Univers du giallo ou non, il est parfois inutile de remuer le couteau dans la plaie et, le master de Suspiria étant ce qu'il est, nous ne nous focaliserons ici que sur l'apport plus qu'évident de la Haute Définition au graphisme particulier du film de Dario Argento que sur sa restauration colorimétrique que nous avions abordée il y a 3 ans dans notre test du DVD Suspiria Collector. Dans les faits, comme ce Master HD avait été mis en place pour les retouches de l'époque, c'est exactement le même que nous retrouvons ici, avec son gonflage de la luminosité, ses brûlures de blancs et la saturation des couleurs qui va avec (fatale sur les teintes vives) - nous campons toujours sur notre position sur cet aspect. La relecture artistique n'est pas toujours de bon goût (le chien rouge est fidèle au poste) mais parvient à tirer un peu son épingle du jeu sur un point tout bête : c'est un Blu-Ray ! Autrement dit, les récents délires de Luciano Tovoli autorisés par l'étalonnage numérique surmontent sans problème l'encodage AVC là où le Mpeg2 du DVD s'écrabouillait sous des bavures rougeâtres à n'en plus finir.
Ici les couleurs sont plus rangées, plus contrastées, arrivent à se marier les unes avec les autres et bénéficient de dégradés un peu plus heureux qui marquent un fossé après la précédente copie standard. Même si, comme toute copie Haute Définition, elle met plus que jamais en exergue ses aberrations. On apprécie d'autant plus la gestion des teintes bleutées qui, même si elles soutiennent une certaine pénombre, se montrent riches en détails sans sombrer dans le bruit vidéo intempestif. Pour le reste, Haute Définition oblige, la remasterisation est effectivement évidente sur la finesse des traits, d'un piqué parfois inouï (et parfois moins, l'anamorphose ayant pénalisé quelques plans) qui confirme la promesse de rafraichissement tant revendiquée en 2007 à la sortie du DVD, et qui n'avait jamais été tenue jusqu'à aujourd'hui. La bonne nouvelle, c'est que Suspiria ressemble donc enfin aux photos très avantageuses que Wild Side proposait à la presse à l'époque pour illustrer ses articles (et que nous avions refusé d'utiliser, puisqu'elles ne reflétaient pas la réalité du DVD). Toute réserve artistique mise à part, nous sommes effectivement en présence d'un Blu-Ray de qualité.
Retrouvez nos captures Blu-Ray en Full HD (1080p) :
Là où le DVD ne prêtait pas à polémique, c'était sur sa gestion sonore, d'une très grande habilité dans son remixage en 5.1 (uniquement sur la version italienne) et qui profite ici des atouts du DTS HD Master Audio pour se payer une ampleur supplémentaire loin d'être négligeable. Reposant sur un environnement sonore qui jongle entre le strident et le lourd, amplifié par une excellente bande originale des Goblins dont la musique prend parfois des aspects d'effets sonores, le film bénéficie des atouts des canaux HD, plus épurés, plus précis, suscitant un relief presque envoûtant. Plus que recommandable également, la version italienne DTS HD 2.0 nous renvoie au mixage d'origine. Pensé en stéréo, Suspiria est enfin disponible dans son aspect sonore le plus pur, tel qu'il était diffusé en salles dans les salles les mieux équipées dans la fin des années 70. Une piste stéréo qui explique le confort d'écoute suscité par le 5.1, mais de manière plus fouillée ici.
Il y a beaucoup de bonnes choses à retenir dans l'interactivité de cette nouvelle édition de Suspiria, en particulier les propos de Dario Argento en personne et son directeur photo Luciano Tovoli qui, non contents de s'exprimer dans un très bon français, prêtent une grande richesse d'information à tout fan du film. Les autres intervenants, bien que présents au point d'offrir une certaine surcharge, sont accompagnés de sous-titres français. Alors quid du très bon Making of de 52 minutes (sous-titré anglais la plupart du temps) proposé, une fois encore, sur l'édition Anchor Bay ? Il répond aux abonnés absents, purement et simplement, nous faisant donc perdre en cours de route les récentes interventions de Jessica Harper, Udo Kier et autres comédiens qui s'étaient prêtés à l'exercice avec fantaisie, non sans propos fascinants et totalement oubliés sur le DVD français. Tout comme le fait que le film ait été tourné et re-postsynchronisé dans plusieurs langues.
Interviews de Dario Argento
Les fans seront contents de découvrir non pas une, mais bien deux interviews du cinéaste. La première est issue de l'édition spéciale italienne. On notera d'ailleurs avec amusement que le film "projeté" derrière lui via un effet spécial n'est pas tiré du master recoloré proposé sur ce DVD français, mais qu'il s'agit d'une copie bien plus fidèle à la version originale. D'une durée de 21min18, cette interview permet de remplacer un potentiel commentaire audio puisque Argento trouve le moyen de décortiquer dans ses grandes lignes la conception du film sur le plan technique, celui de la direction d'acteur, du tournage de certains plans complexes, du maquillage, du montage ainsi que de la carrière du film en Italie comme à l'étranger. Bien évidemment, 21 minutes, c'est un peu maigre compte tenu de tout ce que le bonhomme peut avoir d'intéressant à dire, et c'est pour cela que l'interview française (26min52) complète le propos en s'éloignant un peu de la conception pour verser dans quelque chose de plus thématique. De plus abstrait. S'exprimant dans un français impeccable, Argento parle ici de ses motivations, de ses inspirations, compare un peu son travail avec celui de Bava avant de fort logiquement remettre en avant l'importance du public français dans le succès du film. Dommage que le sujet serve de prétexte, lors des dernières secondes, pour que l'on s'égare une fois encore dans autosatisfaction sur ce fameux travail de restauration qui, comme évoqué plus haut, n'est finalement pas à la hauteur...
Entretien avec Luciano Tovoli (24min27) :
Voilà sans nul doute la plus intéressante interview du lot "hors Argento" puisqu'elle complète aisément les explications techniques poussées offertes par le réalisateur. Ici, c'est le directeur de la photographie qui prend la parole et, comme on l'imagine en regardant le film, il a énormément de choses à raconter. S'exprimant lui aussi avec facilité en français, il déballe avec passion et sur la base de souvenirs précis la façon dont a été conçu l'esthétique si particulière du film. Eclairage, couleurs, et étalonnage de fortune sont donc au cœur du propos, non sans humour puisque le bonhomme se laisse visiblement emporter par sa fougue d'époque, laquelle se voit nourrie par quelques anecdotes insoupçonnées. Entre autres, celle voulant que les deux hommes avaient décidé de carrément mettre le feu au décor tellement ils étaient inspirés... Une jolie leçon.
Argento Connection (25min12) :
Comme toute industrie en Italie, le cinéma serait une affaire de famille... S'il n'y a rien de réellement fondamental là-dedans, il faut bien reconnaître que le clan Argento a su marier ces deux univers jusqu'à totalement les confondre. En suivant chronologiquement l'histoire du cinéaste et des siens, ce recueil d'interviews (pour la plupart, les intervenants des autres bonus) détaille donc l'évolution du réalisateur. Qu'il s'agisse de son père, de son frère (producteurs), de sa compagne d'époque Daria Nicolodi (actrice et scénariste) jusqu'à sa famille qu'on ne présente plus, tous ont eu une place importante dans la construction de sa carrière purement professionnelle. Un documentaire enrichissant pour qui ne s'était pas forcément intéressé à cette famille jusqu'à présent...
Dans les profondeurs de Suspiria (12min40) :
Nous évoquions Daria Nicolodi un peu plus haut, et c'est à elle que l'on donne ici la parole. Partant d'un postulat intéressant, à savoir dévoiler les "véritables" origines de Suspiria, racontées par la grand-mère de la comédienne lorsque cette dernière était petite, le module souffre d'un rythme inégal. Quelques coupes auraient été les bienvenues d'autant plus que sur le plan sonore, les conditions d'enregistrement sont simplement désastreuses. Pour une édition voulue et surtout vendue comme collector, un micro n'aurait pas été un luxe !
Entretien avec Claudio Simonetti (26min49) :
L'ancien membre du groupe Goblin, célèbre pour ses partitions des Frissons de l'angoisse et Zombie, analyse également à sa façon comment Suspiria a pris forme musicalement parlant, après avoir raconté ses premiers contacts avec Dario Argento. Après le travail de photographie, la bande son est assurément l'autre élément clé du film qui aura également bénéficié d'une créativité toute neuve, généralement en avance sur la technologie de l'époque. C'est avec amusement que l'on y découvre quelques astuces techniques pour jouer avec les sons, loin des facilités de l'ère numérique...
Entretien avec Davide Bassan (13min56) :
L'assistant (et fils) du chef décorateur joue lui aussi au jeu des questions et réponses sur les secrets de fabrication d'une atmosphère particulièrement atypique. Comme souhaité, il nous y développe la conception ou la modification de certaines éléments clés (la façade du bâtiment, par exemple, était en fait celle d'une banque) et autres accessoires pour répondre aux demandes précises du réalisateur. Il analyse également l'aspect général du gigantesque endroit, qu'il considère comme un lieu aussi organique qu'un corps humain.
Argento vu par... (26min41) :
Voilà un bonus encore plus français que les autres puisque comme l'indique le titre, il permet à des aficionados célèbres de s'exprimer sur le cinéaste. Pascal Laugier (réalisateur de Saint-Ange, Martyrs), Alain Schlokoff (L'écran Fantastique) et Jean Baptiste Thoret analysent donc la carrière du réalisateur et l'impact que ce dernier a eu sur leur propre travail. Il a en effet inspiré le style cinématographique du premier, s'est déplacé pour un festival organisé par le second et aura été l'objet d'un livre pour le dernier. En tout cas, en bons connaisseurs, les intervenants ne seront pas avares d'anecdotes. Il décortiquent les emprunts au cinéma de Bava, aux contes de fées et autres œuvres picturales, avant de se pencher sur la volonté de renouveler le genre, visuellement parlant. Seront également évoqués la projection du film au Grand Rex, son accueil divisé puisque le film était parfois considéré comme putassier et vulgaire (un journaliste de Télérama a même conseillé à Argento d'arrêter le cinéma) et son statut quasi unique du film qu'il est possible de découvrir et d'analyser simultanément. En moins de trente minutes, tout ou presque est dit !
Mauvais genre / France Culture (74minutes38) :
Il va falloir s'armer de patience pour découvrir dans son intégralité ce bonus qui se présente sous la forme d'une longue pièce audio. Une émission de radio pour être plus précis. Une heure et quart que nous ne saurions que trop vous conseiller de re-découvrir en coupant votre téléviseur et en conservant uniquement votre ampli audio comme si vous écoutiez une émission en direct. Consacrée à l'œuvre de Claudio Simonetti pour concorder avec l'un de ses derniers concerts, l'émission s'ouvre comme une très longue interview du compositeur (aidé en direct par une traductrice), entrecoupée d'extraits musicaux mais également d'informations complémentaires analytiques apportées par Jean Baptiste Thoret, également présent lors de cet enregistrement.
Outre une bande annonce (pas celle du film, mais celle de la ressortie dans un nouveau master), quelques photos et filmographies, le dernier bonus vidéo de cette édition est un petit module sur la restauration du film (13min36). Démarche plus qu'encourageante en temps normal, mais qui devient soudainement sujette à discussion ici puisque le résultat, comme expliqué plus haut, relance le débat. Il est donc difficile de donner à 100% du crédit aux intervenants, vraisemblablement très contents du résultat final.