Coraline
Le 10/06/2009 à 17:30Par Michèle Bori
Respectant scrupuleusement l'univers du roman de Neil Gaiman, Coraline se pose comme une relecture animée du chef d'œuvre de Victor Fleming Le Magicien d'Oz, dont le chemin aurait par hasard croisé la mythologie de quelques célèbres contes des frères Grimm (Hansel et Gretel en tête, pour sa morale), le tout dans un univers comme on n'en avait pas vu depuis les premiers Burton (une pincée de Beetlejuice, un soupçon d'Edward aux mains d'argent). Un film dont chaque détail fait appel à l'imaginaire, qui transpire d'intelligence et qui nous laisse avec des images et des musiques plein la tête. Une réussite aussi bien formelle que métatextuelle, qui entre de plus directement au panthéon des plus belles figurations du rêve au cinéma, aux côtés d'Alice au pays des merveilles, du Voyage de Chihiro, mais aussi d'Avalon et de Lost Highway. Une claque.
Coraline marque la rencontre de deux visionnaires. Henry Selick d'un côté, Neil Gaiman de l'autre. Le premier est connu pour être le coréalisateur du plus grand film d'animation en stop-motion jamais réalisé, L'étrange Noël de Monsieur Jack. Le second pour être l'un des auteurs les plus géniaux de sa génération, à qui l'on doit entre autre la monstrueuse saga Sandman, mais aussi quelques bijoux comme Black Orchid ou The Tragical Comedy or Comical Tragedy of Mr. Punch (dessinées par son acolyte Dave McKean) ou encore les romans Stardust, American Gods et surtout De bons présages, coécrit avec le cultissime Terry Pratchett. Et à la base de Coraline le film, il y a Coraline le livre, sorti en 2002, conte imaginé par Gaiman se situant à la croisée d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll et de Marianne Dreams de Catherine Storr. Un bien alléchant programme, pour un film que l'on attendait avec une impatience non dissimulée, la presse américaine ayant réservé au film un accueil plutôt unanime. A raison, puisque Coraline fait certainement partie de ce que l'animation occidentale nous a offert de plus grandiose depuis moult années.
Coraline vient de s'installer avec ses parents dans une vieille maison perdue dans la campagne. En fouillant les lieux, elle va tomber sur une petite porte lui donnant accès à un monde de rêve, dans lequel ses parents sont attentionnés, sa chambre belle, son jardin fleuri et ses voisins drôles et gentils. La passion de Gaiman pour tout ce qui touche au monde du songe et des réalités alternées (fondation parmi d'autres de l'œuvre de l'auteur, qui trouve son paroxysme dans Sandman, citant à plusieurs reprises De l'autre côté du miroir, de Carroll toujours), représente donc la base du film de Selick, faisant de Coraline une histoire sur l'enfance, sur le rêve et surtout sur le pouvoir de l'imagination et le dénigrement du réel. "Be careful what you wish for" nous dit l'affiche du film, ou "Attention à ce que tu pourrais souhaiter". La petit Coraline va vite découvrir que cette perfection de tous les instants a un prix. En l'occurrence, remplacer ses yeux par des boutons. Entre rêve et réalité, la jeune fille devra agir, puisqu'à trop vouloir rejeter la réalité pour mieux vivre dans un monde qui n'existe que pour ses yeux (qu'on aimerait lui retirer donc, sans doute pour ne pas voir la vérité), elle va se retrouver prise au piège du jeu d'une Boogeywoman terrifiante, comme on n'en avait pas vu depuis la sorcière de La Belle au bois dormants. Le conte de fée va alors virer au cauchemar. Et si Coraline est à la base un conte/livre/film pour les plus jeunes, il n'en demeure pas moins que son histoire, ses personnages et surtout quelques unes de ses scènes (par leur déviance et leur capacité à se rapprocher de ce qu'il peut exister de plus sombre dans les songes enfantins) pourraient en effrayer plus d'un. Un peu comme l'avaient fait à leur époque respective Alice aux pays des merveilles et Le Voyage de Chihiro... C'est à partir de cet équilibre fragile entre rêverie et effroi que prend forme l'histoire de Coraline : un sublime voyage dans l'imaginaire d'une petite fille, contrainte de laisser derrière elle ses désirs pour mieux accepter son quotidien. Dans le jargon, on appelle ça une quête initiatique.
Toutefois, résumer Coraline à son sublime scénario serait bien réducteur. Car si le récit de Gaiman a bien sûr son importance dans la réussite du film de par sa profondeur, la vision d'Henry Selick confère au film une poésie et une magie de tous les instants, comme on a rarement la chance d'en découvrir. Véritable travail d'orfèvre sur le plan de l'animation (à mi-chemin entre la perfection formelle des Noces funèbres de Tim Burton et de la minutie artisanale du studio Aardman), disposant d'un univers enivrant de richesse, Coraline est un bijou de mise en images, une œuvre plastiquement ahurissante qui parvient à se hisser au niveau de ce que Pixar ou Ghibli a pu offrir de plus abouti ces dernières années. Il y a dans ce film une beauté, un pouvoir presque, qui fait que chaque image de chaque plan parvient à nous émerveiller, à stimuler notre imagination. Un bonheur immédiat, dont les moments de grâce sont atteint lorsque Coraline, montée sur une mente religieuse mécanique, visite son jardin imaginaire avec son "autre père", ou encore quand elle assiste à la représentation des souris sauteuses de son voisin Bobinsky. Un véritable trip, vertigineux de splendeur, accompagné par une partition magistrale d'un Bruno Coulais plus inspiré que jamais, qui mélange scores jazzy et cristallins dans un score orchestral conduit par Laurent Petitgirard (rien que ça) qui devrait devenir vite aussi appréciée que certaines compos de Danny Elfman (rien que ça aussi). De plus, usant de codes couleurs en rapport direct avec la symbolique du rêve (récurrence du bleu et du orange, couleurs représentant respectivement l'absence d'amour et la jalousie), Henry Selick offre à Coraline une dimension visuelle purement expressionniste en adéquation parfaite avec les écrits de Gaiman. Ce dernier peut d'ailleurs se frotter les mains, car après les réussites artistiques que furent Stardust et La légende de Beowulf, il y a fort à parier qu'il devienne un auteur prisé du cinéma. Et bon courage à celui qui voudra faire Sandman le film...
Coraline est donc une réussite, un film grandiose sur le fond comme dans la forme, un voyage unique qui plonge le spectateur dans une histoire sublime dans un univers coloré et effrayant à la fois. Si L'étrange Noël de Monsieur Jack ne disposait pas d'un capital sympathie et nostalgique hors norme, nous serions tentés de dire qu'il s'agit là du plus beau et du plus grand film en stop-motion jamais réalisé par un grand studio américain.
Première publication de cette critique : 30/03/2009