Test DVD : Mikey et Nicky
Le 21/02/2008 à 11:25
Par Sabrina Piazzi
Avant d'être reconnue comme étant la principale responsable d'un des échecs les plus cuisants du cinéma américain des années 80 avec le film Ishtar (Warren Beatty, Dustin Hoffman et Isabelle Adjani), Elaine May avait écrit et réalisé Mikey et Nicky en 1976. Film indépendant méconnu, le troisième long métrage (après A new leaf et surtout Le Brise coeur, dont le remake a été signé il y a quelques mois par les frères Farrelly avec Les Femmes de ses rêves) de la comédienne-scénariste-réalisatrice aura attendu une dizaine d'années avant de sortir sur les écrans français suite à un conflit opposant les studios de la Paramount à la réalisatrice. Remonté par le studio pour sa sortie en 1976, le film avait alors été renié par Elaine May qui avait dû attendre 1986 pour livrer sa version Director's cut.
C'est peu dire que le casting est alléchant : John Cassavetes, comédien, auteur et cinéaste majeur du cinéma indépendant américain, épaulé par son acteur fétiche et ami Peter Falk qu'il avait déjà dirigé en 1971 dans Husbands et en 1975 dans Une femme sous influence.
La première vision du film risque d'en dérouter plus d'un. On ne sait vraiment que dire de ce film dont l'histoire ne se résume en fait qu'à quelques lignes, les acteurs faisant le reste. Ces deux là ne jouent pas mais incarnent véritablement sous nos yeux ces deux amis liés par trente années d'amitié et de complicité, et qui pourtant se déchirent. Après mûre réflexion, le film se rejoue dans notre tête et les éléments se mettent en place. Elaine May plonge le spectateur dans les rues oubliées de Philadelphie, ses rues désertes éclairées par les néons des bars miteux et les phares des bus nocturnes. Filmé en caméra portée et nerveuse, le film montre la nuit d'errance de deux protagonistes dont l'un est conscient que ce sera probablement sa dernière. Nicky (John Cassavetes) apprend que la mafia a mis sa tête à prix après avoir volé le parrain. Il appelle Mickey (Peter Falk) qui comme toujours vient le tirer d'affaire. Celui-ci l'aide à surmonter sa paranoïa et son angoisse. Il réussit à le sortir de l'hôtel où il se terre et propose un plan pour s'enfuir. Alors qu'un tueur est à leurs trousses, les deux amis doivent sauver leur peau, et s'interrogent sur la trahison, le regret et le sens de leur amitié.
Si Nicky semble constamment sur ses gardes, courant plus qu'il ne marche en regardant constamment en arrière, la caméra d'Elaine May semble être reliée aux centres nerveux du personnage. Au fur et à mesure que les doutes de Nicky s'installent envers son ami, la caméra devient instable, s'agite jusqu'à l'hystérie. La réalisation prend aussi de la distance pour devenir finalement un témoin de l'histoire à part entière tout en préservant le mystère sur ces deux personnages. Les vingt premières minutes tentent de nous faire connaître un minimum Mikey et Nicky. Le lieu unique de l'action sera confiné à la chambre d'hôtel dans laquelle le premier rejoint l'autre. Dès leur sortie, toutes les idées que l'on pouvait se faire sur ces personnages semblent être remises en question, Elaine May soulignant les bons mais surtout leurs mauvais côtés. Si le rêve américain n'est ni pour l'un ni pour l'autre, au moins auront-ils tenté de s'en approcher, quitte à remettre en question le fondement sacré de leur amitié. L'un est sans nul doute plus malin que l'autre et s'il parviendra à s'enrichir, son moi profond ne sortira pas indemne de sa trahison. Le personnage de Mikey est à l'opposé de celui de Nicky : calme, vraisemblablement réfléchi et posé, ce n'est pas par ses gestes qu'il se dévoile au spectateur mais par son bouillonnement intérieur, luttant constamment contre ses doutes, ses actes et un secret qu'il aurait peut-être été judicieux de ne révéler que dans les dernières minutes du film. Il n'empêche que si l'un est survolté et nerveux (Nicky), l'autre est presque quasiment à l'agonie intérieurement (Mikey).
L'influence du cinéma de Cassavetes-réalisateur plane sur l'oeuvre d'Elaine May, et pour de nombreuses critiques, il s'agit du meilleur film de Cassavetes qu'il n'a pas réalisé.
Film noir psychologique saupoudré des codes de la Nouvelle Vague et du Nouvel Hollywood, laissant place à l'improvisation technique, Elaine May distille au compte-goutte les éléments d'un puzzle un peu abracadabrant, parfois long, souvent prenant jusqu'au final bouleversant. L'ambiance seventies comblera les attentes des cinéphiles amoureux de cette période du cinéma indépendant US mais risquera d'en frustrer plus d'un par ses nombreuses maladresses techniques : reflets du caméraman, apparition du perchman, montage haché, histoire explosée et maladroite... Mikey et Nicky est un film étrange, soutenu par deux formidables acteurs dont l'évidente complicité renforce la palette de sentiments traversée par le spectateur.
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