Le Grand couteau
Le 18/07/2008 à 08:00Par Sabrina Piazzi
Adapté d'une pièce de Clifford Odets, Le Grand couteau demeure avec Boulevard du Crépuscule une charge explosive contre Hollywood. Même s'il n'arrive pas à la hauteur du chef d'oeuvre de Billy Wilder et n'échappe pas à la théâtralité, le film de Robert Aldrich ne manque pas de virulence envers l'industrie hollywoodienne mais se montre trop bavard, s'étire en longueur et finit même par ennuyer parfois le spectateur jusqu'à redynamiser son intérêt par des séquences d'une ahurissante cruauté verbale, soutenue par la photo tranchante d'Ernest Laszlo avec qui le cinéaste collabora sept fois dans sa carrière. Le Grand couteau est passé à la postérité grâce à la performance et au physique de Jack Palance, habituel salaud trouvant ici un rôle inattendu de victime à fleur de peau tout en violence rentrée, un géant d'1m93 pliant sous le poids d'un chantage malsain, un comédien devenu lâche et dépendant face au système qui le broie littéralement.
Dans le film, le contrat signé et liant l'acteur à son producteur omnipotent est un véritable pacte passé avec le diable magistralement interprété par l'immense Rod Steiger, une fois de plus méconnaissable. La charge pamphlétaire de Robert Aldrich ne s'applique pas uniquement au cinéma mais dans l'universalité où la liberté de l'homme à disposer de son libre-arbitre ou de son droit de retrait est bafouée sur l'autel du profit par des dirigeants sans scrupules. Ce sont ces thèmes que le cinéaste décortiquera à travers ses films, le rapport entre dominé et dominant, le renoncement aux idéaux, la face cachée du monde du spectacle. Les points forts (nombreux) prennent le dessus sur les points faibles (nombreux aussi), et le visage de Jack Palance, la fragilité de son personnage et la séquence finale s'impriment sans mal dans les mémoires cinéphiles. Malgré des critiques positives, le film sans concession et radical de Robert Aldrich est un échec commercial mais sera récompensé par le Lion d'Or au Festival de Venise en 1955.