Des trous dans la tête !
Le 25/09/2008 à 08:01Par Yann Rutledge
Notre avis
En revenant aux fondamentaux du cinéma, Guy Maddin nous offre avec Des trous dans la tête ! un trip halluciné simili-autobiographique, une plongée dans les obsessions d'un ado qui découvre sa sexualité et le désir d'émancipation. Surprenant formellement dans sa première partie, tordante dans sa seconde, plus excentrique, Des trous dans la tête ! s'impose une nouvelle fois comme un très bon cru du cinéaste canadien.
"Le cinéma est mort au passage du muet au sonore" affirmait Jean-Luc Godard. Merci Jean-Luc. Bien que ce ne soit pas totalement faux, la caméra ayant perdu (pour un temps) cette liberté de mouvement qu'elle avait fièrement acquise en deux décennies, le cinéma redevenant (pour un temps, on le répète) qu'une espèce de théâtre filmé, on conviendra tout de même qu'après 1929 le cinéma nous a tout de même offert des petits films comme Citizen Kane, Les Sept Samourais ou Transformers. Non, le cinéma n'est pas plus mort quand la télévision est née, ni quand pour la première fois un téléspectateur a appuyé sur sa zapette et encore moins quand YouTube a été créé.
Mais pénétrer dans l'univers du cinéaste canadien Guy Maddin, c'est entrer un monde dans lequel le cinéma n'a pas entendu la douce voix du Chanteur de Jazz et a pallié ce manque en poussant à l'extrême les expérimentations de l'avant-garde française (Abel Gance et sa Roue), allemande (en premier lieu l'expressionnisme) et soviétique (Eisenstein et son Cuirassé Potemkine). Maddin livre des expériences visuelles inédites, des trips entre songe et cauchemar, proche de l'univers d'un David Lynch période Eraserhead.
Trois ans après The Saddest Music in the World qui restera sans doute son film le plus accessible (le film est parlant, la narration dépouillée et Isabella Rosselini est en tête d'affiche) et trois court-métrages frappadingues (particulièrement My Dad Is 100 Years Old dans lequel Isabella Rosselini évoque l'héritage de son père en se grimant successivement en sa mère, Hitchcock, Fellini et en Charlie Chaplin !), Maddin nous revient avec un film "autobiographique" dans lequel il nous plonge au coeur de ses peurs, de ses angoisses, de ses désirs et surtout de sa libido d'adolescent. A mille lieues des "tranches de vies douces/amères" dont nous sommes abreuvés, Des trous dans la tête ! est une expérience sensorielle et allégorique que l'on pourrait rapprocher de L'Ecume des jours de Boris Vian et de l'univers de Lynch.
Une île, un phare faisant office d'orphelinat, une mère dominatrice et tyrannique, un père inventeur absent car constamment enfoui au sous-sol ; à la découverte d'étranges blessures sur la tête des orphelins, les "Enfants Lumière" (un frère et une soeur détectives) se rendent sur l'île pour y mener leur enquête. Alors que Guy et sa soeur sont en émoi devant ses deux enquêteurs, les terribles secrets de la famille de Guy sont peu à peu dévoilés... Voilà en substance ce à quoi nous avons droit dans la première partie, la seconde se déployant dans des contrées insoupçonnables, où le fantastique le plus pur s'immisce avec un naturel confondant dans cette réalité autobiographique.
Guy Maddin brasse pêle-mêle tout un pan du cinéma, l'avant-garde cinématographique on l'a déjà dit, mais aussi les feuilletons de Louis Feuillade (le film étant divisé en chapitre), les films d'enfance tel Zéro de conduite de Jean Vigo et Les 400 Coups de François Truffaut (l'acteur interprétant Guy enfant ressemble à s'y méprendre à Jean-Pierre Léaud), mais aussi le vampirisme, la littérature enfantine et ses héros enquêteurs en culotte courte, sans oublier ses obsessions que l'on retrouve dans tous ses films que sont l'amnésie (ici on parlera plus de lobotomie), le tabou sexuel (l'homosexualité féminine) et l'héritage familial (comment les enfants reproduisent finalement les erreurs de leurs parents).
Maddin semble depuis quelques films parler plus ouvertement de lui-même, de sa famille (Des trous dans la tête ! donc mais aussi précédemment Les lâches s'agenouillent) et du milieu dans lequel il a grandi (My Winnipeg). Se servir du pouvoir du cinéma à des fins catharsiques. D'où l'importance de l'utilisation du Super-8, de l'omniprésence du grain de pellicule et de ce montage frénétique qui, loin d'être l'étiquette de gadget visuel que certains aimeraient lui coller, permettent de produire du sens que seuls les sens peuvent discerner et saisir. Du vrai Cinéma donc, qui s'exprime à nous par le simple biais des images. Si le cinéma était mort, Guy Maddin vient de le ressusciter.