Je suis une légende
Le 10/12/2007 à 17:21Par Arnaud Mangin
Je suis une légende fait bien évidemment plaisir parce qu'il est très loin de la catastrophe annoncée, mais surtout parce qu'on s'en souviendra comme l'un des meilleurs exercices dans son genre. Laissant loin derrière son concurrent du moment, 30 jours de nuit (sortie Janvier 2008), le film de Francis Lawrence n'abuse que trop peu du postulat que sont les monstres (des vampires entièrement en 3D mais joliment mis en scène) et de ses quelques affrontements spectaculaires pour leur préférer une ambiance, et rien qu'une ambiance. Un vrai petit cadeau de noël en somme. Inattendu...
S'attaquer aux adaptations cinématographiques tardives d'œuvres littéraires comme Je suis une légende, devenues la base de genres de films à part entière (ceux de Romero entre autres), relève aujourd'hui du véritable défi. Un peu à l'image d'un I, Robot déjà avec Will Smith, forcé de se démarquer du roman originel d'Asimov pour justement ne pas se risquer à devenir un énième film d'invasion de robots - ce qu'il est devenu quand même. En tout cas ici, on ne dénature pas l'œuvre. Mieux encore, on la développe, on l'extrapole, on lui cherche quelques hypothèses déviantes et l'on s'attache très longuement sur la solitude post-apocalyptique et les nombreuses questions qui l'entourent.
C'est en tout cas ce qui frappera le plus dans cette très bonne surprise de Noël. Alors que rien, mais alors rien, ne destinait Je suis une légende à attirer nos faveurs, entre le calamiteux réalisateur de l'encore plus calamiteux Constantine, le scénariste Akiva Goldsman (Batman et Robin, Da Vinci Code) et une bande annonce orientée sur l'action et les effets spéciaux à gogo, on a ici trouvé l'équilibre presque parfait : un vrai film d'atmosphère confortablement soutenu par les moyens d'un blockbuster.
Presque parfait, il est vrai, et le mot "presque" parait un peu fort tant on tolèrera les quelques excès visuels quasi inévitables sur une production de ce calibre même si pas réellement nécessaires. Oui, les explosions et le déambulement à toute berzingue de la voiture de sport du héros entraperçues dans les teasers ont parfois des allures de soupes contemporaine mais rien ici n'est prompt à la gratuité. Lawrence, qu'il obéisse ou pas aux consignes des producteurs - en ramenant un peu grassement quelques discours américo-religieux par exemple - sait très bien de quoi est tiré le script qu'il tient entre les mains et a surtout saisi les motivations de l'auteur. Choses qu'avaient parfois détourné avec brio des gens comme George Romero, sa Trilogie des morts, les remakes de tous poils, fatalement Le Survivant avec Heston et plus récemment un certain 28 jours plus tard dans le genre référentiel, en se focalisant plus précisément sur la décadence de groupe en cas de fin du monde.
C'est avec un contradictoire intimisme surdimensionné (le film se situe à New York là où le roman préférait une petite bourgade), qu'on revient ici aux mésaventures d'un seul et unique Robinson Crusöé urbain, obligé de vivre cloîtré dès que possible à la propagation des vampires.
Will Smith, qui fait justement tout sauf du Will Smith, n'est en tout cas que la jolie figure de proue d'un spectacle aussi scolaire que soigné, mais d'une efficacité monstrueuse. Un film d'ambiance donc (il n'y a pratiquement pas de musique), beau, captivant, prenant très judicieusement son temps pour introduire la notion de survie lancinante, souvent pessimiste, radical, et ce jusque dans une scène totalement anéantissante à mi-parcours. Enormément de termes comme ça qui empêchent le film de sombrer dans le bête divertissement attendu et qui propose même un final éloigné du matériau de base. L'utilisation même du terme "Légende" dans le titre prenant ici un sens un peu plus pompeux... Un final tourné en dernière minute (un mois avant la sortie du film), rétablissant malheureusement d'un seul coup la morale religieuse alors que le discours avait pris une tournure plus intéressante auparavant.
Mais l'histoire en profite pour esquiver l'improbable notion de "complot" du roman pour quelque chose de plus désespéré. C'est en tout cas ce qu'on retiendra de plus dans ce troublant portrait de la solitude, cette lutte pour la survie illusoire basculant parfois dans la folie et un certain nihilisme détruisant psychologiquement ce héros qui n'a plus de raison d'être, puisque n'ayant plus personne à sauver. Si ce n'est lui-même.