Speed Racer : interview des superviseurs des effets spéciaux
Le 18/12/2008 à 17:42Par Michèle Bori
Chez BUF depuis 1996, Geoffrey Niquet a supervisé les effets visuels de nombreux films publicitaires et long-métrage, tels que Fight Club, Le Raid, Atomic Circus et Human Nature. Superviseur général de l'animation sur Arthur et les Minimoys de Luc Besson, il collabore cette année avec Simon Vanesse, qui a travaillé pour BUF sur Vol 93, Le Prestige, Dante 01 et plus récemment Astérix aux Jeux Olympiques. Ensemble, ils forment le duo de superviseurs de Speed Racer, la nouvelle folie des frères Wachowski qui sort ces jours-ci en DVD et Blu-Ray. A l'occasion du salon ParisFX qui se tenait les 19 et 20 Novembre dernier, nous avons pu les rencontrer pour qu'ils nous parlent un peu plus de leur travail sur ce film très spécial.
Quand a réellement commencé votre travail sur Speed Racer ?
Geoffrey Niquet : La première chose qu'il faut souligner, c'est que notre travail n'a pas été que technique, il a aussi et surtout été artistique. Lorsque les Wachowski sont venus avec l'idée de faire l'adaptation d'une série animée des années 60, en reprenant ses personnages, mais aussi son visuel et ses effets de mise en scène, il nous a fallu plancher sur ce qui pouvait être fait sur le plan des effets spéciaux - et surtout comment cela pouvait être fait - avant même que le tournage se fasse. Nous avons fait beaucoup de recherches en amont, pour déterminer quels effets pourraient être utilisés.
Simon Vanesse : Par exemple, dans le dessin animé, on voit souvent des visages en gros plan avec des fonds flous derrière. Il nous fallait déterminer comment créer les boucles de ses fonds, leur aspect graphique, la densité des flous et du motion blur, les effets de lumière venant du fond sur les personnages etc., etc. ... Cela représentait un gros travail. De même, un des effets souvent utilisé dans le film est le mélange de deux perspectives pour créer une même route avec un effet de distorsion et de profondeur de champ infinie. Là encore, nous sommes allés faire des tests nous-mêmes sur une piste de course, nous avons tourné des plans que nous avons bidouillés par la suite, pour les montrer à Andy et Larry. Ils ont adoré le concept et ça leur a donné des idées pour leur découpage. Nous avons ainsi soumis une vingtaine d'idées, afin de monter un dossier pour convaincre la Warner de soutenir le projet. Et finalement nous avons eu le feu vert.
Et par la suite, en quoi consistait votre travail ?
G.N. : Un an est passé, le scénario était achevé, et ce n'est qu'à ce moment-là que nous avons pu entamer la phase de pré-production. La première chose sur laquelle nous nous sommes mis d'accord était la suivante : étant donné que nous faisions un manga filmé, tous nos décors seraient en 2-D et non en 3-D. Dès lors, tout a été réalisé à partir de photos prises aux quatre coins d'Europe par une équipe que l'on appelait la "World Team". Comment ça se passait concrètement ? Toutes les sociétés de SFX disposaient du story-board du film. A partir de là, nous en avons tiré une prévisualisation 3-D qui permettait de connaître très précisément les cadres et les mouvements de caméras.
S.V. : Dès lors, nous avions d'un côté l'équipe de tournage qui filmait tous les comédiens sur fond vert en studio (placés dans des machines montées sur vérins hydrauliques animés par ordinateur en fonction des mouvements de caméra de la préviz), de l'autre la World Team qui prenait des milliers de photos pour créer les environnements en 2-D. Notre travail consistait ensuite à combiner les deux, pour fournir tous les plans nécessaires au montage. Et pendant ce temps, nous continuions nos recherches graphiques, en particulier sur les univers, puisque les 350 plans que nous avions à traiter étaient répartis dans une douzaine de lieux différents !
Vous connaissiez le dessin animé Speed Racer ?
G.N. : Pas vraiment, on a commencé à s'y intéresser quand on a été contactés pour travailler sur le film. Apparemment, ce dessin-animé est surtout connu aux Etats-Unis. C'est un peu leur Goldorak à eux ! Il s'agit du premier dessin-animé japonais à avoir percé là-bas, dans les années 60 il me semble. Dommage que tous ceux qui connaissaient Speed Racer le dessin animé, ne soient pas tous allés voir le film ! (rires) En même temps, si on faisait un film pop de Goldorak, je ne pense pas que j'irais le voir...
Parlez-nous un peu de la manière dont vous avez travaillé sur les voitures.
G.N. : En ce qui concerne les voitures, nous avons dû répondre à un certain nombre de points précis de notre cahier des charges. En premier lieu, il devait y avoir une certaine logique physique dans la tenue de route de ces bolides. Les voitures étant les héros du film, il fallait un modèle de simulation qui soit à la fois du domaine du "jamais vu" et qui possède une touche de réalisme pour ne pas tomber dans l'excès. C'est assez angoissant d'être toujours confronté à cette problématique : jusqu'où peut-on aller dans le réalisme, étant donné que c'est un terrain connu et rassurant, et jusqu'à quel point peut-on s'en éloigner ? Toute la difficulté était de trouver ce juste milieu, car essayer de mettre du réalisme dans la dynamique d'une voiture lancée à 800 km/h dans un tunnel de glace, ce n'est pas évident !
S.V. : Le second point était que les voitures devaient être magnifiées à chaque plan. Elles ne devaient pas "juste" être intégrée à l'environnement, mais aussi être éclairées en fonction des formes, avoir toujours les bons reflets pour être toujours sublimes, même si ces effets étaient totalement improbables. Plan par plan, nous avons placé des projecteurs virtuels un peu partout autour des voitures, juste pour faire tomber le bon reflet au bon moment dans le montage !
G.N. : Enfin, pour tout ce qui concerne les interactions des voitures avec le décor (effets de fumée, de sable), plutôt que de partir sur des effets 3-D complexes d'animation de particules, et pour rester dans l'esprit "dessin animé" du film, nous avons opté pour l'utilisation de sprites, que l'on retrouvera d'un plan à l'autre. Bien sûr, c'est un modèle de sprites montés sur plaques plutôt évolué que nous avons utilisé. Mais de manière très rigoureuse, puisque le risque d'une telle technique est qu'au final Speed Racer ressemble plus à un jeu vidéo qu'à un film.
Dans cette configuration de production, où finalement les trucages influencent le montage, vous est-il arrivé de travailler sur des plans compliqués qui n'ont pas été gardés ?
G.N. : Ce genre de chose arrive sur toutes les productions, sur tous les films. On peut considérer les SFX comme des rushs. La seule différence, c'est qu'un plan d'effets spéciaux coûte beaucoup plus cher qu'une prise sur le tournage ! C'est pourquoi, au fur et à mesure que le montage est affiné, des plans ou des bouts de plan sautent inévitablement.
S.V. : Tout dépend vraiment du type de film. C'est vrai que sur Speed Racer, où finalement il y a très peu de choses filmées en prise de vue réelle, c'est la postproduction qui fait le film. Comme le dit Geoffrey, c'est nous qui faisons les rushs. Dans un cas comme celui-ci, il est évident qu'il y a beaucoup plus de pertes que sur un film où on va juste faire une explosion.
G.N. : C'est toujours malheureux pour le gars qui a passé deux mois sur son plan et qui ne le verra pas au cinéma, mais ça fait partie du jeu.
C'est à cela que sert le DVD !
G.N. : Oui, pour les scènes coupées ! Sur Speed Racer, on peut facilement en tirer 20 minutes ! (rires)
L'avènement du Blu-Ray a-t-il changé quelque chose pour vous ?
G.N. : Pas vraiment. Dans le cas d'un long métrage comme Speed Racer, le niveau de définition sur lequel nous avons l'habitude de travailler est supérieur à celui du Blu-Ray. En revanche, chez BUF, nous travaillons aussi sur des spots TV. Le passage à la HDTV a pas mal changé nos habitudes puisque avant nos projets télévisés étaient tous en SD.
S.V. : Encore une fois, cela dépend du projet. Pour un film comme The Dark Knight, où Christopher Nolan a voulu travailler en IMAX et en 8K, justement pour ne pas que son film ne se fasse rattraper par la télévision, les graphistes ont dû s'adapter à un niveau de définition encore plus précis que d'habitude. Mais pas sur Speed Racer.
G.N. : Ce qu'il y a de drôle avec Speed Racer, c'est qu'il peut être vu en 4K, puisque c'est un film très sharp, avec très peu de bruit. Les Wachowski voulaient une image très lisse, sans aucun défaut ni grain, donc tous nos plans sont véritablement impeccables. Nous avons même dû supprimer le grain sur les plans des acteurs filmés ! Et pourtant, ces séquences étaient filmées avec des caméras numériques haute-définition, qui à la base font déjà très peu de grain.
S.V. : Il n'y a aucun artefact dans Speed Racer. D'ordinaire, lorsqu'on incruste des éléments truqués sur un plan tourné en pellicule, on est obligé de le dégrader, de le flouter un peu pour qu'il se fonde dans le reste. Ici, on a fait le contraire !
Et pour en revenir au DVD, le risque lorsqu'on fait un film aussi chargé en couleurs est d'atteindre rapidement les limites de saturation du MPEG-2. Est-ce un élément que vous avez pris en compte lorsque vous avez composé vos plans ?
G.N. : Pas du tout... c'est vrai, maintenant que vous le dites, je me demande comment ils se sont débrouillés ! En fait, à notre niveau, tous les plans sont validés en projection numérique, pas en DVD. Par la suite, nous n'avons pas participé à la masteristation du DVD, l'équipe du film non plus d'ailleurs. J'imagine que c'est un autre département de Warner qui s'en est chargé.
Comment sont les frères Wachowski ?
S.V. : Ils aiment les effets spéciaux ! Contrairement à Christopher Nolan qui n'aime pas du tout ça, ils prennent vraiment les FX en considération dès l'écriture du scénario. Mais nous n'avons eu affaire qu'une ou deux fois à eux, lors de la phase de recherche artistique.
G.N. : Oui, la plupart du temps, nous étions en relation avec les superviseurs, parce qu'il est impossible d'avoir les réalisateurs pendant 2h tous les jours au téléphone pour parler des 50 plans à valider.
Speed Racer est-il un gros film pour vous sur le plan du volume de travail ?
G.N. : Oui, c'est un très gros film, mais nous sommes habitués à travailler sur des projets de cette envergure qui demandent un très grand nombre de plans truqués. Lorsqu'on a commencé Speed Racer, on sortait d'Arthur et les Minimoys qui représentait 1700 plans. L'année d'avant, on en avait sorti 2600, tous films confondus.
Et à présent, vous travaillez sur ... ?
G.N. : Plein de films avec des noms de code dont nous ne pouvons pas parler ! Ca craint...
V.N. : Si, on peut le dire : on travaille sur Arthur 2 et 3, prévus pour Noël 2009 et Noël 2010. Voilà ! (rires)
Propos recueillis par Pierre Delorme
Remerciements à Claire Vorger