Dans la vallée d'Elah
Le 31/10/2007 à 08:45Par Michèle Bori
Dans la vallée d'Elah, sans pour autant être un parfait ratage, souffre de trop nombreux défauts pour être à la hauteur du sujet qu'il ambitionne, et semble sacrifier l'histoire au détriment des personnages. Une sorte d'anti-Basic qui, sur un sujet quasi similaire, tomberait dans les excès exactement inverses.
Lorsqu'il apprend que son fils fraîchement débarqué d'Iraq manque à l'appel de son bataillon, Hank Deerfield (Tommy Lee Jones), ancien militaire, décide de mener l'enquête. À la recherche de la vérité, son chemin va croiser celui d'une jeune inspectrice en quête de reconnaissance, Emily Sanders (Charlize Theron), avec laquelle il va essayer de démêler les nœuds d' une affaire qui implique l'armée américaine.
Troisième passage derrière la caméra pour Paul Haggis après l'oscarisé Collision (Crash, 2005), Dans la vallée d'Elah pourrait être mis dans la case des films à « enquêtes policières dans un contexte militaire » comme on en a vu des dizaines dans les années 90, abordant tous de prêt ou de loin l'horreur de la guerre, et la difficulté des vétérans à retrouver une place dans la société. De la part de Paul Haggis, scénariste brillant avant de diviser le public avec son ronflant Collision, on pouvait s'attendre à une relecture moderne d'un thème plus que poussiéreux, d'autant plus que le conflit Irakien est le sujet propice à ce genre de propos. Il n'y a qu'à voir le sublime Jarhead de Sam Mendes pour s'en convaincre.
Pourtant, si Dans la vallée d'Elah se distingue par une certaine singularité, notamment dans le point de vue qu'il prend pour montrer aux spectateurs la différence entre le vécu d'une guerre et la perception qu'on peut en avoir, Haggis loupe le coche en sombrant dans un travers assez redondant dans sa filmographie.
Avec le recul, on sent fortement que les critiques négatives faites à l'encontre de Collision ont marqué Haggis, et que ce dernier s'est donc appliqué à corriger toutes les lacunes de son précédent métrage comme pour prouver qu'il pouvait avoir du recul sur son travail. Alors que Collision multipliait des personnages sans l'ombre d'une caractérisation digne de ce nom au détriment d'un propos fort, Dans la vallée d'Elah tombe dans l'excès exactement inverse, Haggis semblant s'être mis en tête de parler de son protagoniste principal jusque dans les moindres recoins de sa personnalité.
À la fois vétéran républicain et raciste, père attentionné et meurtri, époux dévoué, inspecteur retord à la capacité d'analyse hors norme mais doutant de lui, Hank Deerfield est un homme d'une complexité rare. Pourtant à force de trop en savoir sur lui, le spectateur se perd dans les méandres d'un homme dont il ne sait plus au final qu'il est vraiment. A travers Hank, Haggis semble vouloir offrir un point de vue unique sur une situation (unique par la richesse de son « background »), ce qui est louable de sa part, le problème étant que la dite situation est tout sauf originale. Comprenez qu'il ne faut pas connaître tout d'un homme pour comprendre que quand son fils est disparu, il est très inquiet, qu'il soit ancien militaire ayant survécu au Vietnam ou pas.
Bref, sa peinture humaine millimétrique tombe à plat, puisque finalement il n'en ressort qu'un désir de vengeance plus que banal.
Mais le problème ne s'arrête pas là, puisque cette caractérisation à outrance vient en plus plomber la narration du récit, qui n'avait déjà pas besoin de ça pour être jugée linéaire et sans surprise. Sur les 2h de films, il faudra donc bien compter 1h30 de présentation de personnages, avec une mise en place succincte des enjeux, suivie de 30mn d'enquête à proprement parler, surtout dans les dernières bobines, où l'on sent Haggis obligé de clore une histoire qui ne semble plus l'intéressé, son ambition première étant de nous parler de ses protagonistes.
Et parlons-en de ses protagonistes. Si les seconds rôles s'en sortent tous bien (mention à Charlize Theron, qui semble décidée à affronter Hilary Swank sur son terrain), leurs personnages sont dans le meilleur des cas stéréotypés (les flics machos, le militaire obtus, le mexicain dealer...), et dans le pire des cas, rajoutés là par Haggis pour apporter des démons en plus à Hank Deerfield. Le parfait exemple étant la femme de ce dernier, jouée par Susanne Sarandon, qui passe les 40 premières minutes du film à pleurer au téléphone avant de disparaître compétemment quand on aura compris qu'elle en voulait à son bidasse de mari d'avoir pousser son fils à s'engager. Bref mis à part Hank, les autres personnages n'ont pas grand intérêt et, au final, Haggis retombe donc dans les mêmes travers que Collision, puisque Dans la Vallée d'Elah ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes, en essayant de faire passer son propos en tirant plus que de raison sur la corde lacrymale.