Cloverfield
Le 19/01/2008 à 18:00Par Elodie Leroy
Il y a encore quelques semaines, peu d'éléments avaient filtré au sujet de Cloverfield. On savait juste que ce blockbuster produit par J.J. Abrams (créateur de séries telles que Lost et Alias) et réalisé par un quasi inconnu du nom de Matt Reeves plantait son décor dans la ville de New York et mettait en scène une force inconnue dévastant tout sur son passage. En se montrant avare au possible de détails sur son projet, J.J. Abrams lançait ainsi l'une des campagnes marketing les plus percutantes menées pour le cinéma ces dernières années, disons depuis Le Projet Blair Witch. Une association d'idées qui est loin d'être innocente puisque Cloverfield repose sur un concept similaire, à savoir une histoire tragique racontée exclusivement à travers une vidéo amateur. Mais depuis que les teasers, bandes-annonces et autres spots TV affluent sur le Net, la véritable question est de savoir si le résultat prend réellement aux tripes comme le suggèrent ces mises en bouche. La réponse est oui, et mille fois oui. On s'attendait à du spectaculaire, à du suspense, à de la violence choc, et sur ce plan, Cloverfield remplit pleinement son cahier des charges. Mais la bonne surprise est que le film de Matt Reeves s'avère être un peu plus qu'une énième histoire de monstres. Il s'agit d'une expérience totalement cathartique tenant tout à la fois du film catastrophe que du survival et au cours de laquelle, contre toute attente, on vibre littéralement pour des personnages plus vrais que nature. En un peu moins d'une heure trente, Cloverfield offre du spectacle, de l'horreur pure et de l'émotion.
On a plaisir à voir un film aborder sous un angle inédit un genre aussi difficile à mettre en œuvre et à renouveler que celui auquel s'attaque Cloverfield. L'entreprise était loin d'être gagnée d'avance, le parti pris narratif paraissant a priori peu compatible avec le récit d'une destruction massive façon Godzilla. Pourtant, c'est précisément dans le choix et le traitement radical de ce point de vue totalement subjectif que réside l'intérêt du film. Mais avant toute chose, il faut souligner la virtuosité formelle de l'objet. La mise en scène joue bien sûr faussement la carte de la spontanéité et repose en réalité sur des mouvements de caméra très pensés, révélant à chaque séquence tout juste ce qu'il faut savoir. La menace elle-même se dévoile d'ailleurs de manière très progressive, d'abord à travers des informations éparses grappillées ça et là, puis à travers un écran de télévision ou encore des images montrant furtivement des parties du corps de ce qui semble être une créature venue d'un autre monde. A ce mystère vient s'ajouter un réel sens de l'atmosphère visuelle et sonore ainsi qu'une esthétique de la destruction tout simplement remarquable. Entre deux montées d'adrénaline, on se retrouve face à des visions apocalyptiques saisissantes, qu'il s'agisse de la tête de la statue de la liberté tombant avec fracas sur le sol, des rues envahies par la poussière ou des buildings effondrés les uns contre les autres. On s'y croirait, de même que l'on se sent littéralement projeté en plein reportage de guerre le temps d'une scène impressionnante voyant l'armée riposter contre la bestiole. Ne serait-ce qu'en raison du choix de Manhattan comme champ de bataille, on sent bien sûr planer l'ombre des attentats du 11 septembre 2001, le moment où tout bascule évoquant d'ailleurs explicitement les vidéos amateur traumatisantes diffusées peu de temps après la tragédie. Après tout, un autre pays exorcise les attaques nucléaires dont il a été l'objet dans le passé avec les Godzilla, Gamera et consort, autant de films de monstres fantaisistes à souhait auxquels Cloverfield fait bien sûr ouvertement référence et dont le public japonais continue d'être friand.
S'il se réclame donc du pur divertissement, Cloverfield s'apparente tout de même à une œuvre post-11 septembre libératrice au même titre que l'excellent Vol 93 - on remarque d'ailleurs une brève réminiscence du film de Paul Greengrass lors de la séquence de l'hélicoptère. Evacuant à l'inverse du récent The Host (Bong Joon-Ho) toute portée politique ou sociale, Cloverfield se concentre sur la notion de survie, sur le vécu des personnages dans l'instant où se déroule le désastre. Et c'est là que le procédé de la caméra amateur prend tout son sens. Le film envisage la catastrophe sous un angle résolument humain et restitue de manière tétanisante l'impression que des êtres vivent peut-être leurs dernières heures. A chaque instant, on se demande non seulement qui va mourir, mais aussi comment et où cela va se produire. Une implication totale du spectateur qui s'explique non seulement par un montage d'une efficacité redoutable, mais aussi par des protagonistes principaux ébauchés avec un réel souci de crédibilité. En fait, il n'y a rien de bien extraordinaire chez ces jeunes gens qui pourraient aussi bien être nos voisins. C'est justement cela qui les rend si attachants dès les premières minutes de métrage - l'histoire débute par une simple soirée entre amis -, encore plus lorsqu'ils se retrouvent brutalement confrontés à la fin du monde. Et si l'effet cinéma vérité sert indéniablement à maximiser le caractère sensationnel de l'entreprise, il met aussi en évidence la place fondamentale que tiennent dans nos vies des sentiments aussi simples que l'amour ou l'amitié. C'est l'une des qualités les plus grandes et les plus inattendues de Cloverfield.