Le Monde de Narnia chapitre 2 : l'interview des superviseurs des effets spéciaux
Le 25/01/2008 à 08:24Par Michèle Bori
Après l'interview d'Andrew Adamson, retrouvez ci-dessous une interview de Howard Berger, superviseur des créatures et des effets visuels de maquillage, et de Dean Right, également superviseur des effets spéciaux. Deux pointures dans leur milieu, puisque Berger a travaillé sur des projets tels que Grindhouse, Transformers, Déjà-vu ou encore Army of Darkness (de Sam Raimi), alors que Right a vu son nom figurer aux génériques de la trilogie du Seigneur des Anneaux, de Titanic ou encore du Sixième Sens.
Pouvez-vous nous révéler ce sur quoi vous travaillez actuellement ?
Dean Wright : Pendant toute la journée, nous avons préparé et tourné la scène située à la toute fin de ce fameux moment où Peter et Caspian doivent faire tomber les Telmarins dans leur piège. Ils sont entourés par les Telmarins mais ils disposent d'une grande citerne souterraine et s'apprêtent à les y engouffrer en faisant sauter une trappe sous leurs pieds. Nous avons préparé ce tournage toute la matinée, avec tous les détails, la poussière, les débris et les créatures, et en ajustant à la perfection les caméras pour capter les mouvements et la lumière. On va devoir recommencer. La dernière fois, c'était un peu plus explosif donc les responsables des effets visuels ont dû monter des piliers et les détruire devant nous. Le plafond a commencé à se fissurer et a cédé. Nous avons ajouté un rai de lumière pour simuler un rayon de soleil venu d'en haut. Nous avons aussi créé un grand trou destiné à attraper les Telmarins qui déferlent sur les Narniens. Dans le sous-sol, avec notre équipe, il y a un géant appelé Wimbleweather et qui court au travers de la cavité en détruisant un bon nombre de colonnes. Même chose que précédemment : pour capturer tous ces mouvements, nous avons fabriqué une maquette du décor à échelle réduite, de façon à ce que l'acteur qui assure la motion capture pour le géant puisse courir à travers et détruire les colonnes. Il faut tout d'abord capturer précisément les moments où il est en train de les détruire. Ensuite, il faut introduire tous les personnages animés et les réduire environ de moitié afin d'adapter leur hauteur à celle de Wimbleweather. Après nous ajoutons tout le reste et nous créons l'ambiance, avec quelques deux cents créatures qui s'enfoncent dans le sous-sol et jaillissent derrière les Telmarins pour les attraper.
Le second opus de Narnia, Prince Caspian, comportera-t-il plus de personnages animés et d'effets visuels que le premier opus ?
Dean Wright : Andrew nous a dit qu'il voulait réaliser un film encore plus grand et encore plus passionnant, avec en plus de cela tout un tas de détails complexes. Le but n'est pas de couper le souffle au public mais plutôt de l'immerger le plus possible dans ce monde. Plus les animations de synthèse paraissent réelles, plus on oublie qu'elles ne le sont pas, et plus on profite du film.
Y-a-t-il des scènes précises où il faut accorder encore plus d'attention à cet aspect que dans d'autres ? Dean Wright : Nous avons réalisé une grande scène de bataille, juste au milieu du film. Elle arrive lorsque les enfants se rendent au château et tentent d'y capturer quelqu'un afin de restaurer la paix à Narnia et de rendre à Caspian le trône qui lui revient de droit. Le travail réalisé pour cette scène dépasse tout ce que nous avions fait jusqu'à présent, notamment dans le dernier film. Cette scène comporte des tonnes de personnages animés digitalement. Nous travaillons beaucoup avec des maquettes créées à des échelles différentes. On utilise par exemple l'échelle 1/24ème pour le château, ce qui est une échelle énorme. Mais on en aura bientôt d'autres, des plus petites et des plus grandes, qu'on va faire construire en Nouvelle Zélande dans les ateliers WETA. Ces maquettes seront filmées par Alex Funky et ses spécialistes, qui ont fait le même travail sur Le Seigneur des Anneaux et King Kong. Nous sommes fiers de les avoir à nos côtés et de collaborer avec eux. À nouveau, il s'agit de filmer quelque chose de réel et de tangible. C'est ce qui nous a poussés à créer ce château si merveilleux. Ce que je me disais en regardant Le Seigneur des Anneaux, c'est que lorsque l'on se trouve devant une maquette parfaitement éclairée et photographiée, on s'immerge tout naturellement dans son univers et on croit tout ce que l'on voit. C'est précisément l'effet que nous recherchons. Nous voulons absorber le public dans le film, qu'il se sente invité par la main et guidé par le réalisateur Andrew Adamson dans les moments où l'émotion est à son comble. Nous sommes là pour donner vie à ce qui ne peut pas exister dans la réalité et à grandeur nature, et pour rendre encore plus puissant ce qui est réel.
Cette fois-ci, vous avez Wendy Rogers comme co-superviseur des effets visuels. Avait-elle déjà travaillé avec vous sur le dernier film ?
Dean Wright : Non, mais elle connaissait Andrew Adamson (le réalisateur) depuis longtemps. Comme nous avons énormément de travail et un planning très serré, nous avons décidé pour cette fois-ci de tourner de manière simultanée. C'est pour quoi nous avons divisé les séquences en deux groupes. Par exemple, la scène nocturne du raid sur le château, c'est ma séquence, tandis que celle de la bataille qui se tourne en ce moment même à Usti est la sienne. Mais nous nous s'entraidons beaucoup.
Quel est le personnage que vous avez créé et qui vous tient le plus à cœur ?
Howard Berger : J'aime beaucoup les Nains. Je crois que ce sont mes personnages favoris dans ce film. Nous avons deux héros : Trompillon, interprété par Peter Dinklage, et Nickabrik, incarné par Warwick Davis. Ils sont très cool tous les deux.
Dean Wright : Ils sont géniaux. Quand ils arrivent sur le plateau, on ne voit plus qu'eux. Je crois que c'est la première fois dans l'histoire du cinéma qu'on montre un combat de Nains !
Howard Berger : Oui, c'est vraiment formidable ! Les Nains de ce film sont mes personnages préférés, sans aucune hésitation possible.
Quel est le plus grand défi que vous avez dû relever pour ce film, du moins jusqu'à présent ?
Dean Wright : Le plus difficile est d'avoir dû incorporer à l'image un grand nombre de personnages, d'autant plus que ces derniers étaient d'une grande diversité - il y en a de tous les sexes et de tous les âges.
Howard Berger : Oui, nous voulions représenter des faons vraiment âgés mais aussi des personnages très forts comme des centaures noirs. Nous tenions à ce qu'il y ait une variété très étendue de personnages.
Dean Wright : L'idée centrale était que les personnages se différencient un maximum les uns des autres, et bien sûr de transposer ces caractéristiques à l'animation digitale. C'est un aspect qui nous a considérablement compliqué la tâche. L'autre défi majeur vient de la volonté d'Andrew de rompre la barrière entre l'animation et les personnages réels, en les mélangeant davantage. Ce film implique beaucoup plus de contacts entre les acteurs et les personnages animés que le précédent. Par exemple, il y a une scène où Lucy qui s'avance vers Aslan. Ils s'embrassent et tombent au sol, puis elle roule sur lui. Il a fallu beaucoup de travail autour de cette scène pour qu'elle paraisse réelle. Il y a aussi ce moment où les enfants sont emportés par Griffins, ou encore celui où ils sont portés par les Centaures. Tout cela représente un énorme challenge parce qu'il faut que cela fonctionne à l'écran. Nous ne cherchons par à créer des effets qui distraient l'œil, mais au contraire qui paraissent naturels dans cet univers. C'est la seule chose qui compte. Personnellement, je crois fermement que les effets visuels ne doivent pas dominer l'histoire. Un film comme celui-ci n'est pas une affaire d'effets visuels, c'est avant tout des enfants dont il s'agit.
Le premier film avait déjà été fait dans cette optique. Il s'agissait surtout des enfants, de leur histoire, de leur voyage. C'est la même chose dans celui-ci. Chacun des enfants mène son propre combat. Ils arrivent à Narnia avec leurs idées préconçues de ce qu'ils sont supposés y trouver. Peter pense qu'il peut faire les choses tout seul. Lucy n'a pas le courage de lutter pour ses convictions. Susan n'admet pas qu'elle souhaite rester à Narnia. Quant à Edmond, il essaye de grandir au plus vite et de prendre part à l'action; il veut devenir un homme. Tous doivent combattre et trouver leur voie. Si vous partez du principe que vous devez uniquement vous concentrer sur les choix visuels et que vous détournez l'attention du spectateur du coeur de l'histoire, vous ne rendez pas service au film, vous lui faites du mal. Prince Caspian va certes sortir en été, mais il ne ressemblera pas à un film d'été classique. Nous voulons que le film soit porteur d'un message, le même que celui transmis par le livre à un si grand nombre de gens pendant 50 ans.
Faut-il donc comprendre que le film sera légèrement plus sombre ?
Dean Wright : Prince Caspian reste un film tout public, mais il sera un peu plus grave pour les enfants. Il se déroule à une époque difficile : mille ans se sont écoulés et chacun des héros ressent un grand sentiment de culpabilité. En effet, même s'ils sont partis sans en avoir l'intention - ils ne l'avaient pas fait de leur propre volonté - et se sont contentés de traîner autour de l'armoire, ce qu'ils ont laissé derrière eux s'avère être un véritable chaos. Les Telmarins sont arrivés, ont tué beaucoup de leurs amis ou d'enfants de leurs amis, et ces pauvres êtres ont dû se réfugier sous terre et s'adapter à ce nouvel habitat. A présent, les héros doivent aider ces êtres à récupérer ce qui leur appartient et, si possible, à reconstruire leur monde pour y vivre en paix. C'est là le message central du film, celui autour duquel se tissent les messages individuels concernant chacun des enfants. C'est tout cela que l'on doit emporter avec soi après avoir vu le film.
Allons-nous assister au retour des Minotaures dans ce film ?
Howard Berger : Oui ! Andrew Adamson (le réalisateur) a ajouté plus de Minotaures. Ils ont eu beaucoup de succès dans le premier film et j'avais peur qu'ils ne soient en trop mauvais état et qu'on ne leur permette pas de revenir. Et puis un jour, Andrew est arrivé et a dit : "On va ajouter des Minotaures !". Asterius est le Minotaure principal. La dernière fois, nous avions vingt-cinq Minotaures, mais dans ce film nous n'en avons que quatre. Ce n'est donc pas un grand show. Asterius est dans un costume entièrement fait sur mesure. Il a des muscles flexibles et des poches d'eau dans la poitrine. Le costume a été fait à la main, ce qui signifie que tous les poils que vous voyez ont été attachés un par un sur une base de spandex, avant d'être cousus sur les muscles et sur la poitrine. Même chose pour la tête, les poils y ont été attachés un par un. Rob Gary, notre chef mécanicien sur le plateau, lui a confectionné un mécanisme de radio contrôle pour qu'il puisse faire toutes ces actions très cool que vous voyez à l'écran. Asterius est présent dans une bonne moitié du film. Sa participation à la bataille du raid nocturne ajoute énormément au film parce qu'il possède une dimension tragique mais héroïque. Nous avons aussi un Satyre appelé Tyrus, qui est un vrai héros et pour lequel nous avons aussi réalisé une tête mécanique. Les cornes du Minotaure sont assez abîmées. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avions l'intention de garder le vieux Minotaure, tout simplement parce qu'il est là depuis longtemps, qu'il est en mauvais état et couvert de cicatrices.
Le but c'est d'obtenir le résultat le plus réaliste possible. Il ne faut pas que l'histoire s'arrête et que tout d'un coup, les gens se disent "Oh, regarde ! Un superbe effet, un bon maquillage, une bonne d'animation digitale". On n'entendait pas ça avec le premier film, même s'il y avait des "Ohlala, regarde ça ! C'est M. Tummus, c'est fini pour lui !". Je suis certain que l'effet sera le même avec ce second film. D'ailleurs, il est toujours agréable de découvrir un film une fois qu'il est achevé et c'est pour cela que, lorsque Andrew m'a invité voir quelques scènes du premier, j'ai refusé. Je ne voulais voir le film qu'une fois qu'il serait terminé. Je voulais être surpris par les choses que Dean avait faites. Je me comporte de la même manière avec celui-ci. Il y a tellement de choses sur le plateau qu'il est toujours époustouflant de s'asseoir et de s'amuser à les retrouver dans le film. La différence est énorme. Dean et sa compagnie vont ajouter des milliers de créatures.
Pouvez- vous nous dire quelque chose sur l'un des nouveaux héros dans ce film, par exemple la souris Ripitchip ?
Dean Wright : Ripitchip va être super cool. Nous avons déjà quelques dessins. L'agence qui va faire le design final s'appelle Moving Picture Company, elle est basée à Los Angeles. Ce personnage a un design réussi, il est à la fois vif et dangereux mais aussi très mignon. Mais nous ne voulons pas qu'il soit trop mignon non plus, car il s'agit d'un vrai héros, d'un vrai battant. En fait, il va aider les Narniens dans la bataille contre les Telmarins. Alors on ne veut pas qu'il fasse rire les gens à ce moment-là. C'est un bon exemple des directives très précises que nous devons suivre tout au long du film, et c'est un aspect qui n'était pas présent dans le précédent opus. Nous mettons en scène des personnages animés qui doivent paraître réels et ne pas ressembler à des personnages de dessins animés. Ce défi concerne tout particulièrement un cas comme Ripitchip. Il est drôle mais aussi très sérieux. Le public va beaucoup l'aimer. Dans le livre, Ripitchip et sa famille se ressemblent tous beaucoup, mais dans le film, chacun est différent et possède ses propres caractéristiques.
Propos recueillis par Rebecca Strauch