Prédictions : Nicolas Cage face à la fin du monde (critique apocalyptique)
Le 29/09/2020 à 17:14Par Kevin Prin
Prédictions est à la fois louable pour son excellente approche du genre de la science-fiction, s'assumant jusqu'à la dernière seconde, et condamnable sur ses excès. Alex Proyas nous livre en tant que réalisateur une véritable profession de foi envers le genre, avec une sincérité qui lui donne toute sa force et au passage quelques mæstrias visuelles, dont par exemple les visions de la fin du monde sont destinées à ne pas être oubliées de si tôt. Mais si la forme est superbe, le malaise provient du fond et plus exactement du message dissimulé dans le film à travers des éléments distillés tout du long. C'est dans ses dix dernières minutes que tout se joue : le film s'inscrit alors définitivement dans le registre SF le plus pur mais il s'encombre d'une propagande idéologique révoltante. Le dilemme est horrible : faut-il assumer son plaisir de cinéphile en célébrant ce joli film de SF bien viscéral au prix d'oublier sa détestable propagande scientologique ?
(critique de Prédictions publiée le 27 mars 2009)
Prédictions était forcément attendu : le réalisateur de Dark City et The Crow devait se faire pardonner I, Robot (un film qu'il renie lui-même), Nicolas Cage devait revenir en grâce après un nombre incroyable de nanars au compteur ces dernières années, et le scénario du film était qualifié comme l'un des plus ambitieux depuis pas mal de temps. S'il n'y avait rien d'exceptionnel à dénoter sur le seul synopsis, la possibilité d'assister à un thriller paranoïaque allant jusqu'au bout de ses ambitions était bien là. Proyas tisse ainsi son film en crescendo, à travers une narration et une réalisation classiques mais bien menés, où même la caméra numérique (une Red One pour les connaisseurs) sait se faire complètement oublier. C'est beau, c'est propre, c'est sans fioritures. Le réalisateur de Dark City et The Crow nous rappelle même ses premiers amours à travers quelques apparitions d'étranges personnages muets, inquiétants par leur seule présence, et une utilisation de certains décors (des lignes de fuite semblant aller à l'infini) pour créer une ambiance bien palpable. Il se permet même au détour quelques scènes d'action bien marquantes, à commencer par un crash d'avion filmé en plan séquence (discret) à tomber par terre, et un accident de métro, qui certes n'est pas très clair à l'image, mais se montre surprenant de violence.
C'est lorsque le fantastique s'immisce dans la réalité qu'il trouve souvent sa plus grande efficacité. Prédictions en est la preuve vivante. Débutant dans sa première partie comme un énième drame où un père et son fils nous sont présentés un an après la disparition tragique de la mère, le film n'hésite pas à utiliser des "clichés", ou plutôt des "vieilles marmites" pour nous servir sa recette. Qu'importe ici, puisque ces clichés sont rondement menés, sans jamais rentrer dans le travers des sentiments exacerbés à grands renforts de violons : ces scènes sont simples, sincères et donc fonctionnent. Soit la marque même d'un cinéaste sachant raconter une histoire à un public qu'il sait intelligent. Cette sincérité est d'ailleurs l'ingrédient qui rend Prédictions si attachant : du début à la fin de son film, Alex Proyas ne la quitte jamais, affichant une foi en son film à l'opposé de la démonstration et l'arrogance de nombreux réalisateurs à Hollywood. L'incursion dans cette histoire "normale" d'éléments fantastiques au fur et à mesure de son déroulement n'en devient que plus facile à accepter, au point d'en devenir fascinante. Nous sommes là devant les ingrédients qui rendent prenante une histoire racontée à l'écran, rappelant que certains "clichés" ne sont mauvais à prendre que lorsqu'ils ne sont présents que par opportunisme où manque d'inspiration.
C'est toute cette ferveur du réalisateur, contagieuse au spectateur, qui rend Prédictions si attachant. En cela, Alex Proyas se rapproche d'un M. Night Shyamalan, qui, même dans ses plus mauvais films, croyait tellement à ce qu'il racontait, qu'on ne pouvait sortir que respectueux, ce qui sauvait Phénomènes ou La Jeune fille de l'eau du naufrage. Nous sommes loin, très loin d'un I, Robot réécrit pour Will Smith par des producteurs peu scrupuleux du matériel de base (une nouvelle d'Isaac Asimov, antithèse intégrale du film), qui fût vécu par Alex Proyas comme une épreuve insoutenable, le forçant même aujourd'hui à renier totalement son travail à cause de sa perte de conviction avant même le tournage.
Mais à l'instar des derniers films de Shyamalan, Prédictions souffre. En soi, le scénario est parfaitement écrit, mené, et possède un vrai suspense et des rebondissements inattendus, assumés jusqu'à la dernière minute, si l'on excepte toutefois en chipotant une légère baisse de rythme dans la dernière pellicule. Ce qui gène ici, c'est le fond. Tout au long du film sont éparpillés plus ou moins visiblement des références à la religion, à la foi, à la mort telle qu'elle est illustrée dans la chrétienté. Ces artéfacts esthétiques servent évidemment l'histoire, et, par leurs significations historiques et philosophiques, ne sont absolument pas synonymes d'une ferveur quelles qu'elles soient, mais d'un apport symbolique intéressant à l'histoire. Malheureusement ceux-ci aboutissent tout autrement, dans un final d'une durée de dix minutes dont tout le monde risque de parler à la sortie des salles. Impossible de révéler le twist dans ses détails ici mais les prochaines lignes mettront la puce à l'oreille à bon nombre. Pour résumer, ces dix minutes sont puantes dans ce qu'elles véhiculent. Cette critique s'arrêtera là pour ceux qui n'ont pas vu le film ; les autres, il vous reste un paragraphe à lire...
La sincérité de Alex Proyas est le véhicule même qui fait de Prédictions un excellent film de SF, et qui atteindra son apothéose dans son final. Par les thèmes évoqués, le retournement (complet !) de situation qui sert ici de twist surprenant, le film s'ancre à 100% dans le registre de la science-fiction et s'affirme comme l'un des plus grands ambassadeurs du genre depuis des années. Néanmoins la foi est au centre de tout et la morale que véhicule cette fin ("Seuls ceux qui auront vu les signes peuvent être sauvés") ne trompe pas : nous nageons ici en pleine doctrine scientologique, celle-là même que L. Ron Hubbard a tristement démocratisé à travers ses écrits abracadabrants et qu'il a utilisé pour asservir ses admirateurs. Et pourtant, ces dix dernières minutes contiennent également ce qu'il y a de plus beau dans Prédictions : une vision de l'apocalypse filmée avec une maestria, une grandeur et une démesure, prouvant que Proyas n'est ici qu'au service de son film, corps et âme. De là naît un dilemme déroutant : faut-il aimer le film ou le dénoncer pour ce qu'il véhicule ? Peut-être suffit-il de passer outre son fond, de le trouver suffisamment imbécile pour savourer la forme et célébrer cet objet de SF qui procure un plaisir cinéphile incontestable. Mais on a quand même un os dans la gorge.