EXCLU : Julien Seri nous dit tout sur Night Fare, son nouveau film
Le 28/07/2014 à 13:15Par Michèle Bori
"Il n'y a pas longtemps, j'ai pensé à arrêter. Trop de bordel pour pas assez de création… Je me suis demandé si j'avais encore envie de faire ce métier. Night Fare a ranimé mon envie de cinéma. J'ai l'impression d'avoir 20 ans et de faire mon premier court-métrage. La seule différence, c'est que j'ai 20 piges d'expérience derrière moi". Lorsqu'il parle de son nouveau long-métrage, Julien Seri a le regard qui s'illumine. Night Fare, c'est l'histoire d'une renaissance. La sienne. Et comme souvent, c'est une "petite mort" qui l'a provoquée…
Tout a commencé il y a quelques mois. A la suite d'un désistement de dernière minute, le film que Julien devait tourner cet été est reporté à une date ultérieure. Il était résigné à partir au soleil lorsqu'il a reçu un appel de Pascal Sid. "On part en vacances, ou on fait un film ?" Le réalisateur de Derrière les murs, également producteur et ami de longue date, lui soumet alors son idée : réunir grâce à des mécènes le budget minimum pour tourner le film de manière totalement indépendante, le shooter en 20 jours avec une équipe rodée et essayer de lui donner une vie par la suite. Julien explique ce qui l'a séduit dans ce projet : "J'aimais l'idée d'un tournage rapide et léger. Un film où j'allais devoir remettre en jeu ma zone de confort, où je redevenais outsider pour mieux rebondir et tout donner. Un film sur lequel je n'avais plus rien à perdre, mais au contraire, tout à gagner". Un film en mode guérilla, qui sent bon le coup de poker. Sauf que Seri et Sid ont quelques atouts dans leur manche. "La différence avec d'autres films indépendants, c'est que ce n'est pas un premier long-métrage. Julien a déjà tourné plusieurs long, toute l'équipe sera composée de techniciens aguerris" explique Pascal Sid. Si dans le milieu, beaucoup les regardent avec des grands yeux d'incompréhension, des noms se rattachent très vite au projet, emballés par la spontanéité et l'énergie de ses instigateurs.
Julien Seri (au centre) et ses producteurs Paul Mignot et Pascal Sid
Certains annulent même leurs vacances pour participer à l'aventure, du superviseur de cascades Olivier Schneider (Fast and Furious 6) au chef opérateur Michel Abramowicz (Taken, The Thing), en passant par Paul Mignot (coproducteur et réalisateur de seconde équipe) et les comédiens Fanny Valette (Molière, Vertige, La Traversée), Jonathan Demurger (Les Aiguilles rouges, La Belle et la bête) et surtout Jonathan Howard, acteur anglais vu dans Thor 2 et World War Z. Pour s'ouvrir au marché international (très ouvert à ce genre de production), le film se tournera en effet partiellement en anglais. "On a un personnage anglais qui, logiquement, communique en anglais avec les autres. Mais lorsque les français parleront entre eux, ce sera en français. On essaye d'être logiques et réalistes" précise Pascal Sid.
"J'ai toujours rêvé de faire un film de super-héros"
Mais de quoi parle donc ce film qui a séduit tant de monde en si peu de temps ? L'idée de base vient de Wahid "Tarubi" Mosta, un proche de Seri, qui quelque temps auparavant lui avait évoqué un pitch qui lui était resté dans la tête : un taxi basket qui tourne mal et dans lequel un chauffeur poursuit des personnages toute la nuit... Lorsqu'il est appelé par Pascal, Julien soumet cette idée, qui emballe très vite tout le monde et qui sera par la suite développé à six mains par Pascal, Julien et Cyril Ferment (réalisateur du court-métrage "Chienne de vie" avec Lorie et David Mora, produit par Pascal Sid). Night Fare raconte donc l'histoire de deux jeunes de banlieue qui, de retour d’une soirée parisienne bien arrosée, montent dans un taxi pour rentrer chez eux à une quinzaine de kilomètres de Paris. Au moment de régler la course, ils décident de ne pas payer et s’arrachent du véhicule en courant… Funeste erreur. Le chauffeur du taxi (joué par le champion français de MMA Jess Liaudin) va les prendre en chasse.
"Le film débute de manière très réaliste et prend une tournure quasi surnaturelle au fur et à mesure que le personnage du Driver prend de l'importance. Et ce chauffeur de taxi, c'est le vrai héros du film" développe Julien, qui ne souhaite pas faire de Night Fare un simple thriller faisant le pont entre Duel de Steven Spielberg et le slasher urbain. "J'ai toujours rêvé de faire un film de super-héros … Et quelque part, ce chauffeur en est un, car il a un vrai sens de la justice. Pour moi qui viens des arts-martiaux, c'est quelque chose de très important". Pascal Sid surenchérit : "On ne voulait pas que ce soit un simple boogey-man qui tue des gens et basta. Son attitude a un sens. Le Driver, c'est un peu le gardien de certaines valeurs qui n'ont plus cours aujourd'hui". En ce sens, si Night Fare sera un film de genre calibré - avec de l'action, de la tension et des money-shots – c'est avant tout le film d'un homme de 40 ans qui veut raconter quelque chose de personnel et de sincère. "L'idée derrière Night Fare, c'est que tout ce qu'on peut faire de notre vie se paye à un moment donné. Les deux mecs qui sont poursuivis par le Driver vont traverser une épreuve qui va les faire grandir. C'était des post-ados, ils vont devenir des adultes."
Apprendre la vie par la manière forte, c'était déjà un peu le thème des Fils du vent et de Scorpion. Et c'est surtout un leitmotiv récurrent dans la vie professionnelle de Seri. On se souvient de l'affaire Yamakasi, dont il avait attaqué le tournage avant de se faire remercier par Luc Besson après quelques semaines compliquées (ce qui entraîna un procès dont Seri ressortira vainqueur, mais épuisé). On pense aussi à RTT, qui devait alors se faire avec Sophie Marceau et Jean-Paul Rouve, mais qui est tombé à l'eau faute de financements. Et puis il y a eu cet autre projet, annulé quelques semaines avant le premier clap, car il manquait une petite partie du budget. "Je n'avais jamais eu un budget aussi gros. Avec ce que j'avais, je pouvais retourner Paris" évoque avec amertume Seri, qui garde aujourd'hui ce qu'on pourrait appeler "un traumatisme de la phase de financement".
Un acteur de Thor, mais un budget de Godard ...
On comprend mieux du coup pourquoi Night Fare est une bulle d'oxygène pour le réalisateur. Même s'il sait que le tournage sera intense et que du fait de son budget serré, il n'aura pas droit à l'erreur. "Night Fare a clairement un budget déraisonnable, en décalage total avec nos ambitions. On a l'acteur de Thor et le budget d'un Godard". Un manque de moyen que le cinéaste compense par une confiance aveugle en ceux qui l'entourent. Et surtout, dans la conviction que l'indépendance du projet le protège de toute interférence dans son processus créatif. "Je me sens revivre. La seule pression qu'on a aujourd'hui, c'est de faire un bon film. Là où, sur certains projets bien financés et bien subventionnés, les gens s'en foutent du résultat car ils se sont déjà payés, nous, on se doit d'être excellents". Même son de cloche du côté de son producteur : "On est dans une démarche de prime à la gagne. Si on réussit notre coup, on arrivera à faire un petit bénéfice. Si on se foire, on aura grillé une cartouche et perdu de l'argent." Un pari risqué, mais nécessaire aux yeux des deux hommes. Voire même, incontournable lorsqu'on est dans une démarche artistique sincère. "Croire dans un projet quitte à y laisser sa chemise, c'est ça le boulot d'un vrai producteur, non ? Comme quand Claude Berri met cinq millions de francs de sa poche pour faire La guerre du feu, un film auquel personne ne croyait. Ou comme lorsque Thomas Langmann finance à lui tout seul The Artist".
Extrait de story board
Pour autant, Julien et Pascal ne souhaitent pas que Night Fare ne soit l'affaire que de quelques amis et confrères qui se réunissent un été pour mettre sur pied un projet rêvé. Ils veulent également susciter l'intérêt du public, son approbation et l'impliquer dans la création du film. Ils se sont ainsi lancés dans une campagne de crowdfunding aux objectifs multiples :
- d'abord, pour récolter quelques dizaines de milliers d'euros (une somme dérisoire pour un long métrage) qui offriront un peu plus de sérénité à l'équipe. "Si on a l'argent d'Ulule, la mise en boîte de certaines séquences lourdes (de cascades ou de poursuites) sera un tout petit peu plus confortable. Car pour le moment, on a l'argent pour tourner, mais on est ric-rac sur certains trucs".
- Ensuite, pour prouver qu'il existe en France une méthode de financement alternative et qu'un vrai cinéma indépendant est possible, même pour les cinéastes "du système". "Le système de crowdfunding est très intéressant pour les jeunes réalisateurs qui n'ont jamais fait de films et qui cherchent à faire leur preuve, mais il l'est également pour les metteurs en scène plus expérimentés qui veulent parfois faire ce qu'ils ont envie de faire sans avoir à demander l'autorisation."
- Enfin, et c'est le plus important, pour être en contact direct avec leurs potentiels spectateurs. Outre les contreparties qui sont proposées en cas de dons, ce qui emballe Julien et Pascal, c'est la possibilité de tenir informés leurs contributeurs de l'avancée du film. "C'est quelque chose que j'aurais rêvé d'avoir quand j'étais plus jeune" explique le producteur. "Pouvoir suivre au jour le jour la construction d'un film, voire même y participer, c'est génial lorsqu'on est cinéphile. Aujourd'hui, avec l'explosion des réseaux sociaux, on a la possibilité de rendre la conception d'un film moins opaque, plus accessible. C'est ce qu'on veut faire avec Night Fare".
Quelques jours seulement après son lancement, la campagne Ulule est un succès, puisqu'elle a déjà permis de récolter 25% des 50.000€ souhaités. Le premier coup de manivelle sera donné dans moins d'un mois. Si tout se passe bien, Night Fare – qui a déjà trouvé un distributeur - devrait débouler sur nos écrans l'année prochaine, avant d'être vendu à travers le monde. Ce serait alors une petite victoire pour ses instigateurs, qui pourraient passer la seconde et tenter de mettre sur pied plusieurs autres films un peu mieux financés. "Avec Julien, on a quatre films un peu dans la même veine qui sont dans les starting-blocks. Si Night Fare fonctionne, on pourra aller voir les guichets de financement sélectifs en leur disant : "voilà ce qu'on peut faire sans vous. Imaginez ce qu'on peut faire avec vous." On ne cherche pas à avoir des budgets démentiels, juste des budgets raisonnables, qui correspondent à ce qu'on voit à l'écran".
A l'instar de Goal of the Dead et de son pari fou du refus de la salle, Night Fare fait donc partie de ces quelques projets en France qui, à leur échelle, tentent des choses. Des films tenus à bout de bras par des passionnés à la foi inébranlable, qui n'hésitent pas à mettre la main à la poche et les pieds dans la boue pour donner vie à leurs ambitions. Et ce n'est pas un hasard si l'on retrouve Julien Seri attaché à ce genre de démarche. "Sur Scorpion, à 9 jours du début du tournage, il manquait 300.000 euros. Aucun producteur ne voulait rajouter de l'argent au pot, la banque ne voulait pas nous accorder un crédit supplémentaire, donc j'ai décidé de m'asseoir sur mon salaire de réalisateur pour que le film se fasse. Je m'étais juré de ne plus jamais faire ça, car j'ai failli mettre ma famille à la rue. Mais 8 ans après Scorpion, c'est la première fois où je me dis que ça vaut le coup et qu'il faut y aller. J'ai besoin de faire ce film. En tant que réalisateur, mais surtout en tant qu'homme".