A Bord du Darjeeling Limited
Le 01/02/2008 à 15:24Par Elodie Leroy
Sous des dehors de comédie légère habitée des personnages hauts en couleur, A Bord du Darjeeling Limited raconte une histoire d'amour fraternel touchante mais aussi celle d'une véritable quête spirituelle, le tout dans un décor exotique joliment filmé. Porté par un casting au diapason avec la tonalité tantôt burlesque tantôt dramatique de l'œuvre, A Bord du Darjeeling Limited est un film extrêmement attachant qui confirme le talent de Wes Anderson, dont le style original s'accompagne d'un humanisme jamais surfait, toujours sincère.
Avec La Famille Tenenbaum et La Vie Aquatique, le cinéma de Wes Anderson a su s'imposer comme un bon remède au formatage hollywoodien, mais aussi comme une alternative rafraîchissante à la sècheresse habituelle du cinéma indépendant américain. On l'attendait donc avec impatience, ce A Bord du Darjeeling Limited, de même que le court métrage qui précède sa projection, Hotel Chevalier. Bonne nouvelle, le cinéaste reste fidèle au style unique en son genre qui a fait son succès, tout en gardant sa capacité à nous surprendre. Explorant la complexité des relations familiales avec la même verve et la même fantaisie que La Famille Tenenbaum, A Bord du Darjeeling Limited plante son décor dans l'Inde d'aujourd'hui et se présente comme une sorte de road movie décalé marquant les retrouvailles entre trois frères, un an après la mort de leur père. Une année entière pendant laquelle ils ne se sont ni vus ni adressés la parole. Sous des dehors de comédie légère fondée sur des situations insolites et habitée par des personnages hauts en couleur, le nouveau Wes Anderson n'en raconte pas moins une histoire d'amour fraternel extrêmement touchante.
Il est impossible de parler d'un film d'Anderson sans évoquer ses personnages. Comme d'habitude chez l'auteur, les protagonistes principaux d'A Bord du Darjeeling Limited se caractérisent par des petits travers sans gravité, mais qui peuvent devenir terriblement irritants si l'on se trouve faire partie de leur entourage. Entre Francis (Owen Wilson), l'aîné qui s'impose immédiatement comme l'élément tyrannique du groupe, Peter (Adrien Brody) qui tente constamment de s'affranchir de ce dernier mais ne parvient qu'à montrer son immaturité, et Jack (Jason Schwartzman), dont l'attitude détachée confine au désinvestissement affectif, difficile de réaliser un voyage touristique en toute sérénité, fut-ce dans l'un des plus fascinants pays du monde. Que se passe-t-il lorsque trois lascars en pleine crise affective s'égarent dans l'immensité de l'Inde ? On l'a deviné, le programme élaboré des mois à l'avance par Francis va vite partir en vrille et le conflit ne va pas tarder à pointer le bout de son nez. Si l'on rit plus d'une fois des réactions puériles des trois hommes, ou encore des bourdes qu'ils accumulent au cours de leur séjour dans le Darjeeling Limited, ce sont bientôt leurs blessures qui apparaissent au grand jour. Si le style de Wes Anderson se caractérise par un humour reposant volontiers sur l'incongru des situations, il y a dans la manière du cinéaste d'aborder ses personnages un véritable humanisme, jamais surfait, toujours empreint d'une grande sincérité. C'est ainsi que Francis, Peter et Jack ne paraissent jamais aussi attachants que lorsqu'ils révèlent leur égoïsme, manifestation la plus évidente de leur vulnérabilité. Jack bénéficie d'un traitement de faveur puisque sa récente rupture amoureuse est évoquée dans le court Hotel Chevalier, où il fait face à son ex-petite amie (Natalie Portman, qui fait aussi une caméo dans le film), un prologue intimiste teinté de mélancolie qui n'a pas seulement pour effet d'étoffer son personnage, mais aussi d'amener par la suite le spectateur à s'interroger sur le vécu de ses frères. Francis affiche en quelque sorte ouvertement sa douleur en trimballant fièrement ses bandages, pour un résultat franchement comique à voir, tandis que Peter consomme des substances chimiques pour supporter son angoisse quotidienne - un comportement récurrent dans les films d'Anderson.
En les confrontant chacun leur tour à la situation qu'ils ont toujours tenté de fuir, le récit amène les trois compères à mettre un peu d'eau dans leur vin mais aussi à s'interroger sur le véritable but de leur quête. La première réaction lorsque Francis fait mention d'une recherche spirituelle sera bien entendu le pouffement de rire, tant l'idée parait relever du cliché carte postale. Ses tentatives de faire pratiquer à Peter et Jack un rite pour le moins nébuleux ne font rien pour arranger les choses. Pourtant, le plus improbable se produit et de manière totalement inattendue, le voyage de ces trois exilés les mène bel et bien à effectuer un retour aux sources. On l'aura compris, le caractère exotique du décor - au passage, les paysages de l'Inde sont superbement filmés et photographiés - exprime le déracinement qu'ils ressentent depuis la mort de leur père et le départ inexpliqué de leur mère (Anjelica Huston). En plus d'être un petit bijou d'humour décalé, A Bord du Darjeeling Limited distille ça et là une gravité qui sonne toujours juste, même lorsqu'une tragédie survient au moment le plus imprévu. Il faut dire que le film est servi par un casting au diapason avec la tonalité tantôt burlesque tantôt poignante de l'œuvre. A ce titre, difficile de déterminer lequel des trois comédiens Owen Wilson, Adrien Brody et Jason Schwarzman détient la palme de la composition la plus drôle mais aussi la plus authentique. En tout cas, l'alchimie fonctionne merveilleusement à chaque minute de bobine et participe grandement au charme de cette folle aventure.