Alan Ball : "Here and Now n'aurait jamais pu exister sans Six Feet Under" interview
Le 11/02/2018 à 00:24Par Olivier Portnoi
FilmsActu s'est rendu à Los Angeles à la rencontre du créateur de Six Feet Under et de True Blood (également scénariste oscarisé pour American Beauty et producteur de Banshee). L'américain de 60 ans était accompagné par le producteur Peter Macdissi, acteur dans la série et par ailleurs son partenaire dans la vie.
Quelque part entre un This Is Us saupoudré de fantastique et un Six Feet Under 2.0, Here and Now nous plonge dans le quotidien d'une famille multiéthnique. Intellectuels reconnus dans la très écolo Portland, Greg (Tim Robbins) et Audrey (Holly Hunter) ont quatre enfants dont trois sont adoptés et originaires de continents différents. Mais les Bayer-Boatwright ne manquent pas de névroses.
Alan Ball s'intéresse à leurs crises existencielles et identitaires tandis que Greg,le père de la famille, atteint les 60 ans et que le jeune Ramon (Daniel Zovatto) est sujet à des apparitions mystiques qui le questionnent sur sa santé mentale.
A travers Here and Now et la mise en scène de cette famille dysfonctionnelle (excellemment interprétée), Alan Ball s'interroge sur ses propres angoisses et sur l'identité de l'Amérique tel qu'on la connait aujourd'hui et son rapport au racisme, sexisme, homophobie, transphobie...
Après avoir été un des créateurs les plus emblématiques du renouveau de la série au début des années 2000, Alan Ball parviendra-t-il à marquer à nouveau au fer rouge la fin des années 2010 ? On a envie d'y croire.
Devant la caméra, Tim Robbins, Holly Hunter mais aussi les plus jeunes Sosie Bacon (la fille de Kevin Bacon vue dans Thirteen Reasons Why), Daniel Zovatto (Don't Breathe, It Follows), Jerrika Hinton (Grey's Anatomy) et Raymond Lee (Mozart in the Jungle).
(Alan Ball à l'avant-première de Here and Now à Los Angeles)
"J’ai écrit plusieurs films au cours de ces dernières années que personne n’a voulu produire parce qu’ils ne concernent pas les super-héros".
Comment passe-t-on de vampires romantico trash dans le fin fond de la Louisiane à une famille multiethnique à Portland ?
Alan Ball : J’ai travaillé sur plusieurs pilotes de série que HBO n’a pas validé. J’ai aussi écrit plusieurs films au cours de ces dernières années que personne n’a voulu produire parce qu’ils ne concernent pas les super-héros. Je suis quelqu’un qui travaille constamment. Quand j'ai appris qu’HBO recherchait un drame familial, je me suis mis à en écrire un. Mais je ne voulais pas d’une série de plus sur une famille en proie aux soucis qu’ont toutes les familles. Une famille multiethnique rendait les choses plus intéressantes pour moi en tant que scénariste. L’élément mystique est arrivé sans que j’y réfléchisse vraiment.
L’élection de Donald Trump a-t-elle eu un impact sur le scénario ?
Alan Ball : Le pilote a été écrit avant les élections. Je travaillais déjà avec les scénaristes de notre équipe quand Donald Trump a été élu. Je me souviens être arrivé à notre séance de travail après l’élection, c’était le 9 novembre, et les gens étaient désespérés. Certains pleuraient. On n'y croyait pas. On a bu une bouteille de rhum puis je leur ai dit qu’il fallait utiliser ce moment. C’était l’occasion de regarder ce qu’il se passait vraiment en Amérique, sans pour autant pointer du doigt la Maison Blanche. La série n’allait pas être diffusée avant une année et on ne savait pas ce qu’il allait se passer, s’il serait toujours à la présidence. C’était plus une opportunité de parler de la montée du racisme, d’évoquer les marches de nazis aux Etats-Unis, de regarder tout cela avec les yeux de nos personnages. Mais cette élection n’a pas changé drastiquement la série.
Peter Macdissi : L’élection de Trump a rendu tout le monde plus conscient et a sensibilisé les gens à ce qu’il se passait aux Etats-Unis. Mais avec ou sans Trump, la série aurait été globalement la même. Elle n’est pas politique. C’est une série sur les gens qui viennent de différentes minorités ethniques. Elle analyse leur expérience en Amérique aujourd’hui.
(Tim Robbins & Holly Hunter)
"Il existe des énergies autour de nous que l’on ne perçoit pas forcément car on a été conditionné à ne pas les ressentir."
Alan, à l’instar de Greg (Tim Robbins), vous venez d’avoir 60 ans. Avez-vous vécu cette étape de manière aussi difficile que lui ?
Alan Ball : Vieillir est difficile. En vieillissant tu te rends compte que ton corps n’est plus aussi opérationnel qu’avant. C’est difficile de se demander, « comment d’années me reste t-il ? ». Je me trompe peut-être mais j’ai le sentiment que c’est un âge plus difficile pour les hommes que pour les femmes. Les femmes ont toujours été plus en phase avec leurs sentiments, avec le cycle de la vie tandis que les hommes sont conditionnés à croire qu’ils sont invincibles et qu’ils seront à jamais jeunes. Et nous sommes assez cons pour le croire (rires). J’ai dû avoir près de cinq midlife crises dans ma vie. Ma première a été à 35 ans. J’ai connu l’anxiété et la dépression toute ma vie. Effectivement, il y a beaucoup de moi en Greg.
Toutes vos séries ont une touche de surnaturel. Qu’est ce qui vous attire dans cet aspect ?
Alan Ball : Dans ce cas, ce n’est pas du surnaturel comparé à d’autres de mes projets. C’est plus du mysticisme. Quand Ramon (Daniel Zovatto) voit des bougies avancer vers lui en formant les chiffres 11:11, il n’y a que lui qui les perçoit. Si tout le monde avait vu ce phénomène, cela aurait été paranormal. Vu que c’est uniquement lui, cela relève plus du domaine mystique. Je crois qu’il existe des énergies autour de nous que l’on ne perçoit pas forcément car on a été conditionné à ne pas les ressentir. Il y a plus à la vie que le monde matérialiste. Ramon le sent. Je n’en dirai pas plus.
Peter Macdissi : Mais cet élément mystique est un symbole de connectivité. Il nous dit que nous sommes connectés, que nous ne faisons tous qu’un malgré nos origines différentes. C’est le coeur de la série.
(Peter Macdissi dans Here and Now)
En quoi consiste votre collaboration sur cette série ?
Alan Ball : Ce que l’on aime dans notre travail commun, c’est que l’on se motive et que l’on se pousse à se remettre en question. L’expérience de Peter se confronte à la mienne et me force à ouvrir les yeux sur d’autres choses. L’inverse est aussi vraie. Par exemple, quand j’ai écrit le pilote, le personnage de Peter était arménien. Il lui m’a convaincu qu’il devait être musulman.
Peter Macdissi : Comment parler de l’Amérique sans évoquer la présence des musulmans. Combien de milliards de musulmans y a t-il dans le monde ? Je ne suis pas musulman mais je me disais qu’il fallait que l’on aborde le sujet dans une série incluant d’autres origines ethniques comme les latino, les blacks, les asiatiques. C’était logique.
D’ailleurs Peter, votre fils dans la série est un jeune musulman transgenre qui porte le voile.
Peter Macdissi : Navid (Marwan Salama) est inspiré par quelqu’un que je connais qui est musulman et qui est « genderfluid » (qui ne s’identifie ni au genre masculin ou féminin, mais quelque part entre les deux. Le genre étant fluide peut varier chez une même personne). Navid n’est pas le produit de notre imagination. Ce genre de personne existe. Les musulmans ne sont pas différents de nous. Ils ont leurs propres névroses et leurs fantasmes comme chacun d’entre nous. Sauf que c’est plus difficile pour eux quand ils sont gays ou transgenres. Navid est musulman et veut porter le hijab. C’est très provocant. Particulièrement aux Etats-Unis.
(Navid (Marwan Salama) )
"Conclure une série est très très difficile."
Peter, être à la fois producteur et acteur est-il compliqué ?
Peter Macdissi : C’est énormément de boulot. C’est même atrocement douloureux. En tant que producteur, je dois être au fait de tout et capable de résoudre les problèmes. Avec ce double job, je me rends compte que les acteurs ont quand même la vie facile.
Quand vous démarrez une série, pensez-vous à la fin ? Savoir quand et comment conclure une série n’est-il la chose la plus difficile pour un showrunner ?
Alan Ball : Conclure une série est très très difficile. Mais je n’y pense jamais en la démarrant. Au début, surtout quand on écrit un pilote, mon objectif est d’ouvrir le plus de portes possibles. Pour le déroulement de la série, je fais ensuite appel à d’autres scénaristes qui m’aident à réfléchir sur les endroits où elle va nous emmener.
Peter Macdissi : La fin vient à toi à un moment donné. Si ta série est solide, la fin arrivera naturellement. Par contre, si tu te forces à la trouver, elle peut être capricieuse et ne pas se dévoiler. Il ne faut pas forcer le rythme mais laisser la fin s’imposer par elle-même. Et là, tu seras surpris. Un peu comme dans la vie en générale.
Comment cela se passe-t-il dans la writer’s room ? Pouvez-vous nous expliquer ?
Peter Macdissi : Pour cette série au vu des thèmes, on a tenu à avoir des scénaristes d’origines très diverses. Afin de coller aux personnages dans le plus grand réalisme possible, on a un scénariste musulman, un scénariste palestinien, deux afro américains, un asiatique, et un scénariste blanc, Alan.
Alan Ball : Mais je suis gay. Donc un blanc gay. Et il y a deux autres scénaristes gays. Il y a aussi une femme de plus de 60 ans. Ce sont tous des minorités. C’était important de trouver des gens qui puissent apporter leur expérience de la vie et qui soient une voix pour certains personnages Mais ces scénaristes ont été avant tout choisis par ce qu’ils nous ont fourni les meilleurs scripts que l’on a pu lire.
Peter Macdissi : Sur plus d’une centaine oui. Concernant les réalisateurs, il y a beaucoup de femmes. On a trois réalisatrices. HBO insiste à promouvoir la diversité. Ce qui est positif mais qui peut être difficile aussi.
Peter, pourquoi dites-vous que cette diversité est parfois difficile ?
Peter Macdissi : Parce que l’on t’impose parfois quelqu’un issu d’une minorité mais qui ne sera peut-être pas assez doué pour être embauché. Ou qui ne correspond pas à ce qui est attendu. Heureusement HBO ne t’impose pas cette diversité, mais l’encourage.
Alan Ball : Il est important que chaque personne participant à Here and Now comprenne la série, ait sa propre voix. Ce n’est pas tout le temps le cas dans les séries.
(Daniel Zovatto est Ramon)
"Six Feet Under est arrivée à un moment où la télévision était en pleine mutation. Les Soprano a été le vrai déclencheur de cette transformation."
Cette série parle de tolérance. Y a t-il une volonté de changer les choses ?
Alan Ball : Je ne pense pas qu’une seule série puisse transformer la planète. Mais la base de Here and Now était de raconter une histoire qui divertie, qui soit intéressante et qui si possible pose des questions chez les spectateurs. J’aimerais que l’on puisse transformer le monde aussi facilement. Malheureusement, ce n’est pas le cas.
Vous avez quand même transformé le concept de série avec Six Feet Under ?
Alan Ball : Six Feet Under est arrivée à un moment où la télévision était en pleine mutation. Les Soprano a été le vrai déclencheur de cette transformation. Cette série m’a montré personnellement que la télévision pouvait être autre chose que ce que l’on imaginait. Faire parti de ce que l’on appelle l’âge d’or de la série est très excitant mais je peux pas prendre le crédit de ce changement. Six Feet Under était un travail collectif. Ce n’était pas que moi. On avait une équipe incroyable de scénaristes et un super casting. Par contre, je ne nie pas que la série ait pu avoir un impact chez les spectateurs. Qu’ils se soient dits, la télé c’est ça ? Travailler à la télé depuis quelques années est vraiment génial. Sans Six Feet Under, il n’y aurait pas eu de Here and Now.
Qu’attendez-vous de vos acteurs ?
Alan Ball : Ce que j’aime le plus, c’est quand un acteur vient auditionner et qu’il me surprend. Qu’il parvienne à rendre le personnage encore plus intéressant que je ne l’imaginais. Je veux des acteurs qui sachent jouer leurs scènes et faire vivre leur personnage. Souvent, je suis attiré par ceux qui ont de l’expérience au théâtre mais j’essaie de rester ouvert.
Suivez-vous leur carrière une fois votre collaboration achevée ?
Alan Ball : J’essaie de me tenir au courant. Ce n’est pas facile quand tu es aussi occupé que je peux l’être. Mais c’est agréable de les voir réussir ailleurs.
(Sosie Bacon et Jerrika Hinton)
"Je suis un nerd absolu de Game Of Thrones."
De quel personnage de Here and Now vous sentez vous le plus proche ?
Alan Ball : Je pourrais répondre Greg qui a mon âge, 60 ans, et qui partage certaines de mes angoisses mais je dirais Ramon. J’ai toujours cru qu’il y avait plus à la vie terrestre que ce que nous percevons, qu’il existe d’autres réalités autour de nous. Ramon les perçoit et croit qu’il est fou. Ce que j’ai eu peur d’être pendant longtemps.
Quelles sont les séries que vous aimez ?
Alan Ball : Je regarde actuellement une série allemande qui s’appelle Babylon Berlin que j’adore. Je regarde beaucoup de séries étrangères, ce qui veut dire non américaines pour moi (rires). J’ai bien aimé Dark, une autre série allemande. En ce qui concerne les séries américaines, je suis un nerd absolu de Game Of Thrones. Je suis un vrai fanatique. J’aime bien aussi Insecure sur HBO.
Peter Macdissi : J’aime beaucoup de séries. Berlin Station, Dix pour cent, une série française que je regarde sur Netflix… Il y en a tellement.
Une saison 2 de Here and Now est-elle déjà en réflexion ?
Peter Macdissi : Oui. On travaille avec les scénaristes depuis quelques semaines. On planche sur des histoires. Cette saison 2 sera très différente de la première. Elle ira dans des directions vraiment inattendues.
Pour finir, avez-vous quelques mots concernant Nelsan Ellis qui interprétait Lafayette dans True Blood (l'acteur est mort en juillet 2017 à 39 ans d'une crise cardiaque).
Alan Ball : Sa mort a été une vraie surprise. On a tous été profondément choqués par cette disparition. Cela a été une vraie tragédie et une grande perte.
Peter Macdissi : Ce genre de mort brutale est toujours suréaliste. On a encore du mal à y croire. C'était un acteur vraiment doué et drôle.