Rubber
Le 13/09/2010 à 12:20Par Arnaud Mangin
Taillant dans le vif des habitudes que tout à chacun peut attendre d'un film dit "normal", Rubber raconte l'histoire la plus tarte possible en surface pour mieux mettre en exergue le fait que ses spectateurs ne sont absolument plus prêts à vivre une telle expérience aujourd'hui, en les mettant eux-mêmes en scène. Sorte de voyage dans le passé, une bonne trentaine d'années en arrière, le film de Quentin Dupieux s'autorise le plus beau luxe qui soit : faire ce qu'il a envie en donnant toute sa confiance à l'ouverture d'esprit et le libre arbitre culturel de son public. Joyeux délire utopique...
Découvrez ci-dessous la critique de Rubber
Rubber est certainement ce qui restera de plus édifiant dans toute l'histoire de l'auto-déconstruction filmique, tirant sauvagement sur le fil dépassant d'une pelote déjà un brin effilochée par des œuvres aussi tordues que Les Clefs de bagnole de Laurent Baffie ou Akoibon d'Edouard Baer (pour rester chez les français). Comme pour rappeler que le cinéma est un univers tellement malléable que l'on peut absolument en faire tout et n'importe quoi, de façon linéaire ou inversée, mélangeant sans vergogne le réel et la fiction sans encourir la moindre sentence. Si ce n'est la froideur de spectateur, mis ici à rude épreuve devant comme derrière la caméra. Le postulat est simple : raconter l'histoire la plus improbable possible pour savoir, d'une part, si le formatage ambiant a définitivement lobotomisé une masse désormais hermétique à l'originalité la plus extrême. Mais également pour mesurer le degré de tolérance de ceux qui acceptent de se faire absorber par la proposition d'un auteur/artiste, comme par une éponge. Après son Steak, excellente surprise jouant déjà avec le contre-emploi de l'humour populaire rejetant les fans d'Eric et Ramzy tout en obtenant l'adhésion de ceux qui les détestaient, Quentin Dupieux dresse ici un miroir à peine déformant du public : tant qu'il y aura des gens disponibles pour en regarder, les conneries n'auront de cesse de voir le jour.
Le réalisateur pousse la démonstration à l'extrême en racontant l'histoire de Robert, un pneu trainant sur le bord d'une route américaine désertique qui, par miracle, parvient à se lever, puis à avancer. Un pneu se sentant d'abord pousser des pulsions destructrices en roulant sur des insectes avant de découvrir qu'il possède un dont de télékinésie. Un pouvoir psychique et un trait de caractère qui vont s'associer pour faire de cet objet, traditionnellement creux et tournant en rond, un être psychopathe qui explose la tête des humains qu'il croise, par la simple force de sa pensée. Un peu comme dans Scanners de David Cronenberg. La bonne nouvelle, c'est que si l'on est prêt à accepter ce postulat, on est prêt à tout le reste en s'appuyant sur une réflexion (pas totalement fausse en plus) que la majorité des grands films fonctionnent dans leur énormité parce qu'ils existent sans se justifier. En citant Spielberg, Oliver Stone et Polanski en plus.... Dupieux en profite donc pour y greffer une intrigue secondaire qui sera finalement l'essentiel du propos, en mettant en scène ses propres spectateurs, prenant ici la forme de touristes qui regardent le film avec des paires de jumelles, comme s'il se déroulait juste devant eux, sans tenir compte des déplacements dans l'espace. D'un côté, les accros qui ont quand même envie de savoir comment ça va se finir et de l'autre les atterrés, qui préfèreraient mourir que de regarder le reste.
Un postulat bicéphale, aux tètes totalement antinomiques. D'un côté, celle qui assume totalement son statut de série Z crétine et gore aux relents savoureux des 70's (on n'a peut-être pas vu ça chez nous depuis Atomic Circus) empruntant humblement à Duel ou The Hitcher. De l'autre une analyse cynique de la disparation du libre arbitre dans l'industrie du cinéma contemporain tout au long des 35 et quelques dernières années qui ont massacré le mouvement du Nouvel Hollywood (on vous renvoie au livre fascinant de Peter Biskind) et son influence sur le monde entier. En taclant d'ailleurs, non pas nécessairement les studios, qu'il semble se réserver pour un faussement hypothétique Rubber 2 si l'on en croit son plan final, mais bien aux spectateurs. Un public endoctriné de son plein gré dans le merchandising culturel et à qui il semble dire avec un sympathique affront "Si vous n'avez ni compris ni aimé mon film, c'est qu'il parle de vous"... Une belle redistribution des cartes sur la responsabilité de chacun, sur la nullité ou non d'une oeuvre franchement pas déplaisante, mais à des années lumières de tout ce à quoi vous vous êtes préparés...