Interview Alexandre Bustillo et Julien Maury
Le 18/02/2008 à 09:29Par Arnaud Mangin
Alexandre Bustillo et Julien Maury font parti de ces cinéastes qui se refusent à plonger totalement dans le système et s'évertuent à faire les films qu'ils aiment. Ils ont en tout cas accepté de nous rencontrer à l'occasion de la sortie prochaine en DVD de A L'intérieur et de parler sans concession de la manière dont le film a changé leur carrière.
Vous en massacrez du monde là dedans ! C'est important, lorsque l'on signe un film d'horreur, de mettre autant la gomme en matière de carnage ? Quitte à faire intervenir de nouveaux personnages comme des bêtes à l'abattoir ?
Ce n'est pas faux, il y a de ça (Rires). Disons que notre film est un slasher, genre que nous adorons et essayons de respecter au mieux. L'un des fondements du slasher c'est qu'il y a d'un côté le boogeyman et de l'autre des personnages dont le seul intérêt est d'alimenter le film en sang. On n'avait pas seulement envie de proposer un film avec deux femmes séparées par une porte et qui se battent par intermittence. Ce serait redondant et pour épicer l'ensemble il fallait faire intervenir de temps en temps des personnages destinés à mourir. On nous a beaucoup reproché de faire du grand guignol, mais en fait le film a surtout un côté théâtre de Boulevard avec des personnages qui vont, qui viennent et des portes qui claquent...
"Chérie, j'suis rentré !"
Voilà, "Chérie, j'suis rentré !" Et bam, un grand coup dans la tête au lieu de sortir une blague. Mais d'un autre côté, on n'a pas non plus cherché à en mettre pour en mettre puisque leurs présences respectives servent l'histoire et s'en tiennent à la structure du scénario. C'est un slasher, il faut des victimes, donc elles sont là. Mais il n'a jamais été question de rajouter des personnages à outrance pour aller toujours plus loin et offrir toujours plus de morts. On a surtout fait le film qu'on avait envie de voir, sans vraiment anticiper les attentes du public.
En tant que spectateurs, il y a des choses qui vous manquent aujourd'hui dans le cinéma ?
Bien sur ! Surtout dans le cinéma français ! On est fans, par exemple, des films de Claude Chabrol et des films de John Carpenter. Le problème, c'est que le cinéma de Carpenter propose des choses que ne propose pas Chabrol... Je ne sais pas si je suis clair dans mes propos, on est en fin de journée et tout, mais c'est une façon de dire qu'il y a une vraie carence en France dans ce domaine là. Une carence qui devient une frustration et qui pousse certains d'entre nous à faire des films un peu barrés comme ça, avec des nanas enceintes qui cherchent à s'éventrer... Il y a un film qui s'appelle Anthropophagus de Joe D'amato où un type plonge sa main dans le vagin d'une femme enceinte, qui extirpe le fœtus et qui le dévore devant elle. Ca a 25 ans, on découvre ce truc là quand on est ado et on se dit "Ouah, mortel !". Aujourd'hui il n'y a plus rien de comparable, même si déjà à l'époque ça restait dans le registre du bis italien. Ca faisait toujours son petit effet de découvrir ce genre de chose.
Un cinéma de genre français, même bis, serait donc le bienvenu.
Bien sur. Il n'y a rien de honteux à faire du bis et on se fonderait sans problème là dedans. A l'intérieur est considéré comme bis par beaucoup de gens, même si ensuite c'est une question de point de vue. Plein de gens trouvent que Ghost Of Mars est un film bis alors que pas du tout. Et puis entre nous, la classification "officielle" ne m'intéresse pas. On a du respect pour le cinéma sous toutes ses formes, et c'est toujours plus rigolo de savoir le culte que les gens vouent à un film que la catégorie dans laquelle on essaie de le mettre.
En tant que fans de grands classiques du genre, quel est votre regard sur la dernière tendance des remakes ?
Aucun problème là-dessus. Beaucoup de mecs gueulent parce que selon eux c'est honteux de faire des remakes, mais il ne faut pas croire que les relectures effacent l'œuvre originale. Les œuvres existent, restent, et seront toujours disponibles dans les rayons à la fnac. L'un n'empêche pas l'autre. Dans ce cas là il ne faut pas non plus faire Je suis une légende qui est aussi un remake parce qu'il y a déjà eu deux versions avant. Si on ne veut pas se répéter, autant arrêter immédiatement de faire des films parce que finalement nous racontons tous la même histoire. Nous les premiers : une femme qui en persécute une autre, ça doit bien être le remake de vingt films si on cherche bien... Le débat parait franchement obsolète et est surtout né depuis que les gens s'expriment sur Internet. Halloween de Rob Zombie est un chef d'œuvre et Halloween de John Carpenter reste toujours un chef d'œuvre. On peut regarder les deux avec un plaisir différent et apprécier les différentes réinterprétations.
Et l'aspect mercantile de la chose ?
C'est sur que les grands studios raclent leurs fonds de catalogue pour des mauvaises raisons, mais quand ça donne Halloween, on se dit que ça en valait la peine.
Ce qui nous amène à Hellraiser... Comment avez-vous pris l'offre ?
C'est vachement gratifiant, d'autant plus que nous, on n'est personne. A juste fait un petit film et soudainement on se retrouve catapultés sur la liste des gens capables de faire, selon les producteurs, les films qu'ils veulent mettre sur le marché. A l'heure actuelle, rien n'est encore signé à 100% en ce qui concerne le remake de Hellraiser. Nous savons très bien que nous sommes dans les petits papiers des studios américains parce que nous sommes un duo de jeunes réalisateurs français, et qu'après Alexandre Aja, nous correspondons à l'archétype de ce que des studios comme Dimension Films recherchent. A ce niveau là, nous ne sommes pas dupes. Donc, nous ne sommes pas encore tout à fait certains de réaliser Hellraiser puisque nous voulons être sûrs de faire exactement le film que nous souhaitons. Nous avons une idée, un script bien défini qui plait énormément à Clive Barker. Lui nous soutient complètement et c'est le plus important à nos yeux. Si jamais, pour quelque raison que ce soit, il y a un désaccord avec la production et que celle-ci veut de nous faire faire un autre film, nous passerons à autre chose. Notre objectif n'est vraiment pas de faire le film à tout prix même si ça nous déplait. Parmi nos idées, il y a des mutilés qui font l'amour alors qu'ils sont encore transpercés par des chaînes, des choses comme ça. Reste à voir si les Weinstein joueront le jeu.
Paradoxalement, vous encouragez le cinéma de genre français mais vous faites comme les autres et partez aux Etats-Unis. Si tout le monde s'arrache, qui fera les films en question ?
Ce n'est pas non plus incompatible et à coté d'Hellraiser nous travaillons sur un film français encore plus trash qu'A L'intérieur qui demande là aussi quelques négociations... Notre objectif premier, c'est de faire les films qui nous plaisent et pas d'accepter les premiers scripts qui nous tombent dans les mains. L'autre aspect de la chose, c'est qu'un bon film réalisé aux USA apporte une certaine crédibilité auprès des professionnels. Regarde Aja... Donc faire un seul bon film au states peut donner envie à des producteurs français de travailler avec nous. Notre désir le plus profond, c'est d'apporter notre petite pierre à l'édifice qui fera changer les mentalités ici. Pas d'aller s'installer à Hollywood pour faire une carrière là bas. En plus, Hellraiser, on aimerait vraiment le traîner vers nos références, notre univers et ne pas tomber dans un système. On aimerait même le tourner en Europe, c'est dire...
Vous avez l'air drôlement tièdes finalement.
A l'idée de travailler aux USA ? On est surtout prudents en fait. On a vu tellement de nos collègues jeunes réalisateurs partir là bas et revenus avec la sensation de s'être fait violer artistiquement qu'on voit la chose d'un œil différent. Là bas c'est une véritable industrie qui va souvent à l'encontre des réalisateurs et à des années lumières de la façon dont on peut concevoir un film en France. On a la chance de passer après les autres et de voir un peu comment chacun s'en est tiré. On appréhende les choses d'une façon la plus sereine possible, calmement, parce qu'on n'a vraiment pas envie de monter un projet contre notre gré. Tout ce qu'on veut, c'est faire du genre, et des bons films tant qu'à faire. Et si on doit avoir des budgets à un million toute notre vie, ce n'est pas grave... Enfin bon, là je fais le malin, mais si ça se trouve dans deux ans j'accepterai un gros blockbuster pour faire rentrer des thunes (rires).
C'est bien d'ouvrir sa gueule parfois...
Disons que ça peut être pris pour de l'arrogance. Y'a des tas de mecs chez nous qui adoreraient faire un gros blockbuster américain. En nous écoutant, ils doivent se dire "Quels connards ces deux là, on leur propose des trucs et ils font leurs difficiles". Enfin bon, chacun son truc. Il y a des mecs qui rêveraient de se faire un shoot d'héroïne, et ce n'est pas parce qu'on me le propose que je vais accepter.
Donc dans un sens, c'est valorisant d'être choisi, mais vous avez aussi été sélectionnés parce que vous correspondez à un certain cliché de réalisateurs à la mode. Ca relève tout de même de l'argument commercial, ça...
C'est certain que dans l'absolu, Hollywood n'en n'a rien à foutre de nous, et encore moins de notre style. Tout ce côté-là c'est du bluff, même si dans notre film américain, il y aura une featurette où un mec dira qu'il a adoré notre travail sur A l'interieur, etc. Rassures-toi, on en a conscience. Les producteurs américains cherchent surtout du sang neuf, de la chair à canon pour monter au front, mais le truc c'est qu'ils sont tous un peu à la recherche d'un autre Aja. C'est devenu un vrai symbole de réussite et ça a filé un coup de peps monstrueux à Wes Craven. C'est vraiment important d'avoir du recul là-dessus. En revanche, pour notre projet français, des gens sont venus nous voir en nous parlant longuement de notre premier film. On sait que ce qui les intéresse correspond plus à une démarche artistique. C'est très différent. Pourtant il est vachement sanglant notre scénar. On écrit les choses comme elles viennent, ça nous semble anodin, et lorsque les mecs commencent à nous énumérer les trucs qu'ils trouvent trop hardcore on se dit "Ah ouais, quand même"... Mais ça les intéresse. Le plus drôle dans tout ça, c'est qu'on a eu énormément de propositions à Hollywood de la part de gens qui n'avaient même pas vu notre film. Quelque chose comme quarante projets différents.
Des exemples ?
On nous a proposé Dracula Year Zéro, que devait ensuite faire Alex Proyas mais il a aussi laissé tombé. On a eu tous les remakes des films d'horreurs de la planète... les remakes de Maléfique et de Ils. Les mecs étaient tellement dans leur délire qu'ils n'avaient même pas remarqué qu'ils demandaient à deux français de réaliser les remakes de films français réalisés par d'autres français. En plus, les réalisateurs en questions sont déjà en place à Hollywood pour faire d'autres films de commande. Des remakes de films asiatiques. C'est n'importe quoi quand on y réfléchit. Enfin bon, qui dit duo de français dit forcément remake, c'est bien connu...
Pas de projets originaux ?
On a eu le scénario de Orphan entre les mains. Franchement, sur le papier, c'est génial. Finalement c'est Jaume Collet Sera (La Maison de cire) qui va le faire pour GhostHouse Pictures. On a vraiment hâte de voir ce que ça va donner à l'écran parce que c'est supra-trash. Sans doute l'un des scénarios les plus hardcores jamais écrits. On nous a proposé l'adaptation de Clocktower dont devrait finalement s'occuper Eric Valette. Et puis il y a eu deux projets fous. Le premier s'appelait Croc Vs Shark. Comme l'indique le titre, ça racontait l'histoire d'une ville soudainement submergée et attaquée à la fois par des crocodiles géants et des requins. Dans le même genre il y avait aussi un autre film, Killer Kart, qui racontait l'histoire d'un type mort dans un supermarché, qui s'était réincarné en caddie et qui tuait les clients en leur roulant dessus. Ca ne nous intéresse pas de faire ces deux films-là, mais on sera sûrement les premiers à foncer les voir lorsqu'ils sortiront en salles....
Interview réalisée le jeudi 17 janvier 2008