Restauration haut de gamme qui vaut bien la note maximale de trois étoiles au guide Michelin. A part quelques griffures verticales (9min38, au tiers de l'écran, ou à la 10ème minute du film), et autres zébrures, l'image de La Rue rouge a subi un sacré lifting ! Les noirs sont très profonds, la palette de gris très nuancée et les blancs très lumineux. En revanche, certains points blancs demeurent visibles notamment lors des fondus au noir. D'ailleurs, vous noterez le changement d'étalonnage au moment de chaque enchaînement de séquence où l'éclat a tendance à changer au cours du même plan. Il n'empêche que la copie est superbe, quel régal de découvrir ou de redécouvrir le film de Fritz Lang dans de pareilles conditions ! Les visages des acteurs sont également les principaux bénéficiaires de cette régénération. Pour résumer, en dehors de quelques scories récalcitrantes (points, petites déchirures et éraflures), Carlotta s'est démené pour offrir aux spectateurs la plus belle copie du film disponible à ce jour.
La Trivialité stylisée (26min52)
Carlotta parvient toujours à dénicher LE spécialiste du réalisateur qui saura parler comme nul autre du film. Il s'agit ici de Serge Chauvin, maître de conférences à Paris X qui nous propose non seulement de replacer La Rue rouge dans la carrière de Fritz Lang mais également de comparer la mise en scène du réalisateur allemand avec celle de Jean Renoir, metteur en scène du film La Chienne, sorti en France en 1931 et dont La Rue rouge en est le remake. Non seulement Fritz Lang adapte à nouveau le roman de Georges de La Fouchardière mais il effectue aussi une relecture de son précédent film, La Femme au portrait, dirigeant le même trio de comédiens Edward G. Robinson, Joan Bennett et Dan Duryea. Serge Chauvin compare les structures narratives des deux films de Fritz Lang ancrés dans l'expressionisme tout en les confrontant au naturalisme de Jean Renoir. La principale contradiction étant la noirceur et le fatalisme de La Rue rouge. Autres différences majeures entre La Rue rouge et La Chienne : le statut du personnage principal. Chez Renoir, Maurice est la risée de ses collègues tandis que chez Lang, Chris est un employé modeste et reconnu par ses collaborateurs pour ses bons et loyaux services.
Une autre partie de ce brillant exposé s'attarde sur la production du film, sa genèse et les problèmes rencontrés avec la censure américaine. On ne sera pas étonné d'apprendre que le titre La Chienne n'a pas été traduit littéralement pour son adaptation. La censure locale agit également, notamment dans l'Etat de New York où la ligue de vertu reproche à Fritz Lang les nombreuses scènes dans la chambre à coucher, les allusions à la prostitution, l'actrice trop souvent montrée en déshabillé et de multiples coups donnés au pic à glace.
La seule scène coupée par le cinéaste est une courte séquence montrant Chris Cross (Edward G. Robinson) grimpant au sommet d'un poteau téléphonique afin d'assister à l'exécution capitale de Johnny. Le réalisateur craignant que le public rie en voyant le comédien grimper en haut du pylône décidera de supprimer cette action dont il ne subsiste que quelques photos et un extrait dans la bande-annonce disponible sur ce DVD. Cette censure, plutôt que de discréditer le film, va au contraire l'aider du point de vue commercial et éveiller l'intérêt des critiques.
Serge Chauvin en vient ensuite au dénouement de La Rue rouge en évoquant la thématique récurrente du cinéma de Fritz Lang : le crime doit être puni. Là où chez Renoir le personnage principal survivait en oubliant quasiment tout son passé et en déclarant « la vie est belle », Chris Cross n'échappe pas à la justice des hommes et malgré ses crimes avoués, ne peut être enfermé littéralement mais tombe dans la folie, hanté jusqu'à la fin de ses jours.
Enfin, les relations des personnages sont disséquées tout comme les thèmes traités par le cinéaste avec le rapport de l'homme à l'art comme leitmotiv central. Fritz Lang traite en effet le personnage de Chris sérieusement en tant qu'artiste peintre. Le véritable drame qui se joue dans La Rue rouge est que Chris ne parvient jamais à s'imposer en tant qu'artiste bien que son art existe et soit reconnu. Dépossédé de sa femme, de la jeune femme qu'il convoitait et maintenant de son art qui lui servait d'échappatoire, il en vient à perdre la tête. L'art lui servait de projection idéalisée et en le perdant, il ne peut plus s'y réfugier et voit le monde tel qu'il est réellement. N'acceptant pas cette réalité, Chris perd la raison.
Inutile de dire que cette analyse perspicace s'impose sans difficulté après la projection du film.
La Restauration (3min09)
Réalisée à partir d'éléments nitrates conservés à la Bibliothèque du congrès américain, Carlotta nous propose de comparer une séquence de La Rue rouge avant et après restauration de l'image et de la piste sonore. Le master d'origine était déjà bien conservé et la restauration se remarque surtout au niveau des contrastes, de la luminosité et des scories donnant une meilleure homogénéité d'ensemble.
Bande-annonce (2min16, VF)
Proposée comme un supplément à part entière, cette bande-annonce française est d'une grande rareté car provenant d'un contretype sans trucage. Comme nous vous l'indiquions dans l'analyse du film par Serge Chauvin, un extrait de la séquence écartée au montage par Fritz Lang clôt ce trailer.