Preview ! Watchmen : les gardiens

Depuis le 18 Juin, date à laquelle fût dévoilée sa toute première bande-annonce, l'adaptation de Watchmen par Zack Snyder aura fait couler énormément d'encre. En l'espace de trois mois, journalistes, blogeurs, forumeurs et cinéphiles du monde entier se seront acharné à débattre sur ce qu'allait être la transposition sur grand écran du roman graphique d'Alan Moore, tirant nombre d'hypothèses et presqu'autant de conclusions à partir de la poignée d'images montrées dans les teasers. D'un côté les pros, qui s'étaient déjà allé à prendre leur pied devant 300, de l'autre les antis, qui ne pouvaient pas supporter les tics de réalisation de Snyder, au milieu les sceptiques ainsi que tous ceux qui ne savaient pas vraiment ce qu'était réellement les Watchmen et qui pensaient voir là une version vieillotte et des Vengeurs de Marvel. Funeste erreur... Face à ce débat forcément inévitable qui perdurera encore plusieurs années - ou du moins jusqu'à l'hypothétique prochain massacre de franchise par la Fox et/ou Brett Ratner, qui permettra à tous les fans boys du monde entier de se trouver un Sauron contre lequel s'unir - Snyder se devait de rassurer.

Ce Jeudi, à l'occasion d'un roadshow promotionnel du distributeur Paramount (qui parcourt l'Europe avec quelques bobines sous les bras, dont celle de Star Trek), nous avons pu découvrir 27 minutes de Watchmen. Trois séquences minutieusement choisies par l'équipe marketing, présentées par le réalisateur en personne, venu les montrer à un parterre de journalistes, histoire de donner des réponses aux quelques questions qui nos taraudent depuis plusieurs semaines. Que faut-il attendre du film ? Snyder arrivera-t-il à séduire ses détracteurs ? L'histoire d'Alan Moore sera-t-elle fidèlement respectée ? Quelques éléments de réponses. Attention, une fois encore, les lignes ci-dessous peuvent éventuellement contenir quelques spoilers pour qui ne connaitrait pas le roman graphique.

Trois séquences nous auront été présentées donc. La première, bien évidemment, est la séquence d'ouverture. On y voit Edward Blake se battre contre un agresseur masqué qui finira par prendre le dessus avant de le balancer par sa fenêtre, comme l'illustre le poster ci-dessus. Séquence clé du comicbook, elle sera suivie dans le film par le générique de début, sorte de succession d'instantanés de la vie et de l'histoire des super-héros des années 50 aux années 80, date à laquelle se déroule le film. Un petit condensé du background de l'histoire donc, monté sur The Time There is a Changin' de Bob Dylan, qui vient nous présenter de manière succincte le décorum du film.

La seconde scène qui nous a été projetée est celle, particulièrement connue, de la naissance de Doc Manhattan (pour les puristes, le chapitre 5 du livre, intitulé l'Horloger) et de la création de sa citadelle sur Mars. La dernière enfin est celle plus musclée du sauvetage de prison de Rorschach par Le Hibou et Miss Jupiter, au milieu d'une émeute de détenus. Trois scènes assez symboliques, qui nous ont permis de nous faire une idée plus précise de ce à quoi nous pourrions nous attendre en mars prochain et qui confirme peu ou prou ce dont on se doutait déjà un peu il y a trois mois, lorsque nous avions fait un comparatif de la première bande annonce avec le matériel de base.

Pour commencer, abordons un point sensible. Autant être clair : ceux qui avaient été rebutés par la mise en scène ultra poseuse et très (trop ?) graphique de Snyder dans son adaptation de 300 pourront continuer à cracher leur venin puisque l'on retrouve ici la même mise en image, les mêmes compositions "anti-cinématographiques" et les mêmes effets de style qui avaient tant divisé les foules il y a deux ans. Accélérés-ralentis, travellings interminables et cadres improbables sont toujours au programme, avec cependant la différence notable que les décors autours des comédiens sont cette fois-ci réels et non pas incrustés par ordinateur. Bref, les allergiques au graphisme new-age hérité du travail de Rodriguez sur Sin City ne se rabibocheront pas avec Snyder, loin de là. Mais ils ne pourront pas non plus dire qu'ils n'auront pas été prévenus ! La séquence de la prison en est en exemple assez frappant puisque Snyder nous y ressort quelques plans déjà présents dans 300, en particulier son fameux travelling latéral au ralenti façon Old Boy qui nous permet d'apprécier les enchainements martiaux du Hibou et de Miss Jupiter qui s'en donnent à cœur joie pour casser du prisonnier. Deux cases dans la BD (chapitre 8, page 248) étirées ici sur une grosse minute, ce qui nous amène à penser que Snyder a ouvertement musclé son film, en y ajoutant une dose d'action pour le rendre plus bankable. On pourra lui en faire le reproche, certes, mais en y regardant bien, difficile de le blâmer pour autant, puisqu'on l'imagine mal faire un film à plusieurs dizaines de millions de dollars, produit par un gros studio et destiné à être un des blockbusters de 2009, sans y mettre quelques moneyshot bourrins pour satisfaire le chaland qui avait applaudit Iron Man. Alors oui, l'oeuvre de Moore n'est pas franchement similaire à celle de Stan Lee. Mais en l'état, les fans de Watchmen sont bien moins nombreux que ceux de Marvel ou DC et pour que le film soit un minimum rentable, certains choix devaient être faits. Rajouter de l'action là où il n'y en avait pas en est un.

Pour autant, s'il y a bien un point sur lequel Snyder nous a rassurés, c'est bien sur celui du scénario. Fidèle dans sa trame (le réalisateur avoue s'être battu pour que le film se déroule dans les 80 en non de nos jours comme le désiraient les producteurs), l'histoire du film devrait respecter plutôt scrupuleusement le récit de Dave Gibbons, scénariste du graphic novel associé au projet (également présent ce Jeudi). Si au regard de la bande annonce on pouvait par exemple craindre d'une trahison du personnage du Hibou, transformé en ersatz de Batman, Snyder a été clair : "c'est un homme qui a besoin de son costume pour bander !". On attend la preuve en image, mais au moins, le réalisateur semble avoir compris la psychologie des personnages et la thématique globale de l'histoire, révélant même à demi-mot que la fin si dérangeante de la BD serait la même dans le film. Un excès d'amour vis-à-vis du matériel de base diront certains, un manque de prise de risque dans l'écriture, une facilité, un manque de recul de la part d'un fan aussi. Certes. On pourra rétorquer que quitte à tomber dans un excès, celui-ci nous semble moins gênant que son opposé qui consiste à se réapproprier une histoire quitte à lui faire perdre de sa moelle, comme ce fût le cas de V pour Vendetta, tellement charcuté à l'écriture par les frères Wachowski qu'Alan Moore déclara en parlant du scénario "c'est la chose la plus débile que j'ai jamais lu...".

Bémol en revanche, à l'instar de Sin City et 300 et pour ceux qui connaissent le comic sur le bout des ongles, le film risque de se révéler sans surprises. N'est définitivement pas Peter Jackson qui veut et l'adaptation de Watchmen semble donc avoir été conçu avant tout pour les fans du livre (d'ailleurs, certains confrères qui ne connaissaient pas le BD semblaient complètement largués en voyant les images), légèrement passé à la moulinette du studio pour le rendre un chouia plus attractif auprès des néophytes (tout le contraire de V donc, et aussi de LXG). Pour preuve en est la durée du film (environ 2h45 dans sa version salle, plus de 3h05 dans sa director's cut) qui nous rassure quant à son contenu, forcément exhaustif par rapport au comic-book. Si l'histoire avait été massacrée, on aurait certainement eu droit à quelque chose de beaucoup plus court et tout le monde aurait été perdant dans l'histoire, que ce soit les aficionados qui se seraient senti trahis, ou les newbies qui seraient forcément passé à côté de ce qui fait tout l'intérêt de Watchmen.

C'est d'ailleurs une des grosses problématiques que soulève une adaptation telle que celle-ci. Au jour d'aujourd'hui, difficile de se faire une idée précise de la manière dont le film sera accueilli par le public. Si les fans seront forcément divisés, quelque soit la ganache du produit fini, difficile de prévoir la réaction de ceux, bien plus nombreux, qui ne savent rien du roman de base. Spiderman, Batman, Superman, Hulk sont des noms et des univers qui parlent à tous le monde et dont les portées morales ne prêtent rarement à polémique. Pas Watchmen. Plus complexe, plus sombre, plus déviant, la BD de Moore n'est pas un produit de grande consommation. C'est une œuvre délicate qui peut très vite être mal interprétée dès lors qu'elle n'est pas décryptée de manière limpide. Hélas, vu comment certains tombèrent sur 300, allant jusqu'à qualifier le film de fasciste et Zack Snyder d'homophobe, on peut craindre que le final apocalyptique de Watchmen en laisse plus d'un circonspect. Le réalisateur de l'Armée des Morts arrivera-t-il à insuffler toutes les subtilités nécessaires pour éviter de rendre son film ambigu ? Là est peut-être la plus grande interrogation, qui reste encore aujourd'hui en suspens et à laquelle il nous tarde de répondre.

Watchmen sortira au cinéma le 18 Mars 2009.