Interview Gutterballs : Ryan Nicholson
Le 08/10/2008 à 17:48Par Arnaud Mangin
On vous en parle depuis quelques jours maintenant, Gutterballs est probablement la petite curiosité de la semaine, disponible ce vendredi chez Neo Publishing en version Uncut mais surtout en version extrême interdite aux moins de 18 ans. Un vrai slasher à l'ancienne totalement borderline qui jure radicalement avec tout ce que l'on peut trouver aujourd'hui sur le marché.
En exclusivité pour filmsactu, son réalisateur Ryan Nicholson revient sur cette sortie française et nous ouvre son cœur de cinéphile sans la moindre retenue.
Vous ne tarissez pas d'éloges à propos de l'édition DVD collector que propose Neo Publishing. On peut considérer l'édition française comme la meilleure à ce jour ?
L'édition Neo Publishing a vraiment été une excellente surprise. Ils ont poussé la perfection aussi loin que possible en entretenant le mixage 5.1, les bonus et même un beau packaging. C'est vraiment agréable de collaborer avec des gens qui prennent soin de votre film. Ils ont même créé une page Facebook consacrée au DVD permettant aux fans d'intervenir et de réagir. C'est vraiment nouveau pour moi parce qu'avec mon précédent film, Live Feed, les distributeurs internationaux ne m'ont jamais contacté ou proposé de participer à l'élaboration de quoi que ce soit. C'est frustrant de savoir que votre propre film sort dans le commerce et que vous-mêmes n'avez pas reçu un exemplaire. En ce qui concerne Gutterballs, les sorties française et allemandes ont vraiment été extraordinaires. J'étais ravi de constater à quel point tout a été traité avec un réel souci du détail.
Quelles sont les différences fondamentales avec le DVD américain ?
Le disque français Uncut propose un excellent mixage français, mais surtout le making of dans de bonnes conditions. Le documentaire Behind The balls est proposé sur le zone 1 mais dans une qualité parfaitement médiocre à cause d'une compression excessive. Il n'était vraiment pas agréable à regarder dans ces conditions. Neo a eu accès à la version non compressée et ce sera vraiment chouette pour les fans de le redécouvrir avec beaucoup plus de clarté.
Vous attachez donc une réelle importance au doublage français ?
Tout à fait. J'ai pu voir la version doublée en allemand et c'est une catastrophe. Les comédiens m'ont horrifié et le film n'a plus rien à voir avec ce qu'il était. Je trouve en revanche le doublage français carrément génial. On devrait presque le ressortir chez nous uniquement avec le doublage français, comme s'il s'agissait d'un film français. Avec la vague française de films d'horreur comme Frontière(s) et A l'Intérieur qui cartonnent chez nous, ce serait probablement encore plus vendeur.
Ces films ne rencontrent pourtant pas leur public chez nous, comme Martyrs ou même Vinyan qui n'ont eu droit qu'à un nombre réduit de salles. Avec la négligence dont Gutterballs souffre en DVD chez vous, on peut considérer que certains films ne sont vraiment pas prophètes en leurs pays ?
Il y a des choses que je ne comprendrai jamais, en particulier la façon dont personne ne se donne la peine de promouvoir ces œuvres comme elles le méritent. Le cinéma d'horreur français fait vraiment une énorme percée chez nous. Je suis un grand fan du travail d'Alexandre Aja, par exemple, et cette nouvelle vague de réalisateurs français m'inspire énormément aujourd'hui. J'ai d'ailleurs justement hâte de découvrir Martyrs qui a été tourné à Québec, donc pas très loin d'ici. Mais au Canada, c'est encore pire. La seule façon que j'avais de présenter le film était d'en financer moi-même la projection dans des petites salles louées par mes soins. C'est du délire ! Le marché du film est une farce ici, de toute façon. Le gouvernement canadien lui-même est une blague. S'ils ne veulent pas financier des films comme le mien, qu'ils aillent se faire enculer. D'ailleurs ça ne me dérange même pas que des gens téléchargent mon film. Je considère, dans le contexte économique actuel, que les fans d'horreur ont le droit de le voir avant de l'acheter. S'ils l'aiment, ils l'achèteront et nous encourageront dans notre démarche et notre travail.
Ryan Nicholson se protège des éclaboussures
Et s'ils ne l'aiment pas ?
S'ils ne l'aiment pas, personne ne sera perdant. Comme toutes les communautés, Internet a fait beaucoup de bien aux fans de gore. Ces gens qui ont des goûts en commun se sont retrouvés et ont pu partager beaucoup de choses. Tout cela a aussi fait énormément de bien à ma société, PlottDigger Films. Sans Internet, nous ne serions jamais arrivés là où nous sommes aujourd'hui.
La version extrême que propose Neo porte bien son nom. C'est vraiment trash pour un Slasher. Combien existe-t-il de montages à ce jour ?
Gutterballs a été monté et remonté de nombreuses fois. J'ai ma propre version dans mes cartons, c'est celle-là que j'ai confiée à Neo et dont ils se sont servis pour le DVD. Même s'il manque deux ou trois trucs, l'essentiel est là. Les Allemands ont également proposé deux montages différents et fait un excellent travail. C'est toujours triste de savoir que la majorité des gens dans le monde le verront dans une version très édulcorée et qui n'est plus complètement votre film, mais c'est la réalité de la censure.
Il existerait une version encore plus osée que celle-ci ?
La mienne, oui. Même si en parler comme d'une version encore plus hardcore serait exagéré. Il n'y a rien qui change fondamentalement le film. Quelques plans supplémentaires et un peu plus de pénétrations, mais c'est tout. Contrairement à ce qu'on peut croire, mon objectif n'est pas de proposer le film le plus abominable possible. Gutterballs n'a pas besoin de montrer plus qu'il ne propose déjà. Je ne cherche pas à faire un ''Gorno'', un porno gore... Je veux juste faire un bon film où apparaissent des cock shots, des beaver shots, mais pas des money shots, si tu vois ce que je veux dire. Je ne cherche pas à étaler mon argent à l'écran.
Quelles ont été les réactions lorsque vous avez montré le film au public ?
Il y a eu diverses réactions. Beaucoup de gens ont quitté la salle durant la scène de viol. J'ai d'ailleurs ensuite reçu beaucoup de mails où l'on me menaçait sexuellement parce que je montrais beaucoup trop de brutalité à l'écran. J'ai aussi eu des mecs qui se roulaient carrément par terre dans les scènes marrantes, écroulés de rire dès que les sales types ou que le tenancier du Bowling apparaissait à l'écran. C'est vraiment étonnant ces divergences de réactions... J'ai tout de même eu pas mal de bonnes critiques et de commentaires de gens qui l'avaient vu et qui ont dit que Gutterballs faisait partie de ces films qu'ils attendaient de découvrir en salle depuis des années. Comme si le film était une faille temporelle entre aujourd'hui et l'époque des bons slashers et des films Troma.
Beaucoup de choses encourageantes...
J'ai bien conscience que mon film est encore très loin de la perfection et que j'ai beaucoup à apprendre. Mais je pense que mon équipe et moi avons quand même fait un film dont les gens se souviendront, chose de plus en plus difficile à une époque où le marché fait tout pour proposer des œuvres insipides. Tu vois, j'aurais jeté l'éponge depuis longtemps si je pensais être tout seul dans mon délire. Je ne ferais pas Hanger, mon prochain film, si je n'avais pas l'assurance que beaucoup de fans d'horreur attendent des choses comme ça et apprécient ce que j'essaie de faire. J'adore discuter avec toutes ces personnes qui ont grandi dans la culture du film d'horreur, parce que je ne suis au-dessus de personne. Je suis comme eux. Et en discutant avec eux aux conventions, j'apprends énormément de choses sur les attentes des uns et des autres et je suis aussi ravi que des gens aient envie d'entendre ce que j'ai à leur dire. C'est une chose que les gens du métier ont parfois tendance à oublier.
C'est pour cette raison qu'on a encore du mal à croire qu'un film comme celui-ci puisse se faire aujourd'hui. Qu'est ce qui est arrivé exactement à l'industrie du cinéma horrifique pour proposer des choses à des années lumières d'œuvres à part comme il y a 20 ans ? Un film comme Street Trash, dont Gutterballs se rapproche pas mal sous certains aspects, ne serait tout simplement pas envisageable aujourd'hui. Pourquoi ?
Depuis que les films d'horreur ont déserté les salles de cinéma de type GrindHouse de la 42ème rue pour se retrouver dans les grands multiplexes, ils sont devenus moins gores et moins offensifs. Des films actuels comme Saw ou Hostel proposent naturellement du gore, mais juste le minimum syndical, pour répondre à une norme. Les choses sont gérées de manière détournées. Dans Hostel 2, par exemple, on y coupe une bite. C'est bien, c'est un pas en avant, on peut couper des bites. En revanche, on ne peut pas offenser un personnage pour sa race ou sa religion. Ca fait partie des choses rejetées illico. Street Trash avait des couilles et n'hésitait pas à offenser tout le monde avec un regard si particulier qu'il est encore aujourd'hui un pur chef d'œuvre. Pink Flamingos est aussi l'exemple type du film qui encourage la société moderne à aller se faire foutre avec un mégaphone. C'est de cette façon que je conçois mes films. Je les envisage d'ailleurs plus comme des films d'exploitation que comme de véritables films d'horreur. Mon prochain, Hanger, est offensif avec tout le monde. Même moi, il m'offense ! Mon rôle, en tant que réalisateur, est d'interpeler, de choquer le spectateur. Pas de l'ennuyer à mort. La réalité, c'est que l'univers et l'utilisation de l'horreur sont sérieusement revus à la baisse... Très rares sont les films qui débarquent avec un gros paquet qui leur pend entre les jambes. La plupart sont sabotés et ont les mains liées d'entrée de jeu, avant même le premier coup de manivelle. C'est une honte.
C'est une façon de répondre à cette retenue, pour vous, de proposer des séquences d'horreur et burlesques aussi poussives ? Comment en êtes-vous arrivé, par exemple, à cette scène du type qui danse devant le Wax-Omatic ?
Je voulais vraiment emmener les gens ailleurs. Le public s'ennuie très rapidement devant un film, surtout s'il appartient à un genre qu'il a vu des centaines de fois. Mais si vous lâchez une grenade dans le tas pour tout faire péter, ça a tendance à maintenir l'attention. Je ne suis pas un grand scénariste mais l'une de mes forces consiste à réussir à tourner toutes les scènes que je veux, sans dépassement de temps ou de budget et surtout sans sacrifier ma vision. C'est vrai que certaines scènes sont un peu space, mais elles apportent une certaine fraîcheur lors du visionnage. Ca implique parfois des choses qui sortent carrément du cadre de l'horreur pour flirter un peu avec la science fiction. Cette histoire de Wax-Omatic qui répond à ce que disent les gens, qui pense et qui a une opinion, c'est du Star Trek ou du Dr Who. Certains meurtres relèvent carrément du slapstick, mes acteurs partent parfois en roue libre et je les laisse faire parce qu'il y a parfois de bonnes choses à conserver. Rien n'est trop stupide dans ce qui m'est suggéré, alors je prends tout.
Il y a aussi dans Gutterballs un véritable soin esthétique propre aux films d'horreur des années 80. Je pense au Blob de Chuck Russell, qui était rempli de couleurs un peu roses et bleues fluo. Quelles ont été vos principales inspirations ?
Alors là, tu as mis tout juste dans le mille ! Le Blob est l'un de mes films préférés, justement en partie pour son traitement des couleurs. J'adore également Suspiria de Dario Argento, dont la palette colorimétrique est encore une référence aujourd'hui. En ce qui concerne mes inspirations, ce sont surtout les slashers des années 80 qui me viennent à l'esprit. My Bloody Valentine, Happy Birthday to me, The Prowler et bien évidemment Maniac. J'adore le traitement des personnages dans ce type de film. J'aime également beaucoup l'éclairage du Retour des morts vivants de Dan O'Bannon qui joue habilement avec les lueurs diffuses. Mais il y a aussi beaucoup de comédies du type Porky's qui ont été une grande inspiration pour moi pour Gutterballs. Et puis, je ne pourrais pas ne pas citer David Lynch et des films comme Sailor et Lula ou Blue Velvet qui ont bien façonné mon style.
Des films que pourriez revoir encore et encore...
Oui. Mais celui dont je ne me lasserai jamais, c'est Street Trash que tu évoquais tout à l'heure. C'est l'un de mes films préférés parce qu'il ne fait aucun compromis, il fonce dans le tas et cultive l'idéologie de la gerbe tout du long. Si tu regardes bien le film, tu verras que la solution à beaucoup de problèmes, c'est de les rejeter, de les vomir. Il y a une scène démente là dedans, où le méchant se fait décapiter avec une grosse bombonne d'air comprimé. Elle lui fonce dessus, lui arrache la tête et la moitié du buste. La tête est par terre, il lui reste encore un dernier souffle de vie et la seule chose qu'elle fait, c'est regarder sous la jupe de la fille qui l'enjambe. C'est du pur génie ! Il y a aussi le Zombie de Lucio Fulci qui tourne régulièrement dans ma platine à la maison. Et si je ne le regarde pas, je chantonne moi-même la musique.
Des films plus récents vous ont interpellé ?
Bon sang, j'ai vu il y a peu le remake de Day Of The Dead... Mais merde, c'est quoi ça ? Un truc vraiment horrible. En revanche j'ai pu voir un film qui s'appelle Pathology et qui m'a vraiment plu. C'est l'histoire d'étudiants en médecine qui essayent d'imaginer le crime parfait. Il y a des scènes d'autopsie bien gores et Alyssa Milano à poil. En fait, je regarde beaucoup de films d'horreur récents, dont la plupart sortent directement en vidéo. Là, j'attends surtout impatiemment de voir Martyrs et Tokyo Gore Police. Ces deux-là devraient déchirer !
Il y a un film que vous rêveriez de mettre en scène ?
Il y a quelques bouquins qui me fascinent et que j'aimerais bien adapter. je pense notamment à un livre qui s'appelle Michelle Remembers. L'histoire part des supposés rituels sataniques qui ont eu lieu à Victoria, au Canada, dans les années 60, et dont une petite fille, Michelle, aurait été témoin. Elle a rencontré un psy dans les années 70 et toutes ces choses affreuses sont alors revenues à la surface. Apparemment, il a été démontré depuis que le médecin et la gamine ont inventé cette histoire pour se faire de l'argent facile, mais l'intrigue demeure toujours aussi fascinante. Les romans de Michael Slade sont aussi remplis de choses qui feraient de merveilleux films comme Ghouls ou Headhunter. Mais pour l'instant, je continue d'écrire mes histoires originales pour PlottDiggers films. C'est toute ma vie.
Ce qui nous amène à Gutterballs 2, puisque c'est prévu...
Oui. Gutterballes 2 : Slip Slide and die se déroulera quelques mois après le premier bain de sang. Je réutilise toutes les règles de ce genre de film. Il y aura la revanche d'un frère jumeau, une tête coupée qui refait surface dans une boîte, un nouveau tueur mystérieux et ça se passera dans un parc de vacances du style Aqualand. Ca racontera l'histoire de Sarah, une jeune psychothérapeute qui emmène un groupe de patients à la piscine pour se détendre un peu. Forcément, ils se feront massacrer à tour de rôle. Il y aura du gore, des gerbes de sang et du sexe. Qui est l'assassin ? Qui a envoyé la boîte ? Mystère... Ma volonté est une fois encore de faire une comédie un peu sexe dans la plus pure tradition des années 80 en faisant intervenir l'horreur, comme dans le premier Gutterballs, mais dans une atmosphère de vacances et en extérieur. Et il n'y a rien qui fasse plus années 80 qu'un parc aquatique.
Un dernier message pour votre public français amateur de films gores, tout comme vous ?
Ils doivent savoir que j'ai fait ce film pour eux. Pour les fans qui ont grandi avec Vendredi 13 et Sleepaway camp, qui ont découvert ce cinéma un peu alternatif au rayon horreur des vidéoclubs. J'espère sincèrement qu'ils s'en amuseront tout autant que moi. N'importe quel passionné du genre peut faire lui-même son propre film d'horreur. Il suffit de prendre son temps pour l'écrire, lui apporter des idées neuves tout en ayant bien révisé ses slashers de la bonne époque. Aujourd'hui, il est facile d'aborder la création d'une œuvre avec les caméras numériques et les logiciels de montage. Il est primordial que ceux qui ont des choses à dire ou à montrer s'expriment. Il faut créer des œuvres qui marqueront peut-être les générations suivantes. Attrapez vos caméras et filmez. Evitez juste de raconter une histoire qui se déroule dans un bowling, ça a déjà été fait !
Propos recueillis par Arnaud Mangin