Pour elle : Interview de Fred Cavayé
Le 19/06/2009 à 12:00Par Sabrina Piazzi
A l'occasion de la sortie tant attendue en DVD du thriller Pour elle le 20 juin 2009, un premier film très prometteur, le réalisateur Fred Cavayé nous a accordé une interview décontractée mais à cent à l'heure ! Récit.
Pouvez-vous nous parler de la genèse du film ? Comment l'aventure a débuté ?
C'est mon co-scénariste Guillaume Lemans qui est à l'origine du projet. Je travaille depuis quelque temps avec lui et un jour il m'a appelé pour me dire qu'il avait une idée de film en croyant au départ que ce projet ne serait peut-être pas pour moi. Il m'envoie le synopsis qu'il avait écrit, l'histoire d'un monsieur tout le monde qui va devoir tout faire pour faire évader sa femme de prison, victime d'une erreur judiciaire et accusée d'un crime qu'elle n'a pas commis. J'ai été immédiatement intéressé par le fond de l'histoire. Nous avons retravaillé le script ensemble qui a été proposé à Fidélité. Le projet a retenu toute leur attention et l'affaire était faite. Durant l'élaboration du contrat d'option, j'ai écrit seul la première version du scénario. Avec Guillaume nous travaillons ensemble sur l'ossature, sur un gros synopsis et après je rédige en solo car mon travail passe par l'écrit, je mets déjà la forme de ce que je vais filmer à l'écriture, donc Guillaume fait la distinction entre la forme et le fond en me laissant faire la première mouture. Ensuite il lit ce que je fais, on en parle et moi je retourne à l'écriture et ainsi de suite.
Parlons de la scène d'ouverture. Vous installez le spectateur immédiatement dans le thriller par une scène très forte puis vous plantez petit à petit l'histoire, les personnages, tout en gardant un rythme soutenu. C'était important d'imposer et de garder ce rythme tout au long du film ?
C'était très important, oui, et c'était d'ailleurs un énorme point de discussion avec la production. Quand j'ai écrit la première version du scénario, il y avait cette scène qui était déjà la première du scénario, mais la production partait du principe que comme le postulat de départ était de suivre un monsieur Tout le monde, il valait mieux commencer par montrer la vie de quelqu'un de « manière normale » pour le faire basculer ensuite dans le thriller. Je n'étais pas d'accord et je voulais mettre directement le spectateur au diapason, poser le ton et la couleur du film. C'est un procédé classique mais que je trouve efficace, à savoir de montrer quelque chose qui va se passer, anticiper, donner un rendez-vous au spectateur, le laisser imaginer même le pire en le laissant penser qu'il s'agit peut-être du personnage incarné par Diane Kruger à l'arrière de la voiture. Nous en avons beaucoup parlé avec les producteurs et j'ai cédé à un moment en retirant cette séquence du scénario tout en sachant qu'elle existerait et que j'allais la filmer. Lorsque je l'ai tournée, j'étais persuadé que c'était la bonne solution de la placer au début. Durant la phase de montage, j'ai demandé à Benjamin Weill de me réaliser une sorte de pré-générique et c'est sur quoi il a travaillé en premier tout en le cachant aux producteurs. Le jour où je leur ai montré une première version montée du film, j'attendais avec une légère appréhension en me demandant comment ils allaient recevoir ça vu qu'on en avait longuement parlé et que, sur le papier, j'avais cédé. Quand ils se sont retournés ils m'ont dit finalement que j'avais eu entièrement raison car l'introduction fonctionnait vraiment très bien.
Dans le film, beaucoup de séquences sont sans dialogues et vous laissez souvent la place à l'imagination du spectateur. N'est ce pas un risque de le perdre parfois, par le procédé des ellipses de temps?
Bien sûr c'était le risque ! Mais je pense que cela fonctionne beaucoup mieux dans le thriller. Les spectateurs m'ont dit que voir le personnage principal se démener seul contre le système renforce l'angoisse et l'attachement qu'on peut avoir avec lui. Le plan élaboré par Julien (Vincent Lindon) étant bancal et pouvant être découvert renforce un côté anxiogène et transmet de l'empathie. Les scènes d'émotion étant très peu dialoguées, le spectateur apporte des sentiments qui lui sont personnels comme par rapport au père, à l'enfant, au rapport homme-femme. Les personnages s'attachent aux spectateurs parce qu'un sentiment de proximité se crée.
C'est aussi très réaliste finalement...
Il est toujours mieux au cinéma de ne pas tout montrer au spectateur et de le laisser imaginer. Cela marche toujours car l'imagination du spectateur ira toujours plus loin que ce que moi je peux montrer à l'écran. Comme dans un film d'angoisse où la caméra ne montre pas l'horreur et pourtant l'effet est encore plus effrayant. Pour mon film, le côté réaliste est renforcé via le postulat du personnage du 'Monsieur tout le monde' que j'ai beaucoup travaillé tout comme on a réfléchi aux décors et aux costumes. On nous montre trop souvent au cinéma des gens de tous les jours vivant dans des beaux appartements, ayant de belles voitures et de belles fringues, c'est un décalage flagrant avec la réalité. Dans Pour elle, ce sont des personnages normaux plongés dans une situation qui les dépasse. Des gens de tous les jours, une classe populaire qu'on traite rarement au cinéma. Cela doit aider à l'identification.
Ce qui fait la force du film c'est le mélange des genres : Pour elle est un thriller et en même temps le film dépeint une belle et forte histoire d'amour entre les deux personnages principaux à laquelle on croit vraiment. Cela place le film en dehors des étiquettes...
C'était aussi la solution pour que le thriller fonctionne. Si on ne croit pas à ce couple et si l'histoire d'amour ne marche pas, le spectateur ne « court » pas avec Julien et l'angoisse ne monte pas. Lorsque j'ai rencontré Diane Kruger et Vincent Lindon, j'étais intimement persuadé que le couple fonctionnerait.
Comment avez-vous choisi vos comédiens ? Diane Kruger a par exemple un beau personnage à défendre, que l'on voit peu dans le genre et surtout chez un personnage féminin...
Sur un premier film ce sont surtout les comédiens qui vous choisissent. J'ai envoyé le scénario à Vincent Lindon qui était mon premier choix et j'ai eu énormément de chance qu'il accepte d'interpréter Julien. Pour Diane c'était différent puisque sur le papier le rôle n'était pas aussi intéressant que le rôle masculin et Diane a eu l'intelligence de lire entre les lignes et aussi et surtout de me faire confiance. Quand je l'ai rencontrée, je lui ai dis que je savais que son personnage serait à retravailler et que nous pourrions partager des idées pour lui donner plus de chair si elle acceptait de me faire confiance.
La direction d'acteur est beaucoup passée par l'écrit, j'ai vraiment taillé les personnages sur mesure pour eux. Sur le tournage, plutôt que de faire des lectures tout en parlant des intentions de jeu, j'ai travaillé sur le fond des personnages de manière très simple en les questionnant sur quelles seraient leurs propres intentions s'ils se retrouvaient dans telle ou telle situation. Par exemple pour le personnage de Diane, il y a une séquence qui n'existait pas dans le scénario initial, c'est celle où son personnage apprend qu'elle va rester vingt ans en prison. Avec Guillaume on se disait qu'il serait plus intéressant de la voir entrer dans le parloir et de laisser imaginer les spectateurs le reste. Diane m'a suggéré qu'il serait plus intéressant de la voir recevoir ce fameux coup de téléphone. Pour moi cela cassait ce que j'avais mis en place mais en même temps cela apportait beaucoup en émotion. aujourd'hui lorsque je vois le film, je me dis que cette idée était indispensable.
Vincent Lindon, on le voit dans le making of, est très impliqué dans son personnage, dans les scènes d'action...
Vincent est quelqu'un qui s'implique énormément et qui est toujours sur le plateau même pour donner la réplique hors champ. C'était pour lui l'occasion d'interpréter un rôle qu'il n'avait pas déjà fait et en plus il est physique. C'est d'ailleurs bizarre qu'il n'ait pas fait plus de films policiers ! Pour ouvrir une parenthèse, j'ajoute que Vincent Lindon est contre les making of de film, c'est pour cette raison qu'on ne le voit jamais dans les interviews du DVD. En le revoyant l'autre jour, je me disais que les spectateurs allaient croire qu'on ne s'entend pas bien. Vincent part du principe qu'un making of brise la magie du cinéma. Qu'il ne faut pas montrer l'envers du décor.
Autre point fort du film, c'est la relation entre le père et le fils, faite de non-dits, de silences, d'engueulades...
Ce sont des gens qui ne parlent pas beaucoup, ils sont pareils mais n'arrivent pas à communiquer. Jamais je ne dis pourquoi ils ne parlent pas. Ce n'est pas un drame qui les a séparés, ils n'arrivent tout simplement pas à se parler, par pudeur aussi. Pendant l'écriture avec Guillaume, on imaginait que le père aurait fait pareil que son fils s'il s'était retrouvé dans la même situation et que c'était pour cela qui lui donnait son aval tacitement. On nous a pas mal conseillé de développer ces personnages, les voir seuls pour leur donner plus de chair mais on s'est refusés à ça. On ne voulait pas en dire plus. Les personnages secondaires fonctionnent tout aussi bien. Même chose concernant les non dits, le spectateur se fait sa propre histoire pour remplir ces blancs laissés volontairement. Le plus important était la façon dont les personnages allaient se révéler au cours de l'histoire, pas ce qu'ils avaient fait avant.
Le manque de communication est également le thème de votre court-métrage disponible dans les suppléments du DVD « J »...
Exactement et c'est pour cela que j'ai tenu à ce que « J » soit dans les suppléments. Quand je l'ai revu, je me suis rendu compte des points communs qu'il avait avec Pour elle, le couple de « J » pourrait d'ailleurs être les parents. Ce n'est pas la même histoire mais je trouvais qu'il y avait une grande similitude par rapport aux décors, aux couleurs. On dirait le même appartement et je n'ai pourtant donné aucune indication au décorateur.
Quelles sont vos influences cinématographiques?
Par rapport à ce thème de l'incommunicabilité, je dirais que la référence absolue est pour moi Le Chat de Pierre Granier-Deferre. C'est amusant parce que lorsque j'ai réalisé « J » je n'avais pas revu Le Chat depuis mes 12 ans. Quand je l'ai enfin revu, je me suis dit que j'avais tout pompé ! Après, en général j'aime le cinéma de Claude Sautet. J'aime le cinéma dit « populaire » qui a bercé mon enfance, c'est un cinéma qui me plait, un cinéma populaire mais de qualité avec des vrais personnages, faits de chair, à qui l'on peut s'identifier. Tous les films que j'ai aimés m'ont mené à Pour elle.
Votre prochain film sera-t-il dans la continuité de Pour elle ? Vous resterez dans l'action ?
Oui mais cette fois ce sera un thriller pur et dur et réaliste, à dimension toujours humaine. Il n'y aura pas de pyrotechnie. Je vais m'intéresser à de nouveaux personnages, comme de véritables gangsters. L'histoire sera celle d'une rencontre entre un Monsieur Tout le monde et un gangster. Ma volonté est de faire rencontrer ces deux êtres opposés, faire en 1h30 ce que j'ai fait pour la dernière demi-heure de Pour elle, à savoir monter des séquences rythmées, qui se déroulent sur 24 heures, en associant deux personnages opposées, un aide-soignant et un gangster à la Robert De Niro dans Heat, qui est capable de tout quitter sur le champ, qui n'a aucune attache.
Vous avez déjà des noms au casting ?
J'aimerais bien Vincent Lindon dans le personnage du gangster pour lui donner un rôle à l'opposé de celui qu'il incarne dans Pour elle. Vincent est taillé pour faire des rôles comme ça. On va voir s'il accepte le challenge et surtout si le rôle est taillé pour lui, ce qui est toujours compliqué. On a très envie de retravailler ensemble mais reste à savoir si Vincent « se sente » de le faire. Pour le deuxième personnage, pour l'instant j'ai un peu de mal à me décider.
En lisant les news sur le net, il est actuellement question que Paul Haggis réalise un remake de votre film avec Charlize Theron et Sean Penn dans les rôles principaux (ndlr « The Next Three Days »)...
Le projet a été officiellement signé. L'équipe commence normalement à tourner au mois d'août. Mes producteurs chez Fidélité sont associés dans cette coproduction avec LionsGate. Pour obtenir les droits, Paul Haggis s'est tourné vers mes producteurs qui ont accepté la proposition. C'est aussi intéressant pour moi car je pourrai aller sur le tournage.
En termes de casting, il est vrai que Charlize Theron et Sean Penn ont été annoncés mais d'autres informations sont contradictoires. Tout ce que je peux dire c'est qu'avec Paul Haggis, on peut s'attendre à un casting de ce niveau là.
Quant à mon film, il ne sortira pas aux Etats-Unis puisque le remake est en chantier. Paul Haggis a vu le film en janvier dernier et c'est à ce moment là qu'il s'est décidé pour en faire un remake. Ce qui est intéressant c'est qu'il va amener des choses nouvelles par rapport au film et d'autres problématiques. Pour elle pose la question de jusqu'où peut-on aller dans le mal pour faire le bien. C'est cela qui l'intéresse, Paul Haggis étant avant tout un grand scénariste, cela me comble de joie. C'est très flatteur.
Propos recueillis par Sabrina Piazzi