En 2003, Jonathan Caouette avait frappé fort avec Tarnation, journal intime intense et poignant de son enfance chaotique. De ce puzzle brut aussi morcelé que sa psyché, Caouette réalisait un véritable tour de force : en assurant les fondations de son film-collage avec un montage dynamique et cohérent, le spectateur se retrouvait happé dans un monde fantaisiste, violent et poétique. Écorché vif et hanté par les fantômes de son passé, l’homme sondait ainsi son âme et perdait son audience dans un dédale de souffrance et d’amour, un monde imaginaire dans lequel la sexualité et la détresse adolescente se révélaient magnifié par le côté mélomane et cinéphile de son auteur.

 

Huit ans plus tard, Jonathan Caouette dévoile un nouveau chapitre du livre de sa vie, une page blanche auquel il appose un titre : "Lettre d’amour à ma mère, Renée". Hélas, l'énorme couac de ce Walk Away Renée émerge justement de cette note d’intention : ce qui faisait la force de Tarnation c’est qu'au-delà d’un fil narratif introspectif (et donc en un sens nombriliste) se révélait déjà en filigrane une véritable preuve d’amour à sa génitrice. Hors, le fait d’accentuer, d’expliciter voire de romancer à outrance cet amour fou et inconditionnel gâche totalement l’aura du premier film. Et pire encore, on se met à douter de la sincérité du projet, de l’homme et même du film de 2003.

 

 

Bien évidemment Tarnation n’était pas exempt d'effets de mise en scène en tous genres mais Walk Away Renée pousse le vice encore plus loin, navigant chichement dans les eaux troubles qui séparent le documentaire de la fiction (sur-dramatisation, présence d'acteurs, abus de gros plans, reconstitutions, etc.). Et, pour le coup, la magie n’opère plus. Les ficelles sont trop énormes (la conversation téléphonique surjouée avec le médecin est digne d’une tragédie grecque), la mise en scène désespérément vieillotte (encore une alternance de tirages photos, scènes en DV ou Super 8), d’effets faciles et clichés (le vent qui souffle sur les feuilles d'un arbre avec une jolie musique) et d'un montage totalement bâclé (reprenant pour l'occasion et sans complexe des tartines d’images de Tarnation).

 

Le film trouve même le moyen de s'embourber dans une présentation du 'multivers' (l'ensemble de tous les univers possibles) et d'une multitude de concepts ésotériques ronflants afin de donner une quelconque substance au film. Hélas, le parallèle entre la 'déconstruction' psychologique de Renée Leblanc et l'arrière fond apocalyptique est vain. 'Du chaos naîtra une forme de renaissance' veut-on nous signaler à grands coups d'effets visuels ratés représentant un voyage au coeur du cosmos dont la finalité s'exprime chez le spectateur par une seule interrogation : n'était-ce pas déjà le sujet sous-jacent du film original avec d'un côté la bipolarité de Renée et de l'autre l'attraction de Jonathan pour la mort ?

 

 

Finalement, à trop vouloir tirer sur la corde sensible du spectateur, le film se prend au piège de son propre jeu. Présenté à la Semaine de la Critique à Cannes, Caouette a avoué que son film était en constante évolution et qu'il pourrait évoluer de manière drastique entre sa présentation cannoise et sa sortie nationale officielle. Même si l'argument permet à l'artiste de se dédouaner de toute critique, on ne peut que souhaiter à ce Walk Away Renée un sérieux retour sur le banc de montage. Car en l'état actuel, c'est à dire bâclé, fainéant, vide et bien souvent ridicule, le film est très probablement la plus grosse déception de l'année.