Entre les murs

Tout d'abord, il convient d'être honnête avec les sentiments spontanés que suscite l'expérience Entre les murs. Ne serait-ce que grâce à ses jeunes acteurs, le film de Laurent Cantet se révèle assez vite attachant, souvent captivant par sa manière de saisir l'ambiance d'une salle de classe. Adapté librement du livre de François Bégaudeau qui joue son propre rôle, Entre les Murs délimite strictement son décor aux locaux de l'école, s'apparentant ainsi à une sorte de huis clos. Le film a donc le mérite d'adopter un véritable point de vue, en l'occurence celui du professeur, tout en s'attachant à envisager celui de ces collégiens, la vie privée de tout ce beau monde restant hors champ. Outre certains personnages se détachant sensiblement du lot (Kumba, Esmeralda, Souleymane ou encore Wei), l'un des succès du film est aussi de traduire le petit jeu qui se tient tout au long de l'année entre le professeur et ses élèves pour la prise de contrôle du cours, une lutte faite de joutes verbales ironiques, de remarques inattendues, de basculements de situation. De moments ou de dialogues très authentiques pouvant survenir dans une classe, Entre les Murs ne manque pas et c'est ce qui séduit le plus. Le film pose aussi de vraies questions sur quelques uns des enjeux majeurs de l'école, à savoir la maîtrise de la langue, le désavantage rencontré par ceux dont les parents ne la connaissent pas, mais aussi l'exercice de l'autorité face à des cas socialement difficiles. Autant de problématiques admirablement posées à travers ce film qui finit par confronter son principal protagoniste à une situation tristement insoluble. L'émotion finit par poindre, dommage que le propos ne suive pas.

Car en dépit de ses intentions louables et de ses bases de réflexion passionnantes, quelque chose dans le film Laurent Cantet dérange. Peut-être par souci de ne pas voir son film estampillé "gauchiste", le cinéaste opte pour la modération et ne tire aucune valeur forte de l'expérience. En somme, Entre les Murs fait l'effet d'un exposé qui, après une brillante introduction, ne propose pas de développement satisfaisant - et surtout aucune conclusion. Juste une suite de constats, celui du retard considérable pris par ces élèves et d'un système peu adapté à eux, tout cela sans qu'aucune lueur d'espoir ne vienne pointer le bout de son nez. L'effet pervers est qu'à l'arrivée, l'école apparaît plus que jamais comme un lieu où le dialogue entre les générations est impossible, où les enfants n'apprennent rien et où le corps enseignant a depuis longtemps démissionné. Les représentants de ce dernier s'avèrent d'ailleurs trop archétypaux pour être crédibles. Trop souvent démonstratif, Entre les Murs semble porté par une volonté de brasser un maximum de situations pointant les défaillances du système. Or, non seulement le métrage ne met jamais ces dernières en perspective par rapport à un contexte plus global, mais il se focalise sur une seule problématique possible, celle des origines étrangères des élèves, toute autre considération passant pour ainsi dire à la trappe. Sans verser dans l'étude psychosociologique, Entre les Murs aurait pu se révéler un tantinet plus ambitieux dans son approche de l'adolescence qui s'avère ici représentée avec une rare tiédeur. D'ailleurs, pour un collège où un professeur ne peut guère commencer une phrase sans être interrompu avec une extrême virulence, on ne peut que s'étonner de l'absence totale de violence volontaire tout au long de cette année scolaire.

Au final, en dépit de la vivacité des jeunes comédiens, le film, lui, manque précisément de cette étincelle de vie qui jaillissait dans un film comme L'Esquive, nettement plus savoureux et autrement plus percutant, dans le fond comme dans la forme. N'est pas Abdellatif Kechiche qui veut. Enfin, Entre les Murs laisse aussi perplexe pour une raison qui ne lui est certes pas intrinsèque mais qui n'a pas fini de faire débat : sa Palme d'Or. En effet, il y a véritablement de quoi rester pantois en voyant le réalisateur du sublimissime Into the Wild remettre un tel prix à un long métrage si médiocre sur le plan cinématographique, dont la réalisation digne d'un téléfilm a fort à voir avec le caractère inabouti, voire brouillon. Une palme d'or remise "à l'unanimité" mais qui, en dépit des qualités du film, tient tout simplement de la faute de goût. Ou peut-être de la démagogie.