Möbius
Le 28/01/2013 à 12:24Par Jonathan Butin
CRITIQUE DU FILM MOBIUS
Éric Rochant est un cinéaste rare. Sept ans après L'école pour tous, le réalisateur revient au grand écran avec un film d'espionnage réaliste au titre « Bondien » (comprenez obscur) et à l'affiche alléchante où se côtoient les noms de Jean Dujardin, Cécile De France et Tim Roth. Contrairement à ce qu'il pouvait laisser entendre, Möbius propose non pas une immersion dans l'univers déjanté des rave-parties danoises mais dans celui nettement plus austère du FSB (ex-KGB), les services secrets russes. Le film tire en fait son titre du « ruban de Möbius », une figure topologique d'anneau à une seule face, recto et verso ne faisant qu'un. Une appellation étrange qui trouvera tout son sens dans le jeu de dupes qui se joue ici. Mais Möbius se veut plus qu'un simple film d'espionnage : il lorgne vers Les Enchaînés de Hitchcock, l'un des parangons du genre mettant en scène une relation amoureuse interdite entre un agent (Cary Grant) et son informatrice (Ingrid Bergman) sur fond de traque des Nazis en Amérique du Sud. Et relation amoureuse il y a dans Möbius. C'est même le cœur du récit. Alors au menu aujourd'hui : histoire d'amour entre espions consentants dans l'univers...de la finance. Qui a dit « j'ai pas faim » ?
Le film s'ouvre sur un plan ahurissant de la principauté de Monaco, premier d'une longue série de prises de vue léchées d'environnements toujours luxueux. Le décors est planté, le mot d'ordre : glamour. Ce décor, c'est le quotidien d'Alice, superbe Cécile de France, tradeuse surdouée capable en un placement d'enrichir de plusieurs milliards son employeur, en provoquant, si besoin est, l'effondrement économique de pays entiers. Cet employeur, Rostovsky (Tim Roth), un oligarque russe aux affaires douteuses, intéresse le FSB qui dépêche sur place, à la tête d'une petite équipe de bleus, l'une de ses pointures, Gregory Liubov, campé par un Jean Dujardin qui a visiblement pris du galon et du muscle, arborant tatouage et barbe grisonnante pour un rendu magistral. Leur objectif est de « recruter » Alice et ainsi obtenir des informations sur son patron. Bien entendu, la mission ne va pas se dérouler comme prévu et une chose en amenant une autre, Liubov, sous le pseudonyme de Moïse, va entamer une dangereuse relation avec son « Boris » (le nom de code donné aux indics du FSB), ce qui compromet autant la mission que leur santé à tous les deux.
Éric Rochant connait l'univers de l'espionnage. En 1994, il écrit et réalise Les Patriotes, film particulièrement bien documenté sur le Mossad, l'agence de renseignements israélienne, en lice pour la Palme d'Or à Cannes. Malheureusement, il ne rencontre pas le succès public mérité, d'aucuns critiquant le manque de rythme causé par la recherche constante du réalisme au prix du dynamisme. Signature corrigée mais loin d'être effacée que l'on retrouve dans une moindre mesure chez Möbius. En résulte un ennui latent qui guette le spectateur au détour de nombreuses séquence. Et malheur à qui manquerait une seule réplique de ce thriller économico-romantique. Celui-là se verrait condamné à errer dans un brouillard opaque de noms en -ov ou en -sky et de dialogues tantôt en français, tantôt en anglais, souvent en russe, jusqu'à ce que mort s'en suive...ou au moins jusqu'à la fin du film. Ce qui serait dommage tant les dialogues sont justes, drôles parfois, les acteurs parfaits, la photographie somptueuse le tout au service d'un scénario qui, faute d'être palpitant (peu de films ont réussi l'exploit de rendre la finance palpitante depuis Les Initiés en 2000), est tout de même bien ficelé.