The Offence
Le 10/09/2009 à 11:25Par Sabrina Piazzi
On ne ressort pas indemne de The Offence et bien plus tard le film continue de hanter les esprits de la même manière que la violence dévore les entrailles de l'Inspecteur Johnson. Avec ce film, Sidney Lumet signe un des plus grands thrillers psychologique et éprouvants vu au cinéma. A l'instar de L'Inspecteur Harry et de French Connection, The Offence met à l'avant-plan le malaise des forces de police face à un monde en complète mutation. Il est difficile d'être flic en vivant des horreurs au quotidien et faire respecter la loi sans la transgresser est devenu impossible face à une nouvelle race de criminels. Par ce constat désespéré de la lutte entre le bien et le mal mettant en scène un des acteurs les plus adulés du moment (extraordinaire Sean Connery), ce chef d'oeuvre d'une ahurissante contemporanéité mérite d'être classé au niveau de L'Inspecteur Harry, French Connection et Taxi Driver dont il est sans conteste le chaînon manquant.
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Tout d’abord un petit rappel : sur le tournage du Gang Anderson (1971) pour lequel il retrouve Sidney Lumet six ans après leur première collaboration (La Colline des hommes perdus), Sean Connery fait part de son désir au cinéaste de s'éloigner du personnage de James Bond qui lui colle à la peau. Un projet lui tient à coeur, celui d’adapter une pièce de théâtre de John Hopkins, The Offence, qu'il a déjà voulu créer sur scène sans succès. Persuadé que The Offence lui permettra de faire oublier l'agent-secret qu'il a incarné à cinq reprises, Sean Connery demande à Sidney Lumet s'il désire mettre en scène pour lui The Offence. Le réalisateur accepte immédiatement.
Sous contrat avec la United Artists depuis James Bond contre Dr No, Sean Connery se tourne vers sa société de distribution qui lui propose alors un marché. Suite aux chiffres décevants du dernier opus Au service secret de sa Majesté (avec son remplaçant George Lazenby), la United Artists demande à Sean Connery de reprendre sa panoplie de super agent pour Les Diamants sont éternels, en échange de quoi elle s'engage à lui laisser carte-blanche pour deux films indépendants de son choix. Un salaire d'1,250,000 $ est alors posé sur la table plus un pourcentage sur les recettes de cet « ultime » épisode pour le comédien rentrant par ailleurs dans le Livre des records. Sean Connery accepte bon gré mal gré et emmène son smoking au pressing.
Après cinq mois de tournage suivi d’un énorme succès au box-office rassurant les producteurs, Sean Connery balance ses gadgets et sa moumoute pour enfin plancher sur l'adaptation de The Offence avec Sidney Lumet. Le comédien remet une grande partie de son salaire acquis pour Les Diamants sont éternels à une association caritative écossaise pour l'éducation qu'il a lui-même créée, le reste étant investi totalement pour son prochain film pour lequel il monte sa société de production. Sean Connery s’entoure d’amis comédiens (Trevor Howard, Ian Bannen) et pose un regard sur l’équipe technique. Après seulement 28 jours de tournage, The Offence mettra pourtant près de trente ans à sortir dans plusieurs pays. La France a dû attendre exactement 35 ans.
The Offence reprend les thèmes chers à Sidney Lumet en mettant à jour les angoisses d’un inspecteur de police face aux méfaits d’un pédophile récidiviste jusqu’à ce qu’un suspect présumé soit arrêté. L’inspecteur Johnson (Sean Connery), persuadé de la culpabilité de cet homme malgré l'absence de preuves, va progressivement perdre les pédales face à l’affront, à l’offense répétée de l’inculpé. La question que se pose immédiatement le spectateur est la suivante : l’inspecteur avait-il des antécédents brutaux et psychologiques pour commettre l’irrémédiable ? Comment un agent ayant plus de vingt ans d’ancienneté parvient-il à franchir l’étroite frontière entre le Bien et le Mal ? A travers différents flashbacks, le spectateur comprend que le rapport continuel à la violence et au crime a gangrené petit à petit l’âme de cet homme qui ne peut plus vivre avec les visions d’horreur qui l’assaillent continuellement, résidus horrifiques emmagasinés depuis vingt ans. « D'ignobles asticots dévorent mon esprit » dit d’ailleurs Johnson à sa femme qui tente de le faire parler afin de savoir ce qui hante son âme durant une scène de ménage particulièrement éprouvante. Comme dans la plupart de ses films, de Douze hommes en colère jusqu'à 7h58 ce samedi-là, Sidney Lumet explore les thèmes du poids de la culpabilité et l'étroite démarcation entre l'innocence et le péché.
Le prologue annonce d’emblée la couleur : un halo luminescent brouille le centre de l’image, des policiers courent au ralenti et semblent alertés par un bruit rendu sourd en raison du temps distendu, jusqu’à la découverte de deux hommes, l'un est debout, visiblement atteré, l'autre gît à terre. Une impression de cauchemar éveillé oppresse immédiatement l’audience. A travers une mécanique diaboliquement maîtrisée, Sidney Lumet dresse graduellement le portrait d’un homme complètement largué, usé jusqu’à la moelle et perdant pied irrémédiablement. Jouant avec l’ambivalence du personnage de Johnson, le cinéaste use de moyens techniques innovants afin de refléter la psyché ambigüe de l’inspecteur dès son apparition en passant de son profil droit à son profil gauche tandis que le personnage remonte une petite route menant à une école d'où il regarde la sortie enjouée des enfants. Manipulation du spectateur et fausse piste ? Indices volontairement donnés ? Sidney Lumet instaure un malaise immédiat quand il présente l’Inspecteur Johnson et le spectateur ne sait alors à qui se fier. « Il faut admettre votre dualité », quand un agent tente de percer Johnson à jour au cours d'un pénible interrogatoire.
Sidney Lumet et son chef opérateur Gerry Fisher décident de tourner The Offence dans le sud de l’Angleterre, dans le comté de Berkshire et plus précisément dans la petite ville de Bracknell. A l'écran, Lumet rend cette bourgade lugubre, froide et aseptisée, use des tons gris-bleus pour marquer le monde devenu sans saveur pour Johnson. Le compositeur britannique Harrison Birtwistle, célèbre pour sa musique violente et brutale, compose son unique partition pour le cinéma, créé un climat angoissant avec certains crescendo et renforce ainsi l’ambigüité du personnage et le caractère onirique des images. Le décor principal du poste de police renvoie furieusement à celui d’un hôpital avec des murs gris-blancs insipides, un haut plafond orné seulement d'un néon circulaire immerge les interrogatoires d’une lumière blafarde comme celui qui éclairerait une opération chirurgicale ou voire une autopsie. C’est sous cette clarté crépusculaire que s’ouvre progressivement l’âme de Johnson comme une confession espérant peut-être l’absolution. Une abrogation dont le Mal ne pourra se dissiper que par la violence et la destruction de celui qui aura finalement percé l’âme torturée de Johnson à jour, celui que ce dernier croît coupable. Sean Connery porte le film sur ses larges épaules et livre peut-être la plus grande prestation de toute sa carrière. Remettant complètement son image en jeu, l’acteur est quasiment de tous les plans et déambule comme un pantin jusqu’à une explosion de violence extrême et néfaste face à un homme prétendu fautif, la question restant en suspens : de quoi est-il finalement coupable ? Durant ce qui s’avère être un des plus grands interrogatoires de l’Histoire du Cinéma, Johnson se heurte à ce mur moqueur et insultant, et l’inspecteur ne pouvant plus réprimer son désir de vomir toute cette violence contenue, la bête noire laissant la place au bourreau. L'icône Sean Connery s'efface immédiatement, le comédien étant transformé physiquement, moustache touffue, regard vide et le dos pliant sous le poids du désarroi. Comme si Sean Connery reprenait le rôle autrefois campé par Tippi Hedren dans Pas de printemps pour Marnie, qui on se souvient luttait contre des angoisses enfouies et un traumatisme psychique.
Ce perturbant huis-clos en rappelle un autre : Garde à vue de Claude Miller. Cependant, ce film étant adapté d’une pièce de John Wainwright, il est difficile de dire si Michel Audiard et Claude Miller, profitant de la non sortie du film de Sidney Lumet en France, s’en sont abondamment inspirés ou si la ressemblance étonnante dans l’usage des couleurs, des flashbacks et du thème en général ne sont que fortuits.
A sa sortie, The Offence est sacrifié par la United Artists. Le public est déconcerté par la violence et le rôle « à contre-emploi » de Sean Connery qu’il ne reconnaît pas. Après des réactions très mitigées, le film est très mal distribué aux USA, c’est un flop intégral et il est très vite retiré de l’affiche. Avant sa présumée sortie dans nos contrées, la production décide de tout annuler craignant que le personnage sombre et torturé incarné par Sean Connery ne ternisse son image. Le deuxième film que souhaitait produire le comédien, une vision personnelle de MacBeth, est de ce fait annulé. L'acteur écossais est appelé par John Boorman pour venir faire les essayages de son « costume » pour Zardoz et part vers d'autres horizons tout en affirmant encore aujourd'hui (tout comme Sidney Lumet) que The Offence demeure le film qu'il a préféré faire.