Downsizing : Chéri, j'ai rétréci Matt Damon ! - interview Alexander Payne
Le 10/01/2018 à 12:54Par Olivier Portnoi
A l'occasion de la sortie de l'excellent Downsizing, FilmsActu a eu l'occasion de rencontrer le loquace et souriant Alexander Payne, réalisateur oscarisé de Nebraska, Sideways ou encore de The Descendants.
Sur une Terre souffrant de surpopulation, les humains sont réduits à 13 centimètres de hauteur... Matt Damon est Paul Safranek. Avec sa femme (Kristen Wiig), il décide de quitter leur communauté ennuyante d'Omaha pour tenter cette aventure inédite et controversée.
En salles dès le 10 janvier, Downsizing est un comédie SF grinçante, cynique et originale qui visiblement à débousoller les américains au vu de ses mauvais résultats au box-office. Espérons que la France lui réservera un meilleur accueil.
Matt Damon a dit que Downsizing était votre film le plus optimiste, même avec une apocalypse…
Alexander Payne : Il est complètement à l’ouest Matt ! De quoi est-ce qu’il parle ? Il ne comprend vraiment rien (rires). Ce film possède une certaine douceur et témoigne d’une tendresse envers les autres. Il évoque aussi l’amour mais optimiste ? Certainement pas. Matt est vraiment à côté de la plaque. Putain, mais pourquoi est-ce que je l’ai casté (rires).
Il vous a fallu près de 10 ans avant de pouvoir tourner ce film. Pourquoi a-t-il été si difficile à mettre en place ?
Pour deux raisons. Non en fait trois… La première, c’est que la conception du scénario a été très difficile. Jim Taylor, mon coscénariste, et moi avons eu une super idée pour un film. Je ne dis pas que mon film est génial mais l’idée est vraiment géniale. Elle est simple, absurde, accusatrice et une bonne base pour un film de science-fiction décalé. Mais cela nous a pris énormément de temps pour développer un scénario qui aborde les thématiques que l’on souhaitait dans un format de 2heures, 2heures 30. L’idée est assez solide pour que Downsizing ait été une série télé. Peut-être un jour, il le deviendra si le public est au rendez-vous, qui sait. Jim et moi habitons dans des villes différentes, ce qui n’a pas aidé à nous coordonner non plus. Deuxième raison, une fois le script fini, il nous fallait trouver un financement car je voulais un budget conséquent, 75 millions de dollars. Soit plus du double de mes films précédents. Cela a été difficile. Plus d’un président de studio m’a déclaré que Downsizing était trop intelligent pour le public. En tant que réalisateur américain, j’ai une grande liberté dans mes films jusqu’à un certain budget. Avec ce budget, c’était plus compliqué. En 2009, je n’ai pas trouvé le budget nécessaire et la liberté que je souhaitais. Alors j’ai enchaîné d’autres films, The Descendants, Nebraska. Et même après Nebraska, cela n’a pas été évident jusqu’à ce qu’un type à la Paramount dise « je sais que cela n’a pas de sens sur le papier, mais faisons le. Et parions sur ce Payne. Je lance les dés. Ma carrière en dépend ».
"Je ne choisirais jamais une star si je ne pensais pas qu’elle serait idéale pour le rôle."
Vous avez conservé le final cut ? Même avec un budget aussi élevé ?
Oui. Il suffit de demander.
Avoir tant de seconds rôles prestigieux a-t-il permis de rassurer le studio ?
Avoir Laura Dern, Neil Patrick Harris, Jason Sudeikis aide… Cela ne veut pas dire que plus de gens verront le film. Mais c’est une sorte d’assurance. Cependant, je ne choisirais jamais une star si je ne pensais pas qu’elle serait idéale pour le rôle. Par exemple, je savais que Neil Patrick Harris serait parfait dans ce petit passage. Laura Dern, qui est une amie, m’a elle demandé à être dans le film. Je lui ai passé le script, ce qui était une erreur. Il ne faut jamais passer un scénario à une amie actrice. En le lisant, elle n'a pas arrêté de se demander quel rôle était le sien. Laura est revenue en me disant, la femme de Matt Damon c’est moi ? Non. Alors ce rôle ? Non. Et celui là ? Ok.
Il y a même James Van Der Beek.
Oui et personne ne m’en a encore parlé. Il a été super. C’est un type génial. A priori, il revient avec une série télé dans laquelle il est plus sauvage. J’ai été surpris qu’il accepte de venir sur le tournage pour un seul jour. Mais il a été vraiment professionnel.
"Je ne suis pas Tarantino ou Damien Chazelle."
Je vous sais cinéphile. En préparant Downsizing, aviez-vous d’autres films en tête ?
C’est la première fois que sur un tournage je ne pense pas à d’autres films. Mais pendant l’écriture du scénario, j’ai parfois pensé à Fellini, Kurosawa… Cela ne veut pas dire que cela se voit dans le film. Je ne suis pas Tarantino ou Damien Chazelle qui aiment tous les deux que leurs références soient visibles. Mes influences sont moins directes et plus subtiles.
Ce film sort sous une administration américaine qui nie le réchauffement climatique…
Et qui veut bâtir un mur pour lutter contre les mexicains, c’est pour cela que l’on a aussi mis un mur dans le film…
Downsizing est donc politique ?
J’aimerais qu’il soit vu comme un film politique. Il sort aux Etats-Unis dans quatre semaines (l'interview a eu lieu mi novembre). On verra si les gens l’appréhendent de cette manière. Ou s’ils sortent du cinéma en se disant, 'c’était sympa, allons manger maintenant'.
"Tu ne peux pas savoir le nombre d’acteurs, très célèbres et inconnus, qui ne sont pas capables de se souvenir de leurs répliques."
Est-ce que vous auriez suivi Matt Damon si une telle technique de miniaturisation existait ?
Je ne sais pas quoi répondre à ça. J’aimerais avoir quelque chose de drôle à dire… Ce qui me vient en tête, c’est que nous sommes déjà tout petits. Puis, si on veut sortir de cette situation climatique, il va falloir que l’on fasse tous quelque chose… Mais je ne sais pas.
Les road trips sont récurrents dans tous vos films. Pourquoi comptent-ils autant pour vous ?
J’aime le monde et j’aime montrer des endroits différents. C’est cliché à dire mais le voyage extérieur est une métaphore pour le voyage intérieur. C’est bien non ? (rires).
Que recherchez-vous chez un acteur ?
Ca c’est une bonne question. J’aurai aimé lire ce que les autres réalisateurs répondent… La crédibilité. Je fais des films sur les gens ordinaires. J’ai besoin de croire mon acteur lorsqu’il incarne un monsieur tout le monde. Cela peut paraître une blague, mais pendant l’audition, j’essaie de voir s’ils sont capables de rendre crédibles des mauvais dialogues. J’aime aussi avoir des acteurs sympas sur le plateau. Je ne veux pas d'égopathes, de narcissiques, de casse couilles qui me font chier. J’aime aussi que les acteurs se souviennent de leurs dialogues. Tu ne peux pas savoir le nombre d’acteurs, très célèbres et inconnus, qui ne sont pas capables de se souvenir de leurs répliques. C’est à se demander ce qu’ils foutent là. Une autre chose importante que j’aime, c’est qu’un acteur puisse rendre chaque prise différente et réelle. Souvent les acteurs de théâtre répètent la veille devant leur miroir et chacune de leur prise est la même. Je ne veux pas de ça.
"Si Matt Damon n’était pas une star, à quoi ressemblerait-il ? c’est ce que j’ai voulu savoir."
Matt Damon est toujours excellent en monsieur tout le monde.
C’est une star de cinéma qui ne ressemble pas à une star de cinéma. C’est ce que j’aime chez lui.
Vous lui avez fait prendre du poids pour ce rôle.
Il portait ce que l’on appelle une « fat suit » (un costume de gros). Du moins au début. Puis il a pris du poids comme je lui avais demandé. Il a commencé à tourner Downsizing deux ou trois semaines après avoir terminé Bourne. Il était vraiment costaud et il fallait que cela ne se voit pas.
Dans vos films, vos acteurs ont souvent une démarche très particulière que vous aimez filmer.
C’est un point de vue intéressant. Je me demande si les acteurs marchent différemment pour mes films ou si dans le reste de leur filmographie, les réalisateurs ne les filment jamais vraiment en train de marcher. La différence aussi c’est que dans leurs autres films, ils portent des vêtements de stars de cinéma. Des vêtements que personne ne portent dans la vie réelle. Avec moi, je leur demande de porter des vêtements ordinaires, beaucoup plus cheap. Peut-être que cela met en exergue leur démarche. Si Matt Damon n’était pas une star, à quoi ressemblerait-il ? c’est ce que j’ai voulu savoir.
"Aller sur Netlix ?... J’ai envie que mes films soient montrés au cinéma."
De plus en plus de réalisateurs indépendants acceptent de travailler pour Netflix ou Amazon où ils bénéficient d’une liberté totale. Que pensez-vous de cette évolution des salles vers les sites de streaming ?
Je trouve cela formidable que des sociétés comme Netflix ou Amazon financent des films à budgets plus réduits, un secteur autrefois financé par Roger Corman, Miramax ou New Line. Qu’il y ait de l’argent pour que ces cinéastes puissent faire leurs films comme ils l’entendent, c’est génial. Après personnellement, j’ai envie que mes films soient montrés au cinéma. Est-ce que j’accepterai de faire un film avec Netflix ? Bien sûr. Un réalisateur se fout de savoir d’où vient l’argent. Mais je voudrai avoir une certitude que mon film passe d’abord au cinéma. Le film aurait beaucoup d’autres occasions, et pendant des décennies avec un peu de chance, d’être vu sur un ordinateur ou sur l’écran d’un avion. Laissez-lui trois mois dans les salles.
En 2001, vous avez collaboré au scénario de Jurassic Park 3. A quoi a-pu ressembler Jurassic Park par Alexander Payne ?
Faut être honnête, j’ai accepté pour le salaire. Juste pour l’argent. Qu’est-ce que je connais en dinosaure ? C’était pour une réécriture. Le problème des les films Jurassic Park, ce ne sont pas les dinosaures mais les personnages. Il allait tourner le 3, les plateaux étaient construits mais le script était nul. Les producteurs sont venus me voir avec Jim et nous ont demandé de réécrire l’histoire en utilisant les cinq plateaux déjà construits. J’ai gagné plus d’argent avec ce film qu’en réalisant mes trois premiers films.
De quel film vous parle-t-on le plus souvent ? Sideways ? Nebraska ?
L’Arriviste. (Election en anglais paru en 1999 avec Matthew Broderick et Reese Witherspoon). Chaque réalisateur rêve de faire un film qui traversera les époques. Sideways l’est pour une certaine population qui aime le vin et la mentalité un peu bourgeoise. Mais pour les geeks de cinéma, c’est vraiment Election.