont marqué les genres. Interviews plutôt sommaires à dire vrai : non datées, il semblerait qu'elles aient été menées il y a quelques années déjà. Un petit reproche grandement rattrapé par la richesse iconographique (affiches promotionnelles et photos d'exploitation) de l'ensemble. Un ouvrage sérieux et fort complet donc qui devrait rapidement trouver place sur les étagères des amateurs de ce cinéma dégénéré tout en permettant aux autres de découvrir l'un des cinémas les plus scandaleusement jouissifs et choquants jamais produits.
Catégorie III - Sexe , sang et politique à Hong Kong de Julien Sévéon
Editeur : Bazaar&Co
Numéro ISBN : 978-2-917339-03-9
Collection : Movie Bazaar
Nombre de pages : 336
Format : 21 x 27,5 cm
Photos : N&B et couleurs
Prix : 55 euros