Blood Father : Jean-François Richet se confie sur Mel Gibson (interview)
Le 17/01/2022 à 19:03Par Olivier Portnoi
(Article publié en août 2016) Mel Gibson est enfin de retour dans un rôle musclé. Pour le sévèrement burné Blood Father de Jean-François Richet, il est un ex taulard, ancien alcoolique qui va devoir faire face à ses anciens démons pour venir en aide à sa fille.
Onze ans après son remake de John Carpenter (Assaut sur le Central 13 avec Ethan Hawke), le réalisateur de Mesrine retourne aux Etats-Unis collaborer avec une autre de ses idoles. Avec Blood Father, l'ex Mad Max et Martin Riggs renoue avec un type de personnage que l'on avait envie qu'il incarne à nouveau depuis longtemps.
Rencontre avec Jean-François Richet, au franc-parler toujours aussi plaisant, pour évoquer la rédemption cinématographique de Mel Gibson.
"Je n’aime pas l’action qui est juste un prétexte à l’action. Cela me fait chier."
Qu’est-ce qui t'as attiré vers Blood Father ?
D'abord le scénario (rédigé par l'écrivain Peter Craig d'après son propre livre -ndr) puis que l'on pouvait faire le film en maîtrisant les budgets. Le scénario était très bien écrit. Sa dramaturgie était exceptionnelle. Ce n’était pas un film d’action mais son personnage principal se révélait dans l’action. Un peu comme Mesrine d’ailleurs. Mesrine, l’arc qu’il avait, c’est que plus il réussit des coups, plus il s'enorgueillit et plus il devient incontrôlable. Il croit en sa propre légende. Ce qui implique qu’avant et après chaque scène d’action, ce n’est plus le même. Pour Mel Gibson, c’est pareil. J’aime les personnages qui se révèlent dans l’action. Je n’aime pas l’action qui est juste un prétexte à l’action. Cela me fait chier.
J’ai cru comprendre que le film était passé entre les mains de Sylvester Stallone en 2008 et qu'il souhaitait le réaliser.
J’ai lu la même chose il y a quelques jours sur imdb. Mais le livre de Peter Craig n’était pas paru à ce moment-là. Peut-être ont-ils confondu avec un autre projet du même nom. Je ne sais pas. C’est à vérifier.
A quel moment Mel Gibson a t-il été impliqué dans le film ?
Dès la lecture du scénario. Je l’ai posé et je me suis dit "je veux Mel". Il était évident que c’était pour lui. Je lui ai envoyé le scénar avec les deux Blu-Ray de Mesrine puis on s’est vu. Cela a été très simple.
"Mel m’a raconté en détails son film qu’il aimerait faire sur les vikings. C'est génial".
Comment s’est passée ta première rencontre avec lui ?
Cela fait chier parce que je suis en promo et que l’on va dire que je fais ma promo sur ça mais il est tellement gentil et exceptionnel que tu ne te retrouves jamais face à une star. C’est une star, mais face à toi tu as un être humain, un acteur. Il m’a appelé un 22 décembre. J’étais chez moi à Montpellier à l’époque. Il me dit "tu peux venir, le scénar m’intéresse". On devait se voir une heure à Los Angeles le 25 décembre mais on est resté cinq heures à boire du café dans sa cuisine à parler de tout et de rien.
Vous avez parlé de cinéma ?
Bien sûr, du scénario, du film, des films qu’il n’aime pas et que j’aime…
Lesquels par exemple ?
J’aime Drive par exemple. Lui n’en aime pas le rythme. Il m’a aussi raconté son film qu’il aimerait faire sur les vikings. Il m’a joué tous les personnages. Il m’a tout raconté en détails. C’était génial. Extraordinaire. Je ne comprends pas pourquoi les studios ne le financent pas.
Quel est ton premier souvenir de Mel Gibson ?
Mad Max. Ma première cassette VHS appartenait à mon frère et c’était Mad Max. Elle était dans un état vraiment pourri tellement on l’a regardé. Il y en a deux des acteurs comme ça qui font partis du conscient collectif, de la culture générale. On les a suivis avec des œuvres à suite que cela soit Rambo, Rocky pour Stallone ou Mad Max et l’Arme Fatale pour Mel Gibson. Il y a d’autres stars mais elles ne sont pas aussi marquées par des rôles populaires. Ce n’est pas Brad Pitt, Tom Cruise. Il n’y en a que deux comme ça.
Peut-être Schwarzenegger aussi ?
Moins pour moi. Il ne m’a pas autant marqué personnellement. Mais peut-être oui.
"Quand je reçois des scénarios des Etats-Unis avec des poursuites de 15 minutes, des voitures dans tous le sens, des explosions, j’arrête de lire."
Sur le tournage, étais-tu conscient que l’on allait te parler de Mad Max ? Difficile de ne pas y penser dans les scènes de désert notamment lorsqu’il a en main son fusil à canon scié. On pense aussi à Martin Riggs dans sa caravane.
Je ne m’imaginais rien à vrai dire. Je pensais à d’autres trucs mais à pas Mad Max. Dans le désert, je pensais à John Ford. Vu le décor, c’est évident. J’avais conscience, sans le formuler, que je voulais être dans une filiation avec les films de Ted Post, Don Siegel ou les premiers Eastwood, où ce qui est important, ce sont les personnages, pas les effets spéciaux, les poursuites. Blood Father est une série B.
C’est quoi une série B pour toi ?
C’est un film qui n’a pas les moyens du A. Du coup pour compenser, on s’attarde sur les personnages. C’est ce qui m’intéresse. La dramaturgie, les relations entre les personnages… Honnêtement, quand je reçois des scénarios des Etats-Unis avec des poursuites de 15 minutes, des voitures dans tous le sens, des explosions, j’arrête de lire. Cela ne m’intéresse pas. Pour moi, c’est carrément honorifique d’être dans le B. C’est compensé l’argent par l’intelligence, par de l’émotion. Quand c’est ça le B, j’adore. Après il y a des mauvais B comme il y a des mauvais A et des bons A. Interstellar est exceptionnel. A l’opposé, Bad Boys me fait chier. Je ne dis pas que c’est mauvais mais cela me fait chier. Je préfère un B à la Don Siegel qu’un A à Bad Boys… Après Z, c’est dur (rires).
Quoique cela peut-être drôle…
Oui c’est vrai. Les fourmis géantes qui viennent de Mars, les femmes géantes de je ne sais où, les soucoupes avec un fil visible qui les fait bouger, c’est drôle. Parce que cela ne se prend pas au sérieux. Ce qui est insupportable, c’est la prétention. Je ne critique pas ceux qui n’ont pas d’argent. J’aime parfois plus l’artisan que le chef d’œuvre. On est pas tous capable de faire Citizen Kane ou 2001. J’en suis incapable. D’ailleurs quasiment personne ne peut refaire ces films. On a aussi besoin de voir des conneries, des films marrants. Cela fait du bien. C’est ça aussi le cinéma. Il ne faut pas péter plus haut que son cul. C’est pour cela que j’essaie de faire des budgets modestes. Je suis un artisan. Je préfère faire mon tableau et pouvoir construire le cadre qui est autour plutôt que d’en faire un avec 1000 intervenants pour que je ne le reconnaisse pas à l’arrivée.
Tu ne te vois pas faire de films pour un gros studio américain ?
Si peut-être un jour. Mais il faudra que je sois sûr qu’avec le producteur et l’acteur principal, on veut faire le même film. C’est quand on a des idées différentes que les problèmes arrivent.
"La Passion du Christ, j’ai pleuré trois fois en le voyant au cinéma".
As-tu parlé de mise en scène avec Mel Gibson sur le tournage ? Comment est-ce de travailler avec un autre réalisateur ?
Jamais il n’a interféré. Un jour, il grognait sur la technique que j'employais pour un plan. Je lui ai dit : "Qu’est-ce qu’il a Mel ? Tu veux que je t’explique pourquoi je fais ça ?". "Non, non je ne comprends pas mais je te fais confiance". C’est génial. Il ne m’a jamais questionné sur la mise en scène. On a parlé que de motivations de personnages. Tous les grands avec qui j’ai travaillé, que cela soit Vincent Cassel, Maria Bello, Ethan Hawke, m’ont parlé que de motivation. Pourquoi tel personnage fait ça ? Pourquoi il s’assoit à ce moment-là ? Pourquoi il n’appelle pas sa fille ? Tu as intérêt à répondre. Pour Mel, cela a duré un jour ou deux. Puis une fois qu’il a confiance, c’est génial. C’est tellement simple avec les bons acteurs. Gibson n’a jamais fait une mauvaise prise. Je retrouve la même chose avec Cassel.
Quel est ton film préféré réalisé par Gibson ?
Je vais en surprendre certains mais c’est La Passion du Christ. J’ai pleuré trois fois au cinéma en le voyant. Et quand je le regarde chez moi, je suis incapable de le visionner d’une traite. Je dois faire des pauses. Le cinéma de Mel Gibson est immersif. Que l’on soit croyant ou pas, on souffre avec Jesus, on est témoin de ce qu’il endure. C’est la force de Mel. C’est une expérience mystique comme Apocalypto.
"Je n’ai pas voulu faire de lien entre sa vie privée et son personnage."
Blood Father est un film sur la rédemption. Certaines scènes font automatiquement penser à l’histoire personnelle de Mel Gibson et à ses dérapages qui lui ont valu d’être blacklisté à Hollywood. Notamment lors de sa première scène où il se confie aux alcooliques anonymes et s'excuse pour tout le mal qu'il a causé autour de lui.
Sur le tournage, je n’ai pas voulu faire de lien entre sa vie privée et son personnage dans le film. Par contre, quand j’ai cadré cette scène d’ouverture où il est aux alcooliques anonymes, j’ai pris conscience qu’il y avait un écho avec son parcours. Il le dit, il ne le cache pas, il me l’a confié aussi, son grand ennemi a été l’alcool. Il ne prend plus une goutte. Il sait que cette addiction lui a fait péter les plombs. Cette scène a surement été la plus douloureuse pour lui à filmer. Je le ressentais derrère la caméra. Mais encore une fois, c’était dans le scénario et dans le livre avant que le nom de Mel ne soit associé au film.
As-tu déjà un autre film en préparation ?
Oui un film qui se passe pendant l’Empire sous Napoleon 1er avec Vincent Cassel. On verra si on peut le financer en France. Je vais me battre pour car j’adore ma langue française. La culture est véhiculée par la langue. C’est un film très cher pour le marché français mais je ne veux pas faire de concession artistique. Je veux le filmer comme Mesrine, dans Paris. Je veux reconstruire l’Empire dans Paris. J’espère que l’on y arrivera. Sinon, on le tournera en anglais avec des fonds étrangers mais cela me ferait vraiment chier.