Le Journal d'une baby-sitter

Si on se demande aujourd’hui quelles sont les dernières formes d’esclavagisme encore présentes dans nos pays dit développés, les réponses se comptent sur les doigts de la main. Il y a les stagiaires en grande entreprise, les techniciens sur les films de Jean-Pierre Mocky, les comédiens chez David O. Russel ... et puis c’est à peu près tout. Pour leur deuxième réalisation, le tandem Shari Springer Bergman / Robert Pulcini, déjà à l’origine du très réussi American Splendor, nous parle d’une quatrième catégorie : les baby-sitters. Car c’est un fait : si elle avait vécu à notre époque, Mary Poppins aurait déjà vendu son parapluie volant sur eBay pour arrondir ses fins de mois et se ferait prescrire du Xanax trois fois par mois pour supporter les exigences déplacées des parents plus soucieux de réussir leur vie professionnelle que de trouver une solution pour mettre fin aux crises caractériels de leurs enfants-rois.

Les temps ont changé, les familles aussi et les nouvelles nanny ont dû s’adapter pour régler de nouveaux conflits opposant enfants et parents, souvent créés par un manque de communication flagrant. La preuve en est les multiples émissions télé où de soi-disant spécialistes viennent se mêler de problèmes qui n’existaient pas quand l’éducation d’une progéniture était encore une priorité.

Large programme donc dans ce Journal d’une baby-sitter, tiré d’un roman éponyme de Nicola Kraus et Emma McLaughlin, tous deux anciens baby-sitter à New York. Scarlett Johansson, toujours aussi radieuse, y campe donc une jeune diplômée en anthropologie qui accepte un poste de nanny pour un été, histoire de pouvoir observer en détail et de près une famille new-yorkaise bourgeoise type. Malgré une mère maniaco-dépressive (Laura Linney) et un père tyrannique (Paul Giamatti) qui lui font vivre l’enfer, la jeune nounou va se prendre d’affection pour le jeune Grayer, petit garçon délaissé qui verra en Scarlett la maman de substitution idéale (on le comprend !).

Une histoire simple et touchante donc, mais qui se montre suffisamment sérieuse pour rester pertinente. En effet, sous ses allures de petite comédie familiale avec un titre de film Disney, Le Journal d’une baby-sitter n’est ni plus ni moins qu’une dénonciation acerbe de l’explosion de la cellule familiale. Un portrait au vitriol qui n’est pas sans rappeler American Beauty de Sam Mendes, mais qui se démarque de son illustre modèle oscarisé par une légèreté de ton propre au duo de réalisateur / scénariste.

Le film s’avère donc fort intéressant, en plus d’être sympathique et très agréable à suivre, grâce notamment à des comédiens tous convainquants. On ne rajoutera pas encore une couche de superlatifs sur Scarlett Johansson, dont la seule présence à l’écran suffit à illuminer un film, mais nous saluerons en revanche la magnifique performance de Laura Linney, qui, dans un personnage proche de celui de Meryl Streep dans Le Diable s’habille en Prada, arrive à nous faire aimer une femme qui a pourtant tout de détestable. Tant mieux pour elle, sa maigre prestation dans La Famille Savage ne restera pas longtemps dans les mémoires. Une belle réussite donc, qui marque peut-être un tournant dans la carrière de Bergman et Pulcini, qui s’éloignent un peu d’un cinéma indie à la Terry Zwigoff pour embrasser le meanstream intelligent. On ne dira pas que c’est mieux, juste que c’est différent. Et ce n’est pas pour nous déplaire.