Cela fait maintenant près d'une dizaine d'années que le cinéma brésilien est en effervescence, accouchant de films résolument populaires n'hésitant pas à ouvertement traiter des problèmes de société, en premier lieu des disparités sociales entre zones urbanisées et favelas, entre classe aisée et classe ouvrière. Ce n'est certes pas chose nouvelle pour cette ancienne colonies portugaise puisque des cinéastes tels que Glauber Rocha et Joaquim Pedro de Andrade et plus généralement des cinéastes du Cinema Novo avaient dès les années 50 ans déjà su concilier culture populaire et revendications sociales. Mais force et de constater qu'il y a quelques années, le cinéma brésilien n'était pas des plus vigoureux et s'était laissé dépasser par la télévision.


Les spectateurs brésiliens ont ainsi eu dernièrement droit au "thriller social" O Invasor de Beto Brant (2002), mais aussi à O Homem do Ano de José Henrique Fonseca (2003) sorte de Les Affranchis brésilien, Troupes d'élite (Tropa de Elite de José Padilha, 2007), Ours d'or à Berlin, Marais des bêtes (Baixio das Bestas de Cláudio Assis, 2007) et Angels of the Sun (Anjos do Sol de Rudi Lagemann, 2006) sur la prostitution enfantine, L'Année où mes parents sont partis en vacances (O Ano em que Meus Pais Saíram de Férias de Cao Hamburger, 2006) et Batismo de Sangue (2006) de Helvecio Ratton, les deux derniers portant sur la dictature brésilienne. On comptait aussi Central do Brazil (1998) de Walter Salles, et même Nina (2004) de Heitor Dhalia, hybridation cinématographique au croisement du thriller noir et du manga. Tous des films qui mettent d'une manière ou d'une autre la société brésilienne face à ses contradictions et paradoxes. Le cinéma français devrait vivement en prendre exemple...


C'est dans ce même contexte qu'à été produit en 2003 La Cité de Dieu, film coup de poing virtuose réalisé de mains de maître par Fernando Meirelles et Katia Lund. Ce succès critique et public pousse la production à lancer une série spin-off, La Cité des Hommes, à partir des mêmes fondations, à savoir suivre deux jeunes adolescents qui, confrontés quotidiennement à l'environnement violent des favelas, tentent de voir la réalité autrement. Moins sombre et bien moins violent que le film, faisant la promotion d'un rapprochement entre classes sociales (riches et pauvres), la série eu droit à quatre saisons diffusées avec éclat à la télévision brésilienne. De leur premier baiser à leur précoce paternité, Laranjinha et Acerola, les deux personnages principaux, ont ainsi grandi sous les yeux des spectateurs assidus. Car à l'inverse de son "grand frère" La Cité de Dieu qui se présentait surtout comme un polar hard boiled, la série dérivée et aujourd'hui le film mettent avant tout en avant les personnages, et la débrouillardise dont ils doivent faire preuve pour survivre au milieu d'une favela prise aux mains de narcotraficants.


Le film débute donc là où on avait laissé Acerola et Laranjinha à la fin de la quatrième saison : alors que Acerola a encore du mal à assumer son rôle de père, Laranjinha cherche à découvrir celui qui l'a abandonné tout jeune. Le tout sur fond de guerre entre deux bandes rivales cherchant à contrôler la favela.
Prolongement direct de la série, La Cité des Hommes - le film ne s'en éloigne de fait jamais. Ce qui constitue sa force, mais finalement aussi en partie son défaut, l'intérêt et le plaisir du film étant bien moindre si l'on n'est pas familier des personnages. Touché du même syndrome que X Files : Combattre le Futur (dans un autre genre, nous sommes d'accord), le film est clairement destiné aux fidèles téléspectateurs, le réalisateur Paulo Morelli ne s'embarrassant pas de réexpliquer d'où viennent les personnages ni tout ce qu'ils ont vécu pour arriver à ce qu'ils sont aujourd'hui. Le passage de La Cité des Hommes sur grand écran se fait ainsi sans grand bouleversement, Morelli (à qui l'on doit déjà quelques épisodes) ne cherchant pas non plus à s'aventurer du côté de la folie visuelle de Meirelles. La caméra ultra mobile bien qu'en effet toujours au plus près de nos héros s'efface un peu trop souvent derrière ces derniers. Le spectateur qui espérera d'ailleurs assister à une sorte de La Cité de Dieu 2 sortira assurément de la salle terriblement déçu, et cela malgré un dénouement nocturne dans rues coupe-gorge des favelas, qui voit le très attendu affrontement entre les deux bandes rivales.


Ceci étant dit, Paul Morelli emballe donc un luxueux épisode de La Cité des Hommes - la série, ce qui en soit n'est pas absolument pas insultant tant la série bénéficiait d'une vraie ambition artistique, et esthétiquement à mille lieues de ce qui se fait à la télévision (même américaine) aujourd'hui. Le réalisateur s'acclimate avec élégance du passage au format télévisuel (1.33:1) au format panoramique (1.85:1) permettant à ses personnages de respirer tout en captant au mieux les paysages paradoxaux brésiliens, tour à tour paradisiaques et désolants.


Espérons enfin que ce passage sur grand écran soit le début d'un second souffle, d'une nouvelle ère et d'une longue série de films se concentrant sur les premiers pas de Laranjinha et Acerola dans le monde des adultes. La suite logique à ce qui a été développé depuis aujourd'hui plus d'une demi-décennie.