Blade Runner : Comparatif des versions
Le 26/11/2007 à 08:10Par Elodie Leroy
Pour le 25e anniversaire de Blade Runner, Ridley Scott s'offre un nouveau montage ! Le réalisateur n'en est pas à son coup d'essai puisqu'un Director's Cut avait vu le jour en 1992, soit dix ans après la sortie du film en salles. On se souvient aussi qu'il existait déjà deux montages distincts dès la sortie du film en 1982, un pour le public américain et un pour le reste du monde, des versions comprenant notamment la voix off et le happy-end absents du Director's Cut. Qu'en est-il de l'intérêt de ce Final Cut, s'agit-il seulement du dernier caprice d'un éternel insatisfait ? La réponse est à la fois oui et non. Oui, car le film ne propose rien de nouveau sur le plan scénaristique et se révèle à peine plus long que la version 1992 (1h52mns49" contre 1h51mns48"). Non, car ce Final Cut bénéficie d'effets visuels retravaillés, d'images inédites mais aussi d'une toute nouvelle restauration réalisée à partir du négatif original. Le verdict ? Nous sommes tout simplement face à la version la plus aboutie de l'un des plus grands chefs d'œuvre du cinéma de science fiction.
Tout d'abord, il convient de faire une précision : ce Final Cut ne comporte aucune véritable séquence inédite. Il paraît donc inutile de s'inquiéter pour les versions doublées, la rareté des dialogues ajoutés ne justifiant effectivement pas d'un nouveau doublage. Lorsqu'elles surviennent, les répliques concernées s'intègrent admirablement au son ou au doublage de l'époque. On le constate dans la scène au cours de laquelle Bryant briefe Deckard sur l'affaire au début du film. Au moment où Deckard regarde la vidéo voyant Léon passer le test de Voigt-Kampf, on entend à présent la voix de Bryant apporter quelques précisions sur les capacités physiques du Répliquant. Sur chaque piste, on constate une petite différence de prise de son mais l'effet reste très discret. Dans la même scène, les traducteurs français en profitent pour rectifier une petite erreur de traduction, transformant le "Il y en a un qui a grillé dans un champ électromagnétique" en "Deux d'entre eux ont grillé dans un champ électromagnétique" - effectivement, il devient enfin logique qu'il ne reste plus que quatre Répliquants sur six en cavale !
Les changements se traduisent surtout par l'ajout dans des séquences déjà existantes de quelques plans supplémentaires, à quelques exceptions près puisque la première apparition de Deckard à l'écran se voit légèrement raccourcie. Lorsque le Blade Runner se lance à la recherche de Zhora (Joanna Cassidy), l'exploration du quartier s'étend sur une durée plus longue grâce à l'insertion de quelques images, notamment un plan sur des danseuses masquées. Ces images existaient déjà dans la version Workprint présentée lors des projections test avant la sortie en salles et se voient enfin intégrées au film. Il en est de même pour le rallongement du plan montrant Deckard s'enfoncer dans la foule après avoir interrogé une commerçante asiatique. Sur le papier, l'intérêt de ces ajouts peut paraître limité mais l'impact sur l'atmosphère du film est loin d'être négligeable. Non seulement ces images définissent immédiatement les lieux comme une zone de luxure (les danseuses sexy), mais elles mettent aussi l'accent sur l'atmosphère très cosmopolite du quartier, notamment grâce à une meilleure mise en valeur de la musique orientale.
Une autre séquence a subi quelques changements intéressants : celle de la licorne. L'animal extraordinaire n'apparaissait que sur un seul plan dans le Director's Cut et voit ici sa course s'étaler sur deux plans distincts. On le voit tout d'abord arriver au loin derrière les arbres, une image interrompue par un gros plan sur un Deckard rêveur, suivi du plan sur la licorne vu dans le montage de 1992. A noter que la suite de la séquence diffère elle aussi. Dans la version précédente, la rêverie était suivie d'une rupture de point de vue dans la mise en scène, Deckard apparaissant soudainement de dos, avant de se redresser pour s'intéresser aux photos. Dans la nouvelle version de la scène, on passe directement du cadrage resserré sur son visage à un gros plan sur sa main saisissant la photo, une proximité avec le personnage qui permet d'entretenir un peu plus longtemps la dimension intimiste de la scène. En d'autres termes, on ressent davantage le trouble du personnage.
Dans les scènes d'action, il s'avère particulièrement intéressant de comparer ce Final Cut à toutes les versions précédentes. On se souvient que les deux montages de 1982 différaient par la présence dans la version internationale d'images particulièrement violentes. Ainsi, le meurtre de Tyrell ne se déroulait plus hors champ comme dans la version américaine. On voyait en gros plan la tête du bonhomme se faire écrabouiller et le sang sortir des orbites. Au contraire, dans le montage américain, Ridley Scott continuait de filmer Rutger Hauer et insérait un plan sur le hibou. Dans le Final Cut, les images sanglantes sont enfin réinsérées. Même traitement pour la séquence où Pris (Darryl Hannah) attaque Deckard : comme dans la version internationale de 1982, elle ne se contente plus lui coincer la tête entre ses cuisses et de le frapper mais effectue une prise du nez. L'agonie spectaculaire de Pris s'avère elle aussi prolongée de quelques secondes.
Final Cut 2007
Non content de réintégrer des images jusqu'alors invisibles par les Américains, Ridley Scott profite aussi des technologies modernes pour retravailler la lumière et les effets visuels sur certaines images. Au point que certains plans changent radicalement d'aspect. On pense notamment au gros plan sur le profil de Roy lors de sa rencontre avec Léon : non seulement le décor apparaît enfin, mais la lumière et le cadrage ont été entièrement revus afin de mettre davantage en valeur le visage du comédien. On relèvera vers la fin du métrage des modifications similaires dans la dernière séquence, sur le plan voyant Roy faire monter Deckard sur le toit, le décor se voyant au contraire assombri pour un rendu plus harmonieux. Le miracle du numérique offrant des possibilités inespérées, Ridley Scott se paie aussi le luxe d'intégrer le visage de Joanna Cassidy sur les plans montrant sa doublure passer à travers les vitres, un changement qui a nécessité la participation active de la comédienne. Mais l'image qui fera sans doute le plus parler d'elle est celle de l'envol de la colombe. Exit le plan ensoleillé sur l'immeuble lisse et clair : la scène devient entièrement nocturne et la colombe remonte gracieusement le long d'un bâtiment crasseux, un décor soudainement réaliste par rapport à la séquence qui précède.
En résumé, si ce Final Cut reste identique sur le fond à la version sortie en 1992, il s'en démarque de manière subtile par un travail visuel et sonore encore plus fouillé et par des choix artistiques discrets mais judicieux. On est en droit de rester sceptique devant cette habitude de l'auteur de retoucher éternellement ses films (même traitement pour Alien et Gladiator...), mais on est obligé de lui reconnaître par la même occasion deux grandes qualités en tant qu'artiste : le perfectionnisme, bien sûr, mais aussi la capacité à tirer parti des moyens modernes sans jamais perdre de vue l'intégrité de son œuvre. Ridley Scott a d'autre part su sélectionner le meilleur de chaque montage. Ce Final Cut de Blade Runner est donc bel et bien la version définitive, celle qui pousse l'expérience immersive et l'émotion à son maximum. Alors oui, ce Final Cut s'impose comme la version ultime, la meilleure de toutes.