Le Petit fugitif : 18/20
Magnifique ! Carlotta nous offre une des plus belles images qu'il nous ait été donné de voir depuis ses débuts et offre au Petit fugitif un écrin de toute beauté qui nous laisse pantois. Malgré les années, le caractère exceptionnel du film, les conditions de tournage (à la sauvette) et le master d'origine sans doute usé par les conditions de conservation, la copie restaurée du film présentée dans son format d'origine 1.33 est extraordinaire. Les scories ont été purement et simplement éradiquées, le N&B est savamment contrasté et bigarré et regorge de détails, les noirs sont d'une rare densité, la granulation infime fait agréablement ressortir les textures, la profondeur est exceptionnelle, la luminosité est resplendissante. On croit manquer de qualificatifs devant ce master qui renforce encore plus notre attachement au film présenté dans de telles conditions techniques. Signalons malgré tout une rayure verticale dérisoire au moment de la séquence du baseball au début du film et de sensibles fourmillements durant les scènes de plage.
Saluons une fois de plus le travail de titan réalisé par l'éditeur sans qui ce petit chef d'œuvre aurait pu échapper à nos yeux de cinéphiles.
Lovers and lollipops : 11/20
Le master N&B de Lovers and lollipops apparaît bien trop lumineux voire surexposé lors de nombreuses séquences. C'est bien simple, la Statue de la Liberté a bien du mal à apparaître sur son socle lors de l'arrivée du couple à Liberty Island et se voit confondue avec le ciel incandescent. Les costumes blancs des comédiens s'assimilent avec les arrière-fonds quand ils sont filmés en contre-plongée avec le ciel bien mis en évidence. A part cela, quelques points noirs émaillent de temps à autre le master, les détails sont légers, quelques fourmillements se dessinent aux arrière-plans mais la granulation demeure discrète et une meilleure gestion des contrastes est perceptible dans les scènes d'intérieur. Grâce à une restauration consciencieuse, Lovers and lollipops ressuscite et brille (un peu trop) de mille feux. Le 16/9 est même offert en extra.
Weddings and babies : 16/20
La copie de Weddings and babies s'en sort avec tous les honneurs avec d'admirables contrastes, une profondeur agréable, une restauration haut de gamme faisant apparaître des noirs denses rendant hommage à la belle photo léchée et lumineuse signée Morris Engel lui-même donnant l'impression de voir des clichés prendre vie littéralement. Un carton d'introduction indique qu'il n'existe cependant pas d'élément 16/9 pour ce film et que l'éditeur nous le propose ainsi dans son format 1.66. respecté. Si quelques tremblements et petites tâches persistent malgré la remasterisation, notamment durant la séquence du cimetière où le grain est assez accentué, la définition est excellente et s'avère proche de l'incontestable réussite technique du Petit fugitif.
Le Petit fugitif : 13/20
La piste originale du Petit fugitif ronronne sensiblement, quelques craquements se font entendre mais la musique est brillamment restituée avec un bon équilibre des notes d'harmonica ponctuant les actions de notre jeune héros. Si les dialogues tendent parfois à la saturation, le mixage ne manque pas d'ardeur et accompagne habilement le spectateur tout au long du film. En revanche, la piste française s'adresse en priorité aux plus petits qui perdront nettement en termes d'ambiances annexes qui ont presque toutes disparues. Ce mixage artificiel (récent ?) est certes propre et sans souffle mais se concentre presque entièrement sur les dialogues et le rendu de la musique est nettement plus sourd.
Lovers and lollipops : 13/20
Weddings and babies : 14/20
Les deux mixages sont comparables pour les deux films marqués par un craquement chronique concernant Lovers and lollipops et des dialogues parfois un peu étouffés pour Weddings and babies. Si la musique et les dialogues saturent de temps à autres dans le premier long métrage, le deuxième s'en sort mieux avec une bande-son plus propre. Lors des changements de bobine, les accrocs techniques s'amplifient sommairement et l'ensemble manque de temps en temps d'ardeur. Le volume des dialogues dépend des conditions de prises de vue réalisées la plupart du temps en extérieur avec les bruits de la circulation prenant souvent le pas sur les voix des comédiens. Les bandes-originales signées Eddy Lawrence Manson (Le Petit fugitif) sont quant à elles bien mises en valeur.
DVD 1 (Le Petit fugitif)
Le chaînon manquant - une introduction d'Alain Bergala (10min59)
L'indispensable Alain Bergala, réalisateur et enseignant à la Fémis, établit un lien direct entre Le Petit fugitif, réalisé en 1953, avec le néo-réalisme apparu en Italie entre 1945 et 1948, et la Nouvelle Vague française dont le fer de lance demeure A bout de souffle de Jean-Luc Godard et Les 400 coups de François Truffaut. Dans une brillante démonstration, Alain Bergala démontre que Le Petit fugitif s'avère être le maillon manquant du cinéma moderne, à égalité toutefois avec le chef d'œuvre d'Ingmar Bergman, Monika. Tout du long, notre interlocuteur raconte la genèse du film de Morris Engel, Ruth Orkin et Ray Ashley, en apportant de nombreuses anecdotes liées à la carrière de Morris Engel et à la production du Petit fugitif, revenant notamment sur la création de la petite caméra 35 mm avec laquelle les prises de vue ont été réalisées en catimini au milieu de la foule de Coney Island. Alain Bergala clôt cet indispensable prologue en rappelant le fameux n°31 des Cahiers du Cinéma où François Truffaut déclarait la guerre au cinéma dit traditionnel en apposant une photo du Petit fugitif en une, précisant de ce fait que le cinéma moderne qu'il désirait faire avec ses confrères devait ressembler au film de Morris Engel.
Morris Engel, l'indépendant (28min31)
Mary Engel, fille de Morris Engel et de Ruth Orkin, rend hommage à son père et à son œuvre grâce à de nombreux témoignages d'hier et d'aujourd'hui, le tout illustré d'archives familiales et des photos magnifiques en N&B. Une rapide biographie de Morris Engel (1918-2005), poète de la vie urbaine, est ainsi intimement dressée en un peu moins d'une demi-heure à travers des photos de son enfance, ses premiers travaux et des images tirées du Petit fugitif, Lovers and lollipops, Weddings and babies. Dans la deuxième partie de ce documentaire, Morris Engel lui-même commente quelques photos présentées lors d'une exposition qui lui était consacrée en 2000 et présente son film Le Petit fugitif avant sa projection au moment d'une rétrospective.
Mais la plus grosse surprise provient des retrouvailles émouvantes survenues en 1996 entre Morris Engel et Richie Andrusco, alias Joey, le petit fugitif lui-même. Les deux hommes évoquent quelques souvenirs de tournage tout en se baladant dans Coney Island où Richie Andrusco nous rejoue quelques scènes clés du film.
L'interactivité se clôt sur la bande-annonce d'époque (1min50) et celle de la ressortie du film en 2009 (1min14).
Vous retrouverez également en supplément un livret fac-similé du carnet de tournage (36 pages), appelé aussi scrapbook, initialement conçu et réalisé par Ruth Orkin, co-réalisatrice du film et monteuse du Petit fugitif. Le document d'origine était composé de feuilles blanches et noires sur lesquelles avaient été collées les photos et les dialogues du film. Autant vous le dire que ce petit livret est magnifique !
DVD 2 (Lovers and lollipops, Weddings and babies)
Sur ce deuxième DVD se trouvent les autres films réalisés par Morris Engel après Le Petit fugitif :
Lovers and lollipops (1955) : réalisé en 1955, raconte l'histoire de Ann, une jeune veuve qui vit à New York avec sa fille de sept ans, Peggy. Alors que celle-ci s'ennuie pendant les vacances, sa mère se met à fréquenter Larry, un ami de longue date de retour d'un séjour en Amérique du Sud. Voyant la relation se développer entre les deux adultes, la petite fille hésite entre méfiance et curiosité pour ce nouveau père. L'intimité, l'amour et le quotidien d'une jeune mère-veuve devant s'occuper de sa petite fille et tentant également de reconstruire sa vie nous est ainsi dévoilée. Ce film, plus construit que Le Petit fugitif, permet surtout à Morris Engel de rendre un splendide hommage à New York et ses habitants en promenant le spectateur au zoo du Bronx, dans les musées, à Central Park, sur Liberty Island, au sommet de l'Empire State Building jusqu'à la plage de Coney Island. Le regard de la petite fille est également observé à l'instar de celui de Richie Andrusco dans Le Petit fugitif et le réalisateur nous montre une enfant comme les autres, capricieuse, attachante et drôle dans un cinéma s'attachant à la vérité. Oeuvre éprise de liberté, la réflexion du spectateur est ainsi constamment éveillée grâce au regard humaniste de Morris Engel.
Weddings and babies (1958) : Trois ans après Lovers and lollipops, Morris Engel place sa caméra dans le quartier de Little Italy à New York pour Weddings and babies. Al et Bea tiennent le magasin de photographie Weddings and Babies, spécialisé dans les mariages et naissances. La jeune femme, d'origine suédoise, aspire à se marier et fonder une famille tandis qu'Al, plus préoccupé par ses envies professionnelles, ne semble pas prêt à franchir le pas. L'apparition soudaine de la mère âgée de ce dernier, expulsée de son logement, ne fait qu'aggraver la situation. Plus grave mais moins percutant que Le Petit fugitif ou Lovers and lollipops, Weddings and babies touche au mélodrame. Le cinéma-vérité de Morris Engel prend son ampleur quand la caméra déambule dans les quartiers de son enfance, Little Italy, en se focalisant sur ses habitants, ses spécialités et ses marchés. Témoin de son époque, Morris Engel capture des instants de vie authentiques.
Vous retrouverez également sur ce deuxième DVD, le documentaire suivant :
Ruth Orkin, images de la vie (18min15)
A l'instar de l'hommage rendu à son père dans le supplément présent sur le DVD du Petit fugitif, Mary Engel dresse cette fois le portrait de sa mère Ruth Orkin, figure incontournable de la photographie américaine d'après-guerre et auteur du célèbre cliché American Girl in Italy. De nombreux travaux de la photographe parsèment cet émouvant témoignage, ainsi que des archives personnelles et d'autres déclarations d'anciens collaborateurs. Réalisé en 1995 à l'occasion du dixième anniversaire de la mort de Ruth Orkin, ce segment complète idéalement celui sur Morris Engel.