Cinéma 3D et projection numérique
Le 21/11/2007 à 08:59Par Yann Rutledge
On se souvient qu'au tournant des années 2000, George Lucas nous assurait mordicus qu'il n'allait sortir sa nouvelle trilogie de Star Wars que dans les cinémas équipés d'un projecteur numérique ; tant pis pour les récalcitrants qui voulaient rester avec leur vieux projecteur argentique, ils n'y auraient pas le droit. A l'époque, on se marrait doucement sous le manteau en pensant que Tonton George avait perdu la tête. Dix ans plus tard, il semblerait que sa vision prophétique devienne réalité (avec quelques années de retard tout de même).
En parallèle de ce portrait à l'écrit du cinéma numérique et du tour d'horizon des films prévus prochainement en 3D dans les salles, retrouvez ci-dessous un reportage vidéo réalisé par nos soins pour vous exposer le processus de fonctionnement de cette projection 3D :
D'après une étude de l'institut Dodona Research, à l'aube de 2013, la moitié des salles dans le monde seront équipées numériquement. Simple désir des exploitants de s'équiper d'un projecteur dernier cri parce qu'ils ne veulent plus de leur projecteur argentique ? Non. La raison est tout autre. L'industrie cinématographique américaine est depuis quelques années confrontée à de sérieux problèmes d'investissement d'une part, et de profit d'autre part.
En effet, les films américains font de moins en moins d'entrées en salles par rapport à précédemment et les majors, qui ont une confiance indéfectible en elles-mêmes et ne veulent pas remettre en question les films qu'elles produisent, se contentent de blâmer Internet et le P2P, causes de tous leurs maux. La solution pour tenter de régler le problème : sortir dès la première semaine leurs films sur un très grand nombre de copies pour ainsi créer un effet événementiel et occuper au mieux tout le paysage cinématographique. Le problème, c'est que cela a un coût : il faut tirer rien qu'aux Etats-Unis plus d'un millier de copies et les envoyer chacune aux exploitants des quatre coins du pays. George Lucas s'en est apperçu en annonçant la sortie de sa nouvelle trilogie des étoiles très demandée de la part des exploitants. Il a ainsi tenté de les inciter à s'équiper d'un matériel numérique, ce qui lui aurait permis de minimiser les coûts de duplication du film. Pas fous, les exploitants ne l'ont pas suivi.
Premièrement, l'investissement dans un nouveau matériel ne leur serait pas directement profitable (ils n'économiseraient ni à court ni à moyen terme), deuxièmement le spectateur/consommateur ne gagnerait rien. En effet, à l'inverse du passage du muet au parlant, du noir et blanc à la couleur, de l'invention du Cinemascope, du Dolby, du THX, ou de l'amélioration du confort même des fauteuils, qui ont tous été entrepris pour le simple plaisir du spectateur, le passage de l'argentique au numérique ne comporte aucun avantage notable aux yeux du public (nous parlons du spectateur lambda, pas du geek ou du technicien). En quoi la projection de Mon Beau-père & Moi serait-elle mieux en numérique ? C'est là que les majors rebondissent.
Changement de tactique. Les majors ont réalisé qu'il fallait apporter un plus aux spectateurs pour qu'ils acceptent et même désirent que leurs cinémas soient équipés d'un projecteur numérique. Ce plus, c'est la 3D. Tout comme l'a été l'invention du Cinemascope il y a 50 ans, la 3D est plus considérée par les majors comme un moyen de sauver le navire que comme un véritable atout artistique. Jusqu'à aujourd'hui, nous avons eu droit à plusieurs films d'animation 3D tels que, entre autres, Monster House, Bienvenue chez les Robinson, et même une ressortie en 3D d'un classique, L'Etrange Noël de Mr Jack, sans que ceux-ci n'utilisent la 3D comme un élément évident de la mise en scène. Le succès public est cependant au rendez-vous, et Hollywood, enivré, se met à lancer à la pelle des projets de films 3D. On se souvient de Jeffrey Katzenberg, patron de Dreamworks Animation, qui a promis qu'à partir de 2009 tous les films d'animation estampillés Dreamworks seraient conçus et distribués en 3D. On aurait même droit d'après lui pour l'année 2009 à "5, 6 ou 7 blockbusters entièrement en 3D", et en 2010 "ce nombre sera multiplié par 2 ou 3, pour atteindre 12 à 18 films en 3D".
Dreamworks s'est d'ailleurs jeté à corps perdu dans l'aventure de la 3D en signant il ya quelques heures à peine un accord avec IMAX Corporation pour, parallèlement à une sortie en 3D dans les salles de cinéma "normales", projeter quatre de ses films dont trois intégralement en 3D. Après la sortie en Juin 2008 de Kung Fu Panda en 2D, les spectateurs pourront découvrir dans les salles IMAX en Mars 2009
Monsters vs. Aliens, How to Train Your Dragon en Novembre 2009 et le redouté Shrek 4 (Shrek Goes Fourth) au mois de Mai 2010. Ces trois films seront présentés dans les salles IMAX dans leur propre système de projection numérique 3D dont le lancement est prévu pour Juin 2008.
De son côté, Disney vient tout juste d'annoncer qu'après L'Etrange Noël de Mr Jack 3D, Tim Burton allait mettre en scène pour leur compte deux films en 3D (Alice au pays des merveilles et Frankenweenie). Une technique, un outil, qui, au passage, permettra peut-être au père de Beetlejuice de retrouver sa créativité d'antan.
Autre projet en ce moment en plein tournage, The Dark Country de et avec Thomas Jane (le Punisher de 2004), qui à l'inverse des autres projets sus-mentionnés est loin d'être un film d'animation pour toute la famille, mais plutôt une production horrifique R-Rated (interdite aux moins de 16 ans) tournée en prise de vues réelles.
En lançant une foultitude de films 3D tous genres confondus (en favorisant quand même les projets grand public), il est indiscutable qu'Hollywood a très intelligemment gagné son propre combat, celui d'imposer la projection numérique. En réussissant à créer une demande de films en 3D de la part du public, les majors ont ainsi obligé les exploitants à suivre la vague et à s'équiper en projecteurs adéquats. La sortie de ces films reviendra moins chère aux majors (plus besoin de tirer des centaines de copies du film), tout en garantissant quasiment à coup sûr de remplir les salles.
Mais oublions maintenant ces questions purement industrielles et regardons du côté du Cinéma. Qu'est-ce que nous, spectateurs, y gagnons ?
Et bien pour l'instant pas grand chose. Malgré une déclaration plus qu'enthousiaste de Jeffrey Katzenberg présentant la 3D comme « une opportunité de révolutionner pour les spectateurs leur façon de vivre les films en salle », aucun film n'a pour l'instant réalisé ce projet. Cela fait certes toujours plaisir d'aller voir un film en 3D, mais trop peu de cinéastes ne se sont vraiment interrogés sur ce que pourrait apporter la 3D au cinéma, notamment les nouvelles possibilités de mise en scène que cette technologie permet. La 3D n'est en effet pas encore un élément indispensable de la mise en scène comme l'est aujourd'hui le son.
Tous les films distribués et projetés en 3D auraient très bien pu ne l'être que classiquement en 2D, nous n'aurions rien perdu d'essentiel. Eduqués et habitués à manier la 2D, on peut se demander si les réalisateurs de Monsters vs. Aliens, How to Train Your Dragon ou Shrek 4 se pencheront sur la question... Les majors devront alors comprendre que l'avenir de la 3D tient dans les mains de cinéastes novateurs tels que Robert Zemeckis ou James Cameron avec des films tels que Beowulf ou l'ultra-attendu Avatar. Si ces deux visionnaires échouent à rendre la 3D indispensable au film, ne nous leurrons pas, le désir de la part du public de voir des films en 3D ne sera qu'une mode passagère. Les spectateurs se seront en effet lassés de voir les mêmes (mauvais) films (en 3D) à l'affiche, et surtout lassés de payer plus cher (parce que mine de rien, cela a un coût).
Gageons que Beowulf et Avatar ouvrent aux yeux des spectateurs, cinéastes et producteurs les possibilités artistiques de cette innovation et que l'utilisation de la 3D soit pensée et réfléchie dès l'amont du développement d'un film, que la 3D devienne un choix artistique assumé dès le départ et non plus un vulgaire choix commercial.
De son côté, George Lucas à la "pointe de l'innovation" continue à préparer la ressortie en salles de Star Wars dans une version 3D, dont les premiers échos provenant de personnes extérieurs à Lucasfilm sont dithyrambiques...