Away we go
Le 09/10/2009 à 15:33Par Michèle Bori
Deux coups de maître en une année, c'est très fort de la part de Sam Mendès. Si Les Noces Rebelles brillait par sa noirceur et son cynisme, laissant le spectateur avec des angoisses plein la tête, Away We Go lui, sur un sujet pas si éloigné (un couple qui cherche à sortir de son quotidien pour embrasser une nouvelle vie), fera l'effet exactement inverse. Léger, enjoué, drôle, pudique, mais toujours pertinent, ce film nous délivre une puissante dose de bonne humeur et de joie de vivre qui le rendent éminemment indispensable. Rires et sourires garantis !
Découvrez ci-dessous la critique de Away we go
Alors qu'il nous avait habitués à prendre son temps entre deux projets, voilà que Sam Mendes nous fait une "Steven Spielberg 1993" (la même année, il avait sorti Jurassic Park et La Liste de Schindler) et nous offre son deuxième film de 2009, 8 mois seulement après le monumental Les Noces Rebelles. Une bonne surprise n'arrivant jamais seule, cette parenthèse nommée Away We Go résonne comme une œuvre "différente" dans la filmographie du réalisateur. Non pas qu'elle vienne se poser à l'encontre de tout ce qu'il a pu faire auparavant (quoique...), mais avec son style très épuré et son histoire faussement désinvolte (mais résolument positive), elle arbore une forme et une tonalité que l'on n'imaginait pas voir sortir de la caméra du papa de Jarhead. Voilà décidément un réalisateur qui n'a pas fini de nous surprendre !
Si quelques thématiques chères à Mendès sont toujours là (la peur de la monotonie, la vie de couple), la fraîcheur de ce road movie sentimental vient prendre à contre-pied tout ce que le bonhomme avait pu nous proposer jusqu'alors. Sorte d'antithèse parfaite à son adaptation de Richard Yates, aussi drôle et légère que cette dernière était dramatique et pessimiste, Away We Go marque la première tentative de Mendès dans un registre qu'il avait jusqu'alors peu (ou pas) abordé : la comédie. Pas la comédie douce amère, si en vogue à Hollywood dans quelques circuit faussement indépendant. Pas la grosse comédie potache non plus. Non, la comédie à la sauce Mendès : intelligente, pudique et douce. Mais toujours profondément drôle. Ne cédant jamais à la blague facile, le réalisateur cherche constamment à dédramatiser un discours pourtant plein de sous-entendus potentiellement plombant (la peur d'avoir un enfant, la peur d'être parent, les interrogations concernant le futur ...) en multipliant les saynètes rigolardes mettant en scène les deux héros de son film face à des personnages secondaires censés représenter ce qu'ils pourraient devenir (des aigris, des fous ou des résignés). La quête du foyer parfait des deux protagonistes prend alors une tournure fantaisiste, parfois surréaliste (le dîner chez la cousine du héros, hilarante et jouissive), parfois attendrissante (la scène en boîte à Montréal) et vient surtout proposer un sublime contrepoint à la déchirante descente aux enfers du couple des Noces rebelles. Là ou ces derniers finissaient par céder à la pression de leur environnement, les héros d'Away We Go font face, refusent l'implacabilité du destin et érigent leur amour au-dessus de toute forme de contrainte sociale (la famille, les amis, le travail).
De même qu'il s'est essayé à un autre genre cinématographique, Mendès opte ici pour une mise en scène beaucoup plus posée que dans ses derniers longs-métrages. Comme il le dit si bien : "j'avais envie de me lancer un défi en collaborant avec une équipe différente. Je sentais qu'il fallait que je change ma façon de voir, ma perspective sur les choses, que je me bouscule un peu en variant mes habitudes." Exit donc Roger Deakins à la photographie, place à Ellen Kurras (Eternal Sunshine of the spotless mind) et son travail épuré proche du naturel. Fini les lents travellings et les éclairages contrastés, Away We Go est composé en grande partie de plans fixes, larges si possible (on ne compte que deux gros plans dans tous le film !). De même, les partitions symphoniques du compagnon de toujours du réalisateur, Thomas Newman, laissent place à quelques expérimentations pop signées Alexi Murdoch, chanteur anglais aux compositions pouvant parfois faire penser au travail de Jon Brion. Enfin, dans les rôles principaux, on trouve un tandem à l'opposé des très glamours Di Caprio/Winslet incarné par les excellents John Krasinski et Maya Rudolph, deux quasi-inconnus à la complicité palpable et à l'humour complémentaire, qui parviennent immédiatement à nous rendre sympathique ce couple somme toute banal. Autour d'eux, une armada de seconds rôles hauts en couleur, parmi lesquels Jeff Daniels en papa du héros, la belle Maggie Gyllenhaal en baba extrémiste, la délirante Allison Janney en mère de famille vacharde ou encore le poignant Chris Messina qui livrera ses angoisses dans une des plus belles scènes du film. Comme d'habitude chez Mendès, tous sont géniaux, preuve que le réalisateur est aussi à son aise dans la légèreté que dans le mélodramatique. Et s'il signe ici un film qui semble avoir été fait en réaction (voire en opposition) directe aux Noces Rebelles, il n'en demeure pas moins que cet Away We Go est tout aussi réussi que son aîné. Mieux, avec son discours 100% optimiste qui confère au film une puissante dose de bonne humeur et de joie de vivre, peut-être tenons-nous là le "feel-good movie" ultime. Savoir constamment se réinventer, se frotter à différents genres, tout en conservant un coup d'avance sur les autres, n'est-ce pas là une forme de génie ?