Blindness
Le 27/08/2008 à 20:20Par Michèle Bori
Blindness est un film indispensable, un survival dramatique réalisé par un Fernando Meirelles au sommet de son art. Une œuvre d’anticipation qui fera certainement date et qui nous rappelle encore une fois qu’à l’aube du XXIe siècle, cinéma rime plus que jamais avec Suramérica.
Souvenez-vous, c’était il y a quelques mois, la rédaction de Filmsactu s’était déplacé le temps d’une quinzaine sur la croisette cannoise et lors de la toute première journée du célèbre festival, nous vous annoncions que Blindness, le film d’ouverture présenté cette année, avait divisé les foules. Les foules peut-être, mais pas nous. Le nouveau film de Fernando Meirelles intitulé un temps l’Aveuglement en France est un pur choc cinématographique, aussi éprouvant pour les sens que déroutant pour l’esprit. Un incontournable de cette fin d’année !
Un pitch simple mais radical. « Et si du jour au lendemain, les gens devenaient aveugles ? » Dès les premières images, Blindness pose sa marque. Image laiteuse surexposée, profondeur de champ minimale, bande son explosive quasiment saturée : tout est fait pour placer le spectateur dans la tête d’un de ces « malades » du film. Au milieu du chaos, une femme, Julianne Moore, inexplicablement immunisée contre cette cécité fulgurante qui touche peu à près toute la planète. Puis les choses s’accélèrent. Les gouvernements décident d’agir et placent les premiers aveugles dans des camps où ils se retrouvent livrés à eux-mêmes. La femme, feignant la maladie, suit son mari médecin (Mark Ruffalo), lui en revanche touché, dans un de ses camps. Et c’est là que l’horreur commence. Plongés dans une obscurité immaculée, dans un huis-clos à la fois physique et psychologique, ces humains privés de repères vont se mettre appliquer à la lettre les règles darwinistes les plus élémentaires... la survie du plus fort. La survie du plus méchant aussi. Une régression sociétale dont la femme (elle ne porte pas de nom, comme pratiquement aucun autre personnage du film d’ailleurs) sera seule spectatrice, elle qui malgré ce « pouvoir » qui devrait faire sa puissance, se retrouvera la plus impuissante des détenus du camp. "Au pays des aveugles les borgnes sont rois" ? Sans doute, mais ils sont aussi les seuls à devoir fermer les yeux sur ce qu’ils voient...
Après l’uppercut qu’était La Cité de Dieu et The Constant Gardener qui partage (chez nous Kevin Prin est dingue du film), Fernando Meirelles revient très fort. Lui qui n’a cessé de dépeindre ce qu’il y avait de plus noir chez l’homme semble avoir trouvé avec le roman de José Saramago une histoire qui le propulsera au panthéon des artistes ayant réussi à montrer les horreurs que pouvait commettre la race humaine lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements. Ils sont rares ceux-là. Picasso, Pasolini, Klimov, Céline, Spiegelman et quelques autres ont offerts au cours de l’histoire leurs visions de l’humain, dans tout ce qu’il a de plus contradictoire, souvent pour eux capable du pire comme du bien pire. Et Meirelles en fait partie. Dans Blindness, c’est un constat accablant qu’il nous dresse, en nous rappelant images à l’appui que l’homme n’est qu’un animal et que c’est lorsqu’un animal est blessé qu’il est le plus dangereux. Une peinture dérangeante à regarder, mais à la fois tellement pertinente formellement et thématiquement, que, malgré le dégout qu’elle nous inspire, arrive à nous fasciner pendant deux heures de temps. Souvent, on aimerait pouvoir intervenir. Parfois, on aimerait au contraire fermer les yeux, choisir d’être comme tout le monde dans le film, privé de ce sens le plus indispensable, pour avoir une bonne excuse de ne pas agir. Las. A l’instar de ce personnage féminin pendant une grande partie du film, nous ne sommes que spectateurs et ne nous pouvons que nous montrer consternés face à la crétinerie humaine.
Inutile de dire qu’on ressort de Blindness fortement troublés. La puissance évocatrice de ce scénario très finement mené, l’intelligence de la mise en scène lyrique de Meirelles, qui arrive à nous masquer les choses tout en nous les montrant, la justesse des comédiens, tous exceptionnels, et enfin la richesse de la bande son et de la musique font de ce film une œuvre magistrale, qui n’est pas sans nous rappeler un autre film d’anticipation sorti récemment. En effet, sur bien des points, Blindness pourrait être comparé aux Fils de l’homme dans sa description nihiliste de l’avenir, ouverte cependant sur une teinte d’optimisme bienvenue. Mais là où ce dernier entretenait une sorte d’espoir de réussite du héros dans sa mission, celui de Fernando Meirelles avance au contraire dans l’obscurité la plus totale. Les personnages ne savent pas ce qu’il va pouvoir advenir d’eux dans l’avenir, leurs espoirs de guérison ne sont jamais évoqués, bref, le poids du temps présent et le pessimisme quant au futur sont bien plus oppressants que dans le chef d'oeuvre d’Alfonso Cuaron, même si dans leurs conclusions les deux films finissent par ce rejoindre.
Bref, Blindness est un classique instantané, une oeuvre magistrale à voir absolument. Seuls les aveugles auront une bonne excuse pour dire qu'ils ne l'ont pas vu ...