Transférer fidèlement sur disque les films de Hiroshi Teshigahara n'est pas facile tant le cinéaste japonais en soigne la partie formelle, s'entourant des mêmes collaborateurs de confiance pour être sûr d'obtenir exactement ce qu'il désire. Au cadre et au montage, on retrouve pour les trois long métrages du coffret respectivement Hiroshi Segawa et Fusako Shuzui.
La difficulté était donc de mise pour Carlotta qui s'en sort avec les honneurs, puisque chacun des films du coffret nous est présenté dans un transfert soigné à partir de master propres et sans tâche.
Plus précisèment sur La Femme des Sables, Carlotta s'en tire avec les honneurs, transférer puis compresser sur DVD un film se déroulant intégralement dans un milieu fait de sable n'étant pas tâche aisée. Tout comme les autres DVD de Teshigahara édité chez Carlotta, les noirs sont profonds, la définition est de mise, la compression saît se faire discrête. A tout point de vue Carlotta a effectué un travail de qualité.
C'est inévitable, l'édition de Carlotta sera comparée par les cinéphiles purs et durs avec l'édition de Criterion sortie il y a de ça quelques mois.
D'abord première constatation, l'éditeur français offre plus d'image sur le côté gauche que son homologue américain. Etrangement l'édition Carlotta possède deux bandes noires en haut et en bas de l'image, cette dernière perdant de ce fait un peu d'information. Les contrastes de l'image Criterion sont mieux respectés, et les détails plus apparent.
Attention, même si nous préférons l'image de l'édition Criterion, Carlotta n'a absolument pas à rougir de la comparaison !
Retrouvez ci-dessous la comparaison entre l'édition Criterion (en haut) et celle de Carlotta (en haut) :
Criterion : Haut - Carlotta : Bas
Criterion : Haut - Carlotta : Bas
Criterion : Haut - Carlotta : Bas
Criterion : Haut - Carlotta : Bas
Criterion : Haut - Carlotta : Bas
Criterion : Haut - Carlotta : Bas
Une seule piste audio nous est offerte, la piste Mono japonaise d'époque restaurée pour l'occasion. Aucun souffle à reprocher, la piste est propre, les voix sont laires. La musique de Toru Takemitsu, primordiale à la distillation de cette atmosphère sensuellement inquiétante, y prend toute son ampleur. Du très bon travail.
Le coffret dédié à La Femme des Sables contenant deux disques, Carlotta a pu caser une multitude de suppléments aussi intéressant les uns que les autres. Alors que le premier disque est entièrement composé de suppléments analytiques, dans lesquels différents intervenants reviennent sur l'oeuvre de Teshigahara et de Abe Kobo (auteur du roman dont s'inspire le film), le second disque est lui composé de petits films réalisés à la fin des années 50 début des années 60.
DVD 1 : Version Longue
Le premier supplément, Mère de Sable (23 min), est une analyse du film par le chroniqueur cinéma Olivier Bitoun. Si ce bonus s'avère intéressant sur de nombreux points, on regrettera tout de même la liberté extrapolative que se permet l'analyste.
Dans Les Métamorphoses de Abe Kobo, Julie Brock revient en vingt minutes sur l'écrivain et proche collaborateur de Hiroshi Teshigahara. La spécialiste d'Abe Kobo revient sur son oeuvre littéraire, théâtrale mais aussi cinématographique (le bonhomme ayant réalisé un moyen métrage intitulé Le petit éléphant est mort) tout en y soulignant pour chacune d'elles les éléments de critique sociale. Un supplément indispensable pour ceux qui aimeraient en savoir plus sur cet écrivain peu connu hors des frontières nippones.
Enfin dans L'Esprit d'avant-garde, le traducteur et spécialiste de la Nouvelle Vague japonaise Mathieu Capel revient sur la relation particulière qu'entretenait Hiroshi Teshigahara avec son père Sofu Teshigahara. C'est en effet grâce à ce dernier que le cinéaste a pu garder son indépendance et faire les films qu'il voulait faire sans la contrainte financière à laquelle ses collègues de la Nouvelle vague étaient soumis, son père ayant fait richesse en exerçant cet art floral qu'est l'ikebana. Mathieu Capel reviendra sur les études aux Beaux Arts de Tokyo du cinéaste pendant lesquelles il se familiarisera avec l'art japonais, et plus particulièrement l'oeuvre de Hokusai. C'est d'ailleurs sa fascination pour les estampes de ce dernier qui poussera Teshigahara fils à reprendre d'un autre un projet non terminé sur Hokusai. Les débuts aux côtés du cinéaste Fumio Takei sont aussi évoqués, de même que l'accord assez particulier conclu en 1962 entre Hiroshi Teshigahara et la Toho pour distribuer son premier film, Le Traquenard. Son film sera en effet distribué (chose inhabituelle) sur le circuit des films étrangers, procurant ainsi au film une certaine aura de film "différent". Enfin, Mathieu Capel rappelle que Hiroshi Teshigahara n'est revenu au cinéma (sans grand succès) que deux fois après avoir pris en 1980 la tête de l'école de son père.
DVD 2 : Version Cinéma
Tokyo 1958 est une oeuvre expérimentale réalisée collectivement entre neuf réalisateurs, dont entre autres Hiroshi Teshigahara, Susumu Hani, réalisateur de Nanami, First Love (Hatsukoi : Jigoku-hen, 1968) et Zenzo Matsuyama, co-scénariste de la trilogie La Condition Humaine de Masaki Kobayashi (Ningen no joken, 1959) et de quelques films de Mikio Naruse. Présenté au Festival International du Film Expérimental de Bruxelles, Tokyo 1958 avant pour intention de départ de dresser un portrait de l'archipel nippon tel qu'il était précisément en 1958. La mode féminine, l'art du kimono, la situation politique et spirituelle du pays, le phénomène de la musique pop nippone, la classe ouvrière, les folles nuits japonaises, tout y passe, le collectif voulant souligner la dualité de la capitale japonaise tiraillée entre "l'ancien et le neuf", "le conservatisme et le progressisme". La voix off de conclure : "Oui, Tokyo est bien vivante."
Ako est un segment du film à sketches de 1964 La Fleur de l'âge, consacré aux adolescentes des années 60 et au générique duquel on retrouve, aux côtés de Hiroshi Teshigahara, le Français Jean Rouch (segment Marie-France et Véronique), le Québécois Michel Brault (segment Geneviève) et l'Italien Gian Vittorio Baldi (segment Fiammetta). Unique court métrage de fiction du cinéaste, Ako suit le quotidien d'une ouvrière de 16 ans qui s'en va faire une virée avec ses amis pour voir la mer. Un postulat de départ simple que Teshigahara transcende par un travail unique sur le son, les images du film prenant clairement un sens grâce à celui-ci. Le cinéaste a d'ailleurs confié la lourde charge de la création sonore à Toru Takemitsu, qui compose ici une bande sonore constituée de collages d'extraits musicaux et de "bruits de la ville" se mélangeant et se superposant tout au long du métrage.
Dernier supplément du disque, Sculptures de Sofu-Vita, réalisé en 1963, est une sorte de documentaire expérimental de l'oeuvre sculpturale de Sofu Teshigahara. Le film commence par des images de l'installation des travaux du père de Hiroshi Teshigahara pour une exposition qui lui sera consacrée, tandis qu'en voix-off Teshigahara père commente son oeuvre. Ca c'est pour le côté documentaire du film. Passant d'un noir et blanc très contrasté à l'utilisation de couleurs criardes, et d'une mise en scène composée de prises de vues à l'épaule principalement en gros plans à une mise en scène plus rigoureuse, plus mathématique, Teshigahra fils présente les sculptures dans leur nouvel espace dénué de toute présence humaine. Le cinéaste cherche ensuite clairement à leur insuffler une vie propre à l'aide d'effets visuels et sonores radicaux, plongeant le film dans une abstraction absente jusqu'alors. Teshigahara fils reviendra tout de même à la dernière minute rappeler que tout commence par le regard de l'Homme, le cinéaste terminant son métrage par des images de son père en pleine création dans son atelier.
Carlotta a ajouté par la même occasion la bande annonce cinéma d'époque de La Femme des Sables sous-titrées en français du film que vous pouvez retrouver (sans sous titres) ci-dessous :