Godzilla : Plus c'est gros, plus c'est bon ! [Critique]
Le 14/05/2014 à 15:15Par Camille Solal
Godzilla : La Critique du Film
Le monstre le plus célèbre de l’histoire du cinéma est de retour sous la houlette du jeune metteur en scène virtuose Gareth Edwards (Monsters). Nouvelle itération du genre kaijū eiga (le cinéma des monstres), Godzilla 2014 effectue un retour aux sources salvateur sous forme de vibrant hommage au film d’origine, à la culture kaiju et à l’héritage de la Tōhō, la célèbre maison de production japonaise et le berceau du Roi des monstres. En effet, Godzilla a 60 ans cette année et ce film, le 30ème de la série, s’inscrit très clairement dans la saga - au même titre que Skyfall pour James Bond - comme un épisode anniversaire, une sorte de gigantesque lettre d’amour à l’œuvre et au patrimoine de cette figure emblématique de la pop culture. La ville de Tokyo comme épicentre de la tragédie, la dénonciation de l’armement nucléaire, le design de Godzilla avec ses spécificités morphologiques (son gigantisme, son hurlement, ses épines dorsales, son souffle radioactif), son rôle de protecteur ou encore ses batailles épiques contre divers monstres sont autant de représentations qui caractérisent la saga et définissent le long-métrage. Ces éléments clés de la série ainsi que les grands thèmes écologiques et pacifiques de l’œuvre originale de Ishirô Honda élèvent ainsi le film au-dessus de son image stéréotypée de blockbuster estival et le démarque drastiquement de son prédécesseur, fun et décomplexé, réalisé par Roland Emmerich en 1998. Si ce retour aux sources sous forme de fan service manquera à la fois de surprises pour les amateurs de la franchise et d’action tous azimuts pour les goinfres d'actioners, il permet néanmoins à la série de renouer avec le ton sérieux et dénonciateur du film original de 1954.
Une puissante lettre d'amour à la saga Godzilla
Oubliez donc les œufs dans le Madison Square Garden, la folle course poursuite en taxi dans les rues de New York ou bien encore l’électrocution de la gencive du monstre, Godzilla 2014 est un film réaliste. Ici personne ne va partir la fleur au fusil affronter la bête car les humains ne sont pas des super-héros mais, au contraire, des dommages collatéraux. A l’inverse des protagonistes de Pacific Rim, les personnages humains de Godzilla sont ainsi totalement dépassés par l’apparition de ces titans et réduits à l’état de fourmis dont la riposte armée n’aura finalement que peu d’impact sur l’issue de l’affrontement. Néanmoins, la dimension humaine est particulièrement prégnante pendant une très grosse majorité du film avec l’introduction poussive de personnages (en multipliant les époques, générations, points de vue et lieux) et l’exploration d’un véritable drame familial. Malheureusement, tout ce travail sur l’empathie du spectateur envers les protagonistes est broyé dès que les monstres surgissent. Alors qu’un traitement semblable à celui du film The Impossible aurait été intéressant avec cette idée de leçon de survie physiquement et visuellement éprouvante, le scénario décide d’écarter purement et simplement certains personnages (pauvre Elle Brody / Elizabeth Olsen !) afin de se concentrer sur un seul élément : l’action. Pour autant, même lorsque les créatures débarquent, la mise en scène continue d’adopter un point de vue humain et personnel sur la catastrophe. Comme dans Cloverfield (la notion de found footage en moins), le film nous expose en effet ces colosses presque comme si nous, spectateurs, étions aussi dans les rues de San Francisco.
Un drame intimiste et un blockbuster épique
Lorsque Godzilla débarque c'est un véritable déferlement visuel et sonore qui jaillit de la toile blanche. Le monstre est représenté comme un titan (pour ne pas dire un Dieu), dont le design mêle à la fois une fidélité à la créature originale et une certaine modernité (tout en effets spéciaux, bien entendu). Son chara design d’animal sauvage, sa nature anthropomorphique, sa manière de se mouvoir, ses capacités et sa posture noble et majestueuse lui confèrent une image de protecteur et une vraie âme de samouraï. Tel un Ronin arpentant notre planète, Godzilla, de par sa bienveillance envers les humains, renvoie directement aux principes du Shintoïsme, la plus ancienne religion du Japon dont le concept majeur est le caractère sacré de la nature. Critique acerbe de l‘égo surdimensionné de l’espèce humaine, les monstres sont ainsi une métaphore sur le respect de Mère Nature soulignée par le spectre très présent des bombardements nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki mais aussi par des situations qui font échos à notre propre actualité (le tsunami d’Asie du Sud ou bien encore le tremblement de terre de Fukushima). Face à Godzilla se tient des MUTO, un terrible binôme d’adversaires mâle / femelle créé spécialement pour le film et qui donnera bien du fil à retordre à notre rôle-titre. Tous dotés de prestance et de consistance (de par leur poids, la lenteur de leurs mouvements et la puissance de leurs coups), on a vraiment l’impression d’assister à un véritable combat de Dieux, inatteignables pour de simples humains, avec d’un côté les forces du bien et de l’autre celles du mal. Durant cette bataille dantesque de 30 minutes labellisée superproduction Hollywoodienne, la ville de San Francisco est ravagée par les flammes, les buildings s’écroulent et derrière la poussière épaisse, les gigantesques ruines et la teinte rouge-orangée se dessine une spectaculaire vision apocalyptique. Rarement un film n’avait su capter ce sentiment de catastrophe absolue et d'illustration du Jugement Dernier. A ce titre, ce nouvel épisode sous forme de reboot / remake se distingue particulièrement de ses prédécesseurs par une mise en scène en tous points irréprochable.
Godzilla est une arme de destruction massive
En effet, visuellement Godzilla 2014 est un spectacle époustouflant, titanesque et sublime. En maîtrisant son cadre et en jouant à la perfection sur les variations d’atmosphères, Gareth Edwards délivre des séquences d’action anthologiques magnifiées à la fois par de très bons effets spéciaux, de sublimes décors dévastés et un score puissant et percutant signé Alexandre Desplat. C’est bien simple, Godzilla est une arme de destruction massive qui renvoie à l’âge de pierre bon nombre de films catastrophe. Sous influence évidente de l’œuvre de Steven Spielberg (La Guerre des Mondes, Jurassic Park ou bien encore Les Dents de la Mer pour l’anticipation liée à l’apparition des monstres), le réalisateur est aussi à l’aise lors des scènes de drame familial que pendant l'entrée en action du Roi des monstres. C'est même lorsque le film plonge en plein cœur du chaos qu'il se révèle intense, énergique et d’une beauté parfois bouleversante (la sublime scène du saut en parachute).
Véritable film hommage qui rend justice à la portée allégorique et métaphorique de la saga (menaces écologiques, catastrophes climatiques et nucléaires, ravages de la guerre et, plus généralement, de la bêtise de l’homme), Godzilla 2014 dépoussière le mythe en insufflant à la saga un nouveau souffle épique. Si on peut regretter un traitement des enjeux humains bien en deçà de l’alchimie émotionnelle qu’il avait su créer avec son précédent film Monsters, Gareth Edwards confirme ici son absolu et indiscutable talent et devient officiellement, avec ce second film, un des plus grands réalisateurs de sa génération. Godzilla est un blockbuster atypique qui n’insulte pas l’intelligence du spectateur et qui prend le temps (certes peut-être un peu trop) de le projeter dans son monde et de faire de lui un témoin vivant d’un drame familial intimiste autant que d’une très grande épopée homérique.