Nightmare Detective
Le 04/10/2007 à 13:44Par Elodie Leroy
Nightmare Detective a pour immense qualité d'être à la fois un excellent film de genre et un pur film de Shinya Tsukamoto. En adoptant le canevas a priori classique du thriller fantastique, le film nous emmène dans les méandres d'un cauchemar éveillé et flirte avec le désir de mort qui sommeille en chaque être humain. Un vrai film d'horreur qui porte pleinement la marque de son auteur et dont le concept original - un détective qui entre dans les cauchemars des autres - s'accompagne de scènes de meurtres sanglantes et tétanisantes.
Après une plongée directe dans les tréfonds de l'inconscient dans le stupéfiant Haze, moyen métrage d'une noirceur absolue qu'il réalisait un an auparavant, Shinya Tsukamoto officialise son obsession pour les univers cauchemardesques avec Nightmare Detective, un film en apparence plus accessible que ses précédents mais qu'il n'en est pas moins passionnant. Plus accessible car le film se veut moins expérimental qu'un Tetsuo et se dote d'un casting de stars - Masanobu Ando, Ryuhei Matsuda, Hitomi. D'autre part, l'histoire revêt des apparences d'enquête policière et débute de manière presque classique : après une ouverture destinée à introduire le Nightmare Detective himself et suivie d'un bref générique aux notes dissonantes, survient le premier meurtre sanglant de l'affaire qui va forger l'intrigue, avant que la police n'arrive quelques heures plus tard sur les lieux. Sur le papier, ces premières minutes auraient pu être signées par n'importe qui. A l'écran, on reconnaît immédiatement le style et l'univers déstabilisants de Shinya Tsukamoto, ne serait-ce qu'à son esthétique obscure, ses cadrages resserrés sur des visages névrosés, ses plans récurrents sur les buildings d'une ville déshumanisée et désespérément vide.
Des hommes et des femmes sont l'objet de crimes étranges : de manière inexpliquée, ils se charcutent eux-mêmes pendant leur sommeil, et ce avec une sauvagerie toute particulière. Le principal suspect dans l'affaire est un certain "Zero", avec lequel les victimes ont toutes dialogué au téléphone juste avant leur mort. Si le principe du suicide associé à une sorte de réseau virtuel et à une manipulation mentale n'est pas sans rappeler Suicide Club (Sono Sion), Shinya Tsukamoto délaisse la portée sociale du phénomène pour se pencher davantage sur les secrets de l'inconscient. L'équipe chargée de l'enquête se répartit le travail selon deux approches possibles, l'une rationnelle et l'autre paranormale, comme pour mieux opposer les lois régissant le monde physique à celles qui gouvernent le monde spirituel, associé au cauchemar et au psyché humain, et qui défient toute logique. A travers le parcours de Kirishima, une jeune femme renfermée qui va découvrir qu'elle possède des pulsions de suicide, Nightmare Detective questionne le désir de mort qui existe de manière plus ou moins consciente en chacun de nous, comme un monstre enfoui pouvant refaire surface par l'action d'un simple stimulus. Un versant peu reluisant de l'âme qui ne se résume pas à de la laideur mais englobe aussi tout le spectre des émotions négatives telles que la peur, la détresse. Le personnage du Nightmare Detective est la clé de tous les mystères puisqu'il est le seul à évoluer librement entre la réalité et le rêve, une aptitude qui le ronge puisqu'elle l'oblige à faire face aux pires facettes de l'être humain et à vivre avec cet immense fardeau. L'une des idées de génie de Tsukamoto est d'avoir attribué le rôle titre au toujours aussi fascinant Ryuhei Matsuda, dont la mélancolie étrange et l'attitude décalée collent à merveille au personnage.
Si les thématiques touchent à des préoccupations d'actualité au Japon, où le phénomène du suicide prend des proportions inquiétantes, Nightmare Detective n'en possède pas moins le charme habituel des œuvres de Tsukamoto, dont l'art consiste à flirter constamment avec la frontière entre le tragique et le grotesque. Le jeu d'actrice de la chanteuse de J-rock Hitomi, dont c'est la première expérience au cinéma, frôle d'ailleurs plus d'une fois le ridicule mais s'impose pourtant avec une singulière évidence comme en parfait accord avec l'esprit du film. Le cinéaste semble d'ailleurs captivé par son visage, son regard à la fois triste et déterminé. S'il explore le registre des peurs inconscientes à travers la menace invisible (indicible ?) qui attaque les victimes, agrémentant le récit de visions cauchemardesques saisissantes (les profondeurs de l'eau), Shinya Tsukamoto le fait avec son punch habituel et signe avec Nightmare Detective un vrai film d'horreur. Et le moins que l'on puisse dire est qu'il se fait plaisir, ne serait-ce qu'en se mettant en scène lui-même dans le rôle du tueur, nous gratifiant au passage des expressions d'halluciné dont il a le secret. N'ayant rien perdu de sa capacité à tétaniser le spectateur avec sa mise en scène viscérale, le cinéaste orchestre des meurtres dont la sauvagerie inouïe renvoie à celle des combats de Tokyo Fist, faisant jaillir quelques boyaux et gicler des litres de sang - Masanobu Ando est à ce titre impliqué dans une scène d'anthologie.
Les ressources du concept du film étant inépuisables, on attend à présent avec impatience de découvrir Nightmare Detective 2, la séquelle prévue cette année dans les salles japonaises. Le personnage de Ryuhei Matsuda viendra cette fois en aide à une adolescente de 15 ans en proie à des cauchemars impliquant ses camarades de classe...