La Personne aux deux personnes
Le 23/05/2008 à 15:48Par Arnaud Mangin
Entre le succès mérité de Bienvenue chez les Ch'tis et La personne... qui nous intéresse aujourd'hui, la comédie française se porte on ne peut mieux en 2008 - malgré un tri évident à faire. Un petit cinéma populaire dont les tripes des créateurs transparaissent avec une générosité rare. Projet de très longue date pour les désopilants auteurs Nico et Bruno, La Personne aux deux personnes prend le léger risque de surfer sur l'intrigue un peu réchauffée du petit nabab qui s'extravertit grâce à l'intervention d'un ange gardien, mais développe cette dernière dans un univers d'une folle richesse... ou d'une riche folie, au choix. Un vrai relent 80's bien de chez nous, mâtiné d'une intrigue fantastique à l'américaine franchement efficace.
Dire qu'on attendait la première vraie création complète de Nico et Bruno sur grand écran relève du parfait euphémisme puisque, si leur scénario de 99 francs, aussi exquis soit-il, n'était qu'une adaptation, leur travail pour la télévision faisait vraiment mouche. Entre une irrésistible déclinaison de The Office, fort logiquement intitulée Le Bureau avec François Berléand dans le rôle titre (sérieux, ruez-vous sur le DVD !) et leur détournements de vidéos d'entreprises pour leurs Messages à caractère informatif (même conseil qu'au-dessus), le jeune duo excelle particulièrement dans leur portrait à peine cynique de la vie d'entreprise. Et plus particulièrement des cols blancs en bas de l'échelle. Une impossible atmosphère vintage à mi-chemin entre la déco criarde d'Orange Mécanique, et la technologie froide d'un Playtime où l'employé/instrument se laisse désespérément ramollir pour le bienfait d'un esprit de groupe illusoire. Vache, d'un désarmant réalisme, et pourtant hilarant de bout en bout à force de ringardise.
Au cinéma, cet immense monde cheap n'est qu'une interminable toile de fond et pas vraiment une trame narrative. En gros, ce n'est pas Le Bureau - le film, même s'il n'y a pas un détail qui ne nous rappelle pas ce que les auteurs ont mis des années à construire. Jean Christian Ranu (inattendu Daniel Auteuil) se dope au céleri rémoulade, fait ses comptes sur sa montre calculatrice, vie un rêve de célibataire sous sa raie de côté parce que « de toute façon, dans la société dans laquelle on vit ...», imprime ses courriels sur son imprimante minitel et évacue tout ça dans ses toilettes au papier peint à carreaux vert. De quoi faire une série TV à lui tout seul, mais c'est en allant de l'avant que Nico et Bruno jouent la carte de la comédie fantastique du simili ghost movie, rare chez nous, et affublent ce petit monde tristounet d'une intrigue sortie de derrière les fagots. Ranu, ringard mais résistant, se fait renverser par Gilles Gabriel (Alain Chabat), un autre ringard mais plus énergique, figurant sur la longue liste des chanteurs oubliés des années 80 qui ont rempli les couvertures de Ok Podium. En revanche, Gilles est moins résistant, meurt sur le coup et laisse son esprit investir la tête de Ranu qui devient, par conséquent, une personne... à deux personnes.
Sur le papier, c'est du déjà vu et on devine sans mal où fonce le film (Bruce Campbell avait lui-même accouché d'un moyen The Man With A Screaming Brain sur un pitch de départ similaire), mais au-delà de cette douce morale (à deux, c'est mieux !) et des évidents mais jubilatoires quiproquos jalonnés par une telle situation, c'est tout cet univers évoqué plus haut qui multiplie les scènes d'un joyeux grotesque. CES univers, sommes nous tentés de préciser, faisant se croiser plusieurs types de beauferie jusqu'à former un mixe fou des deux dans une scène finale chantée aussi géniale qu'hallucinante. Une scène, une seule, qui résume beaucoup de choses et s'enfile sur une espèce de brochette de séquences tout aussi sympas, empruntant au fantasme de cadres, au burlesque théâtral traditionnel, à l'irrévérence américaine et même au sketchs qui ont rendu Nico et Bruno populaires. Beaucoup, beaucoup de bonnes choses dans ce premier essai...