Half Nelson
Le 18/07/2007 à 11:59Par Caroline Leroy
Ryan Gosling, magistral, et Shareeka Epps, renversante, s'abandonnent totalement à leurs personnages superbement écrits, sous l'œil inspiré de Ryan Fleck qui signe avec Half Nelson un drame psychologique d'une intelligence rare, l'un des plus beaux films de l'année 2007.
Avec Half Nelson, les perfectionnistes Ryan Fleck et Anna Boden finalisent l'adaptation d'un scénario imaginé par au sortir de leurs études à la New York City Film School, et porté à l'écran une première fois sous le titre Gowanus, Brooklyn. On retrouve déjà la toute jeune Shareeka Epps dans ce court métrage récompensé du Grand Prix du Festival Sundance en 2004. Heureux mais insatisfaits de ce format qui ne leur permet pas de développer suffisamment leur propos, les deux complices décident alors de le transformer en long métrage. Le projet prend toutefois une tournure différente lorsque Ryan Gosling leur fait connaître son enthousiasme après avoir eu le scénario entre les mains. Initialement prévu pour un acteur âgé de trent-cinq ans environ, le rôle de Dan Dunne est aussitôt réécrit sur mesure pour l'acteur qui s'investit corps et âme dans l'entreprise. Le résultat est un film d'une rare finesse et d'une sensibilité bouleversante.
Plongée intime dans le quotidien étriqué et débilitant d'un professeur junkie et de l'une de ses élèves guettée par la délinquance, Half Nelson ne s'embarrasse d'aucune leçon de morale ni d'aucun de ces messages rassurants chers à la plupart des drames lycéens américains. La portée du film est ailleurs, dans ce perpétuel et fragile équilibre entre les forces contraires qui régit toute chose, dont Dan Dunne (Ryan Gosling) cherche à transmettre l'idée à ses élèves issus des quartiers défavorisés, en les poussant à explorer la notion de dialectique. Une riche idée de la part des scénaristes Ryan Fleck et Anna Boden que cette allégorie, qui écarte d'emblée la tentation de la réponse définitive à toutes les questions pour embrasser de manière nuancée les étonnantes contradictions propres à la nature humaine. Entre ce jeune professeur dont l'existence semble avoir prématurément atteint un point de non retour, et la jeune Drey (Shareeka Epps) dont l'avenir plein de promesses est à deux doigts d'être compromis par de très mauvaises fréquentations, une étrange amitié va se nouer par-delà les différences d'âge, d'expérience, de milieu social. Cette relation d'une harmonie aussi extrême qu'inattendue devient peu à peu le moteur d'un nouveau départ pour les deux protagonistes. Ou plutôt le moteur d'un changement, dont on ne sait pas exactement où il va mener mais dont chacun paraît guetter les symptômes discrets dans le regard de l'autre.
Avec subtilité et une remarquable acuité, la caméra toujours mouvante de Ryan Fleck capte les tiraillements intérieurs de ses personnages dans ce monde en flottement permanent, collant pour cela souvent de très près aux visages des acteurs, dont elle saisit les moindres frémissements. Loin de traduire une quelconque paresse, ce parti pris de proximité appuie de manière étonnante le sentiment de pudeur extrême qui se dégage de Half Nelson et participe à lui conférer une vraie puissance, un tour de force rendu possible grâce à l'extraordinaire talent des deux interprètes principaux. On savait Ryan Gosling excellent acteur, il est tout simplement immense dans la peau de cet homme sur le fil du rasoir, qui cherche encore à se frayer une place dans un monde qui ne semble rien avoir à lui offrir. Face à lui, Shareeka Epps est plus qu'une bonne surprise, elle s'impose comme une véritable révélation dès les premiers instants, à la fois juste, touchante et plus vraie que nature dans un rôle qui requiert pourtant une certaine maturité. L'alchimie flagrante entre les deux comédiens irradie l'écran et nourrit de manière indiscutable cette bouleversante tranche de vie, qui contrairement à ce que pourrait laisser croire son sujet de départ, s'avère finalement être un film infiniment chaleureux, d'une rare générosité. La complicité de Dan et Drey se révèle d'autant plus riche qu'elle se fonde sur des non-dits, des fuites et des retrouvailles muettes, des sentiments que la musique (la bande-originale est superbe) exprime mieux que les mots. Malgré la souffrance intense qui s'en dégage parfois, le voyage en vaut la peine.